Anticor, la suspension en référé du refus implicite [12/08/2024]
Le renouvellement de l’agrément d’Anticor est l’objet d’un nouveau rebondissement.
L’association l’avait perdu suite à des doutes sur son indépendance et son fonctionnement. Des dissidents de l’association avaient en effet contesté l’arrêté du 2 avril 2021 accordant l’agrément à Anticor d’agir en justice dans les affaires de corruption et d’atteinte à la probité présumées. Le juge administratif annula l’agrément le 23 juin 2023. La décision fut confirmée le 16 novembre 2023.
Confronté à une nouvelle demande, le gouvernement n’a pas réagi, laissant filer le délai valant refus implicite le 26 juillet 2024. Ce refus a été contesté par l’association devant le juge des référés, qui vient … de suspendre le redus et demande au Premier ministre de réexaminer la demande dans un délai de quinze jours.
L’action repose sur l’article L. 521-1 du code de justice administrative :
« Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision
(…) »
Il y a deux éléments imports :
- Une urgence qui justifie la suspension de l’exécution de la décision.
- Un doute sérieux quant à la légalité de la décision.
L’urgence
Le juge commence par rappeler le principe :
« L’urgence justifie la suspension de l’exécution d’un acte administratif lorsque celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre. »
Le juge relève que dans plusieurs affaires, « l’association s’est effectivement retrouvée dans l’impossibilité de contester des classements sans suite du parquet ». La privation de son agrément ferait que l’association se trouverait « dans l’incapacité de remplir une large part de son objet social, visant à la lutte contre la corruption, la fraude fiscale et toute autre atteinte à la probité sur le plan local, national, européen et international. »
L’association aurait également été condamnée, dans plusieurs affaires jugées après le 23 juin 2023, à rembourser « les sommes perçues au titre de dommages et intérêts en première instance, ou déboutée de ses demandes indemnitaires dès la première instance, en raison de son absence d’agrément ». Une annulation au fond ne permettrait pas de réparer ce préjudice.
Troisième aspect, la décision attaquée aurait « pour effet de réduire à seulement deux le nombre d’associations pouvant participer à ces actions » de lutte contre la grande délinquance économique et financière.
Il y a donc trois aspects qui se tiennent plutôt bien, mais qui me semblent critiquables :
- Il n’est pas démontré que les classements sans suite en question portent atteinte à la lutte contre la grande corruption. Il serait intéressant d’avoir les exemples concrets.
- Le deuxième point suppose un droit acquis à ces dommages et intérêt. L’association a fait des erreurs qui lui ont coûté son agrément, pourquoi ne devrait-elle pas en payer les conséquences ?Surtout, on note un truc étrange : l’association « n’a pas demandé la suspension de l’exécution de la première décision implicite de refus de renouvellement d’agrément en date du 26 décembre 2023 ». Où est l’urgence ?
- Pourquoi deux associations ne seraient pas suffisantes pour lutter contre la délinquance financière ? Surtout, est-ce qu’avoir une troisième association qui est opaque et douteuse n’est pas plutôt de nature à desservir l’intérêt commun ?
Ainsi, les deux premiers motifs me semblent défendables mais discutables et le troisième totalement infondé. Globalement reconnaître l’urgence ne me choque pas.
La légalité de la décision
S’agissant du « doute sérieux quant à la légalité de la décision », je m’attendais à quelque chose d’ahurissant. Et, dans un sens, c’est effectivement ce que j’ai eu : le gouvernement n’a simplement pas contesté la demande en suspension autrement que sur l’urgence … :
« le mémoire en défense, qui se borne à contester l’urgence de la requête, ne fait état d’aucun motif susceptible de justifier le refus de renouveler son agrément »
Les refus ayant été implicites, il n’y avait donc aucune motivation à la décision. Merveilleux.
Ainsi, au final, la décision du juge est très logique et sa demande parfaitement justifiée : « rendez une décision motivée, bordel ».
Une négligence lamentable
La négligence du gouvernement est d’autant plus surprenante que la légalité d’un agrément est définitivement compromise par le contexte.
Je détaille tout dans l’article de blog mis au début. Je vous fais un résumé ici.
