L’agribashing est un ensemble assez difficile à décrire précisément. On identifie clairement plusieurs des éléments de la pseudo-écologie: le bashing des pesticides, des OGM, du « modèle agricole dominant ».

Agribashing: un mot récent et contesté

L’apparition du mot

Le terme serait apparu imparfaitement par Jacques Krabal, député radical de gauche devenu LREM, ayant appelé à stopper l’agriculture bashing en 2014. Le terme exact est apparu dans un article d’Eddy Fougier du 6 juin 2016 (rq ou peut-être par un tweet de GRW). Il a ensuite été utilisé dans un article de 20 minutes le 18 octobre 2017, puis s’est popularisé en 2018 (surtout à partir de novembre). (Fougier 2019, p.53) Le terme a surtout été popularisé par Christiane Lambert, présidente de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), et les Jeunes Agriculteurs, notamment dans le cadre des discussions sur la loi EGALIM. Le terme a aussi été mobilisé dans la condamnation de la carte des « fermes usines » publiée par l’ONG Greenpeace le 26 novembre 2018.

Globalement, il désignerait le denigrement systematique du secteur agricole.

Le terme a également été repris par le ministre de l’agriculture, Didier Guillaume, qui a notamment demandé à ce que soit inscrit sur le stand du ministère au Salon International de l’Agriculture (SIA) de 2019 « Ensemble contre l’agri-bashing ». (Fougier 2020, p.47)

Aujourd’hui, trop c’est trop ! Il y en a assez de ce dénigrement permanent, de ce malentendu entre la société civile, les métropoles et la ruralité, entre les agriculteurs et leurs concitoyens. »

Didier Guillaume, alors ministre de l’agriculture, mercredi 27 novembre 2021 sur Europe 1

L’officialisation avec la création de la cellule DEMETER

Le terme a été « officialisé » avec la création d’une brigade de gendarmerie nationale dédiée, la « cellule Demeter », en octobre 2019. Elle est qualifiée de « cellule nationale de suivi des atteintes au monde agricole ». En pratique, Un article très complet du ministère de l’intérieur la présente:

Depuis quelques années, un phénomène grandit, inacceptable. De plus en plus, nos agriculteurs sont visés par des intimidations, des dégradations, des insultes. Des individus s’introduisent dans leurs exploitations agricoles et les bloquent. Ils font des films aux commentaires orduriers, avant de jeter les exploitants en pâture sur les réseaux sociaux. Parfois même, les intrus dégradent, cassent et volent.

En se multipliant, certains actes confinent à l’absurde. Je pense à ces militants animalistes responsables de la mort de plus de 1 400 animaux dans l’Eure pour leur avoir fait peur en s’introduisant dans un élevage de dindes.

Ces phénomènes, nous devons les prendre très au sérieux : ils gâchent la vie des agriculteurs, inquiets chaque jour de savoir ce qui peut leur arriver. Ils nourrissent l’agribashing, la défiance et l’hostilité.

https://www.interieur.gouv.fr/Archives/Archives-ministres-de-l-Interieur/Archives-Christophe-Castaner/Dossiers-de-presse/Presentation-de-DEMETER-la-cellule-nationale-de-suivi-des-atteintes-au-monde-agricole

Il y a une « convention entre le ministère de l’Intérieur, la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs« , par laquelle les parties s’engagent en substance à s’échanger des informations et la gendarmerie à renforcer la prévention et à prioriser les interventions pour les agriculteurs victimes d’actions violentes. Cela semble être de la déclaration de principe.

S’agissant des objectifs, il s’agit en un mot de mieux prévenir et réprimer les infractions dont sont l’objet les agriculteurs, dont ils distinguent deux pans : les actes crapuleux (vol notamment) ou actions idéologiques (les dégradations et intrusions antispécistes notamment). En effet, les agriculteurs sont particulièrement exposés aux infractions et, surtout, au vol de matériel agricole. En effet, près d’un tracteur est volé chaque jour. Les GPS sont aussi des cibles privilégiées.

Le 1er février 2022, un jugement du tribunal administratif de Paris a considéré illégales « les activités de la cellule nationale de suivi des atteintes au monde agricole qui se rattachent à l’objectif de prévention et de suivi d’ « actions de nature idéologique » ». En somme, il s’agit de la prévention d’action qui ne sont pas des infractions pénales (dont pas les intrusions dans les élevages). Cela désigne notamment « la tâche d’assister à des réunions d’associations locales oeuvrant pour la préservation de l’environnement ou d’interroger des responsables associatifs sur la teneur de leurs activités. » Le gouvernement a fait appel.

Un terme contesté

Ce terme est toutefois contesté. Dans une moindre mesure par le monde agricole et à grande échelle par le lobby agribashiste, dont l’argumentaire a été synthétisé par une sociologue, Yannick Sencébé.

