Charlène Descollonges, Aquagir, hydrologie régénérative et mémoire de l’eau
Charlène Descollonges est une jeune hydrologue qui s’est récemment fait connaître par une interview stupéfiante à France Inter (lien en bas d’article).
Plus stupéfiante encore a été cet interview donnée par Maxime Blondeau pour Aquavir, un site qui a notamment été fondé par l’Union des Industries et des Entreprises de l’eau, le BRGM et d’autres acteurs institutionnels, et que nous allons commenter ici.
Storytelling
L’interview commence avec une question profonde, « Pourquoi avez-vous choisi ce métier, comment l’eau est-elle entrée dans votre vie ? », qui donne l’occasion à la conférencière de faire un peu de storytelling.
C’est quelque chose de courant chez les bullshiteurs professionnels : ancrer son parcours jusque dans l’enfance. Personne ne peut prouver que c’est faux et ça permet de donner une dimension mystique à votre discours : ce qu’il se passe maintenant serait une sorte de destinée poursuivie depuis des années. C’est toujours bon à prendre.
On devine aussi le thème du renoncement : « Bac scientifique en poche, j’ai renoncé aux études de médecine ». Son engagement serait vraiment un sacerdoce, puisqu’elle a sacrifié quelque chose. Même si en pratique c’est absolument creux, cela construit l’émotion que le lecteur va extraire du texte : « ah, quelle personne obstinée, elle est vraiment passionnée par l’eau, ce n’est pas juste une opportuniste qui a vu l’opportunité de faire une carrière de conférencière ».
On note déjà des parôles un peu ésotériques : « je trouvais cela normal de dialoguer avec l’eau, les rivières, les arbres. J’ai toujours eu un lien fort avec l’élément eau. »
La question suivante, « Qu’est-ce que vous trouvez fascinant dans le domaine de l’eau ? » est vague et creuse, je passe.
Divinisation de l’eau
Maxime Blondeau lui demande ensuite : « L’eau comme outil. C’est une conception qui vous choque ? »
La réponde est assez folle. D’abord :
« En fait, le mot ressource même, me gêne. Derrière le mot ressource, il y a l’idée d’exploiter, de se servir de et de rejeter. C’est une conception linéaire liée à un rapport extractiviste qui n’a plus de sens aujourd’hui. Certains parlent de bien commun, mais on peut aussi interroger ce terme de bien puisque cela sous-entend une valeur et une transaction derrière. »
On voit ici comment fonctionne son raisonnement : par ressemblance. « Cela me fait penser à ». Les deux diables auquel il ne faudrait surtout pas faire penser sont « l’extractivisme » et le droit de propriété.
Notez que ce discours va frontalement contre celui de sa collègue-concurrente Esther Crauser-Delbourg, qui prône justement que l’eau devienne un « bien économique », « comme le pétrole ou le gaz ».
Ensuite, on voit une transition : « Pour moi, les hydrosystèmes – rivières, lacs, zones humides – sont incroyablement vivants d’une certaine manière. »
Puis, c’est le drame :
« Un nouveau paradigme émerge autour des propriétés quantiques de l’eau. La recherche scientifique est encore très balbutiante sur ce sujet, mais je suis assez sensible à l’idée que l’eau porte une mémoire et une certaine énergie. Cette question est à la croisée des savoirs scientifiques et des savoirs ancestraux qui sont préservés au sein des peuples autochtones. Un programme de recherche interdisciplinaire est d’ailleurs en cours entre des scientifiques de l’eau et les Kogis de Colombie pour croiser ces deux grilles de lecture – scientifiques et sensibles – autour d’un même bassin hydrographique.
Une question me taraude : “Si la rivière avait un message à transmettre, quel serait-il ?” Je pense que l’on gagnerait à rassembler ces grilles de lecture, à la fois scientifique et sensible, pour se mettre à leur écoute, en intégrant aussi les autres qu’humains, sans tomber dans le piège de l’anthropomorphisme, avec le biais de nos interprétations. »
Voilà, la mémoire de l’eau, le vieux délire homéopathique.
En faisant cette référence, la wannabe conférencière perd le bénéfice de tout le bullshit construit autour de l’hydrologie, notamment par Emma Haziza : elle devient « antiscience ». Elle ne peut plus se rattacher à tout cet écosystème antibassine qui prétend se revendiquer de la science et inclut notamment Valérie Masson-Delmotte, Florence Habets, Maghali Reghezza-Zitt et Christophe Cassou, soit de « vrais » scientifiques. Néanmoins, peut-être qu’elle a un autre objectif, une autre cible en tête.