La purge
L’association a subi une purge en 2019-2021, clairement malhonnête : 9 membres du conseil d’administration ont été écartés après qu’ils aient contesté la révocation dudit Conseil. En septembre 2020, Claude Bigel, ancien vérificateur des comptes de l’association, avait même été exclu « après avoir alerté le ministre de la Justice sur ce qu’il estimait être une obscurité dans la comptabilité. »
Cette crise résultait notamment de la volonté du management de conserver secrète l’identité d’un donateur (plus tard identifié comme Hervé Vinciguerra) ayant versé « près de 90 000 euros entre 2017 et 2020 », « notamment en des dons fléchés pour financer la procédure judiciaire contre Alexis Kohler ».
Ces « dons ont été reçus pour déclencher et financer des procédures contre Richard Ferrand et Alexis Kohler [ ]. Le don fléché imposait à la partie civile [Anticor, ndlr] soit de rédiger la plainte, soit de demander des actes au juge d’instruction.«
Les conflits d’intérêts
Élise Van Beneden, la dirigeante, a confondé avec Denis Robert en 2021 Blast, un média d’extrême gauche n’hésitant pas à recourir à tous les outils de désinformation anticapitalistes et qui a réussi ainsi à gagner une place de premier plan parmi les médias politiques. Denis Robert est lui-même militant anticapitaliste ayant dirigé la rédaction du média d’extrême gauche, proche de la LFI, Le Media.
Ce seul conflit d’intérêt est suffisant pour justifier le rejet de l’agrément. En effet, Blast fera ses choux gras des poursuites d’Anticor et Anticor sait que ses poursuites seront relayées par Blast. Ainsi, Anticor devient une usine à produire du buzz indépendamment de toute responsabilité réelle : peu importe si vous êtes coupables ou non, si vous êtes attaqué par Anticor, le tribunal médiatique vous condamnera instantanément. Surtout, on voit clairement qu’elle devient l’une des branches d’une organisation informelle plus large.
Cet ancrage à gauche se retrouve aussi dans la personne d’Eric Alt, qui a été vice-président d’Anticor de 2013 à 2022, était aussi administrateur de Sherpa de 2014 à 2021, une autre association prétendant lutter contre la corruption, et … candidat Nouvelle Donne (parti de Pierre Larrouturou, ancien PS et EELV) aux européennes en 2014
Hervé Vinciguerra, le mystérieux donataire, était d’ailleurs un soutien enthousiaste de Montebourg, qui « a bâti un petit empire industriel offshore, du Luxembourg à Singapour. » Cela questionne : est-ce que Anticor ne devrait pas se poursuivre elle-même ? Il avait été mis en contact avec Blast et aurait tenté de l’influencer au moyen d’importantes sommes. Il souhaitait cibler « quatre ou cinq idées, qui étaient Drahi, […], qui étaient Niel, qui étaient Arnault, Benalla et puis Anne Hidalgo, il avait un dossier sur elle ».
Cela a amené un « clash » entre Denis Robert, qui poussait pour accepter l’argent (« il m’a dit qu’il ne blanchissait pas d’argent, mais il fait de l’optimisation fiscale »), et un journaliste, Maxime Renahy, qui a diffusé le pot aux roses. Dans une discussion Elise Van Beneden semble au courant, répondant « Ah oui ce serait cool » à la proposition que Vinciguerra verse de l’argent par la campagne Kiss Kiss Bank Bank, on devine pour contourner les protestations.
Surtout, la polémique a fait apparaître qu’il était possible de faire des dons fléchés. L’association devenait ainsi « dealer » de poursuites judiciaires, un simple prestataire de relations publiques pouvant monétiser ses prérogatives de puissance publique.