Contestation agricole : Rémi Mer

Le terme est (marginalement) contesté dans le monde agricole (non agribashiste). Bernard Lannes, président de la Coordination rural, déclarait par exemple à Franceinfo en octobre 2021 « L’agribashing cache la forêt. […]La priorité reste d’augmenter les revenus des agriculteurs et de les tirer du bourbier administratif dans lequel ils sont plongés. » De même d’Emilie Jeannin (Confédération Paysanne), selon laquelle « Ce n’est pas l »agribashing’ qui pousse au suicide des agriculteurs, c’est l’absence de revenus et de sens à ce que l’on fait ! »

Nous discuterons la critique d’un journaliste agricole, Rémi Mer, publiée par le site national des chambres d’agriculture. Selon lui, les organisations « écologistes » cherchent à identifier des responsables à des problèmes environnementaux et les agriculteurs seraient des cibles idéales en raison « de la visibilité de leur activité et de leur emprise sur le territoire ». Le sentiment de dénigrement, bien réel, vécu par les agriculteurs serait un effet secondaire de cette démarche communicationnelle. Le terme « agribashing » dissimulerait cette mécanique et dissimulerait le fait qu’il ressort des sondages que les Français aiment leurs agriculteurs. Il serait ainsi un « double leurre », qui obscurcirait « plus qu’il n’éclaire la relation entre les agriculteurs et la société. »

Loin de contester la réalité sous-jacente, c’est le terme lui-même que conteste Rémi Mer.

Contestation agribashiste (ex: Yannick Sencébé)

Il y a évidemment un autre critique de la notin d’agribashing venant de la sphère pseudo-écologiste / agribashiste. La contestation la plus complète a sans doute été formulée par Yannick Sencébé (Maitre de conférences en sociologie depuis 2001 pour AgroSup Dijon/ UMR INRA Cesaer) dans son article « La (dis)qualification de la critique au temps de la transition agroécologique« .

L’agribashing serait une qualification pour critique de la transition agroécologique. Ce serait un « contre-feu », qui « contribue au brouillage des enjeux de la transition agroécologique »: mis en oeuvre par la FNSEA pour neutraliser les critiques contre le mode de production conventionnel / l’agriculture productiviste (utilisation de produits phytopharmaceutiques …). Le sentiment de colère qu’il exprimerait serait « réel et légitime », mais un « moyen d’éviter de perdre la face et l’estime de soi face à l’impossibilité ou à la difficulté de faire autrement ». Ils seraient en effet bloqués par les verrouillages sociotechniques les empêchant de rendre leurs pratiques plus durables.

Je ne développe pas, vous aurez reconnu le discours agribashiste lui-même, qui est développé tout au long du texte. Dans la même veine, vous avez l’article du Monde par l’essayiste Gilles Luneau. Cet argumentaire est repris en tout ou partie par de nombreux acteurs du lobby agribashiste, comme Générations Futures, qui qualifie même l’agribashing de « fable » (https://www.generations-futures.fr/actualites/agribashing-une-fable/).

Ici, ce n’est pas le terme d’agribashing qui est contesté, mais la réalité qu’il décrirait et son utilisation. C’est bien le dénigrement systématique de l’agriculture qui est présenté comme un produit communicationnel du « lobby productiviste ».

L’agribashing comme objet d’étude

En étudiant l’agribashing, aucune de ces définitions ne m’a convancu. En effet, le phénomène social dans sa globalité dépasse largement les seuls discours de dénigrement: cette idée ne prend pas en compte les nombreuses structures sociales dans lesquelles il s’inscrivent. S’agissant du propos de Rémi Mer, il se défend, mais passe à côté de la dimension institutionnelle et structurée derrière l’action communicationelle. Enfin, la dénégation agribashiste est simplement à écarter : il reprend simplement les discours agribashistes. L’agribashing nie évidemment sa propre existence.

En réalité, l’agribashing est un système, dont nous allons essayer de tracer les contours.

Qu’est-ce que l’agribashing ?

Il est assez difficile de saisir l’agribashing en partant des discours. Il est plus pertinent de partir des violences. On en voit plusieurs sortes: les agressions et autres infractions (intrusions et dégradation dans les exploitations agricoles …), insultes /expressions de mépris et enfin les violences administratives.

Ces violences s’appuient sur les fameux discours agribashistes. Ces derniers sont désinformatifs, il faut donc comprendre comment cette désinformation fonctionne. On voit également se dessiner tout un écosystème d’acteurs intéressés, soit que l’agribashing leur fasse gagner beaucoup d’argent, soit qu’il les fasse se sentir bien, dans une logique hédoniste.

Au final, c’est un système complexe tournant autour d’un ensemble de discours, de leur économie et des violences qu’ils produisent.

Il est très proche de la pseudo-écologie, mais l’agribashing va aussi mobiliser d’autres courants, comme l’antispécisme, qui n’appartient pas à la pseudo-écologie. Réciproquement, la pseudo-écologie est beaucoup plus large. Il y a donc chevauchement, mais pas identité.

Les contours de l’agribashing

Comme pour la pseudo-écologie, les contours sont difficiles à tracer. On retrouve les mêmes problématiques:

  • Comment faire la distinction entre le discours de dénigrement ordinaire, le discours de dénigrement institutionnel (=agribashing) et la simple critique ?
  • Comment distinguer violences agribashistes et violences touchant les agriculteurs

Ce sont à toutes ces questions que répondent dans une large mesure (c’est un champ disciplinaire) mon livre sur l’agribashing et les articles que vous pourrez lire sur ce blog.

Il faut aussi se demander: quelle est l’ampleur de l’agribashing ? Est-ce que cela ne touche que la France ? Ou le Monde ? On a vu avec la politique agricole au Sri Lanka (l’interdiction des pesticides et des engrais synthétiques) que cela pouvait également toucher, à leur détriment, les pays du tiers monde. Je n’ai pas encore traité ce sujet. L’agribashing semble avoir été coconstruit aux Etats-Unis (on voit notamment les prémisses derrière les discours des fondateurs de l’agriculture de conservation des sols dans les années 30-40), en France et en Allemagne.