On retrouve également peut-être une référence à l’antispécisme avec la référence au « piège de l’anthropomorphisme », mais je ne suis pas sûr.
Surtout, on reconnaît le registre de la pseudo-alternative : elle propose une alternative, peu importe qu’elle soit vraie ou pas, cela laisse planer le doute, planer l’espoir.
Régénérer le cycle de l’eau
La question suivante, « Quels sont vos principaux messages lors de vos interventions ? », permet à son discours d’aller sur des considérations plus techniques.
D’abord, elle propose, comme Esther Crauser-Delbourg de comprendre l’empreinte eau (eau verte, bleue et grise). Il faudrait mieux connaître en quoi « le changement climatique va venir exacerber tous les maux occasionnés sur le grand cycle de l’eau. »
Elle aurait des solutions qui viseraient à « régénérer massivement le cycle de l’eau, notamment par l’hydrologie régénérative ». On retrouve deux choses : la personnification du cycle de l’eau et l’idée qu’il devrait être régénéré.
Son autre solution est encore plus perchée, parlant de « susciter l’engagement citoyen […] tout en faisant alliance avec le vivant. » La référence au « vivant », sorte d’avatar de la nature divinisée, est récurrent en pseudo-écologie.
Détail de l’hydrologie régénérative
Elle développe ensuite le principe de l’hydrologie régénérative. Elle la qualifie de « science émergente », dont les deux grands principes sont « de ralentir les eaux de pluie et de ruissellement pour les aider à mieux infiltrer et de densifier la végétation pour favoriser le recyclage de la pluie. »
On retrouve les recettes habituelle : « recréer des paysages type bocagers », « stimuler le tout avec un sol vivant », « travailler autour d’un paysage agroforestier » et d’autres dont on voit mal le contenu (« créer des points humides, mais aussi réhydrater les points secs »).
Point important, elle reconnaît : « Je ne suis pas une experte agricole ». Cela ne l’empêchera pas de prétendre imposer aux agriculteurs comment mener leur exploitation dans son interview sur FranceInter.
Les « problèmes »
Maxime Blondeau lui demande ensuite « Qu’est-ce qu’on ne regarde pas assez en matière de gestion de l’eau ? »
Il y aurait deux choses :
- « l’importance des sols et des arbres dans le cycle de l’eau
- et la démocratie de l’eau »
On retrouve l’idéalisation des arbres :
« D’abord, considérer les arbres non plus comme des capteurs de pluie qui consomment de l’eau, mais comme des générateurs car ils sont capables de transformer l’eau verte en eau bleue (aucune autre technologie ne peut le faire avec une telle importance et efficacité). »
Son discours sur les sols est très court, n’entrant pas dans la désinformation classique : « On a trop longtemps négligé le pouvoir des sols pour infiltrer, stocker, mais aussi recharger les nappes. L’artificialisation massive a contribué à limiter l’infiltration dans les sols et donc la recharge des aquifères. »
Elle finit avec « la question démocratique », affirmant qu’il faut faire évoluer la gouvernance de l’eau en « intégrant davantage les citoyens ». C’est un des sujets récurrents de la pseudo-écologie, qu’on a déjà vu avec le nucléaire : les obligations de consultations publiques permettent de ralentir les projets et d’organiser des happenings anti-nucléaires. Cette influence réglementaire permet de construire le pouvoir pseudo-écologiste. La prétention à « plus de démocratie » et de « dialogue » est du reste un élément récurrent, notamment parce qu’en suite « le peuple » est approprié.
Il est aussi probable que ce soit un thème qu’elle pousse, parce que organiser ce dialogue est un débouché intéressant pour elle.
D’ailleurs sa réponse suivante insiste sur le sujet : « En fait, il est vraiment question de dialogue, de médiation et de coopération. »
A la fin elle évoque plusieurs questions de réglementation : « L’échelon européen doit être renforcé en matière de gestion de l’eau. » Elle évoque le fait qu’il faudrait « d’intégrer les bassins atmosphériques dans la gouvernance de l’eau à l’échelle internationale » et prendre en compte le fait que « l’affectation des sols et des forêts a une influence sur le régime de précipitation dans les pays voisins ».
Il est intéressant de noter qu’elle a, au final, repris très peu de désinformations pseudo-écologistes. On a retrouvé la désinformation homéopathique, qui se rapproche certes de la pseudo-écologie, mais n’en fait pas partie.
Elle va beaucoup plus loin sur ce plan dans son interview à France Inter, ci contre.