Une réaction indigne
Enfin, au fil de ces polémiques, Anticor a tenu un langage outrancier. Déjà en 2021, la dirigeante avait adopté à cette époque la ritournelle victimaire complotiste
« Il est certain que le fait de nous être attaqué à des personnalités proches de l’exécutif a provoqué une certaine tension, analyse Élise Van Beneden, avocate et présidente d’Anticor. Jamais par le passé, le gouvernement n’avait été aussi intrusif lors d’un renouvellement d’agrément. » (La Croix, Le gouvernement va-t-il renouveler l’agrément d’Anticor?, 2 avril 2021)
Elle continue en 2023, imputant implicitement la décision de justice au gouvernement :
- « « L’agrément a justement été créé parce qu’il y a un problème avec le procureur de la République. La question politique derrière, c’est que les associations anticorruption dérangent énormément », a estimé Me Elise Van Beneden, qui avait déjà vu des motifs politiques dans le laborieux renouvellement de 2021. » (7)
- « La France est la seule démocratie où il faut demander l’autorisation au gouvernement pour lutter contre la corruption. Si, pour pouvoir lutter con- tre la corruption, il ne faut pas gêner le gouvernement, alors il faut retirer au gouvernement le pouvoir de donner l’agrément » (17)
Elle qualife le jugement annulant l’agrément d’ « atteinte grave à la démocratie » et de « coup de force politique ». Cette rhétorique a été reprise par de nombreux ennemis du gouvernement (François Ruffin, Mathilde Panaud, Manon Aubry, Boris Vallaud (PS), Marine Tondelier et Nicolas Dupont-Aignan).
Elle continue la rhétorique victimaire en décembre 2023 :
« Si aujourd’hui nous n’avons pas d’agrément, ce n’est pas parce que nous ne respectons pas les critères pour être agréé. C’est parce que nous dérangeons un gouvernement qui depuis quelques années accumule les dossiers politico-financiers. » https://twitter.com/anticor_org/status/1740013802261975435/photo/1
L’association s’est ensuite fendu d’un communiqué titrant éloquemment: « Un cadeau de Noël pour les corrupteurs et les corrompus ».
Je développe ces points dans l’article. En bref, on retrouve le mode de communication des pourris, victimisation à outrance et diabolisation, que je qualifie de « méthode russe ». On retrouve d’ailleurs au soutien de l’association des comptes pro-russes notoires, comme Florian Philippot et Alexis Poulin …
Dernier point, qui fait écho à un précédent : Maxime Rénahy, qui avait dénoncé le ménage douteux entre Denis Robert et Hervé Vinciguerra, a été attaqué par deux plaintes en diffamation. Purges et poursuites baillons, est-ce que ce sont des méthodes d’une association dédiée au bien public ?
Autres éléments douteux
Guillaume Limousin, connu pour avoir dénoncé les antivaxx pendant la crise sanitaire, a relevé d’autres éléments graves.
Plusieurs membres dirigeants seraient en effet devenus promoteurs des idées de Didier Raoult en 2020 et l’association aurait déposé une plainte à l’ordre des médecins contre Karine Lacombe, une chercheuse qui avait dénoncé l’imposture du médecin marseillais.
Le bureau de cette dernière lui aurait prétendu ne pas avoir déposé de plainte. En interne, des témoins auraient rapporté que « des membres font du mailing intense avec « pub » de la plainte contre K. Lacombe » jusqu’à un an après, la présentant comme « fait d’arme glorieux ».
Rappelons que ce type de double langage fait aussi partie de l’arsenal des écosystèmes que nous étudions ici : on va se vanter en interne de ce qu’on niera en public.
Déjà, cela montre que les capacités d’action de l’association ont déjà été utilisées pour servir l’intérêt personnel, ici les lubbies militantes, de ses dirigeants, indépendamment de l’intérêt général.
L’hypocrisie de l’association est d’autant plus scandaleuse que le Dr Raoult est sujet à plusieurs poursuites pour malversations financières. Or, elle a justement pour vocation de dénoncer ce genre d’abus d’argent public. Elle a pourtant ignoré les alertes, alors même que des personnes les auraient approché pour dénoncer les infractions.
Pour toute réponse aux reproches, l’association a bloqué le compte Twitter de Guillaume Limousin.
Conclusion
Ainsi, accorder l’agrément à Anticor serait prendre le risque (sérieux) de l’accorder à une organisation qui sert l’intérêt personnel de ses dirigeants et de leurs écosystèmes militants.
Et au lieu de mettre un point final aux gesticulations de l’association et de ses alliés, le gouvernement a préféré leur accorder une victoire facile. Habile.
Références :