Si le discours antinucléaire est articulé autour de discours ayant une certaine prétention à la rationalité, certains de ses éléments s’en affranchissent totalement et sont parfaitement absurdes. Il y en a de très nombreux, dont notamment l’accusation d’être « antidémocratique » ou « trop abondant ».

Le nucléaire antidémocratique

Le nucléaire serait « antidémocratique ». Cet argument est difficile à comprendre: c’est une décision comme une autre, décidée par les institutions démocratiques. Pourquoi cette énergie spécifiquement serait « antidémocratique »? Pourquoi moins qu’un parc éolien, qu’une autoroute ou qu’une usine de pantoufles ? Surtout, qu’est-ce que cela peut vouloir dire ?

Vous observerez que cet argument est étroitement lié au courant populiste, de très grande ampleur, consistant à présenter le pouvoir public actuel (juges et gouvernement) comme ‘illégitimes’.

L’absence de débats

L’un des reproches récurrents est que le nucléaire serait antidémocratique en raison de l’absence de débats.

Michèle Rivasi nous donne sans doute une piste. En réagissant à la condamnation en juin 2021 de manifestants contre le projet Cigeo à Bure, notamment pour avoir emporté des « substances ou produits incendiaires » et commis des violences graves contre les forces de l’ordre, l’eurodéputée tweete : « Le #nucléaire est incompatible avec la démocratie. Au lieu d’organiser un véritable débat sur la gestion des déchets hautement #radioactifs, on fait un procès aux lanceurs d’alerte à #Bure comme si c’était des malfaiteurs. » Les délits en question seraient-ils causés par l’absence de débats ? Passons sur le fait qu’elle utilise clairement cela pour déresponsabiliser les délinquants: le côté antidémocratique viendrait de « l’absence de débat ».

C’est évidemment absurde: rien dans la démocratie suppose qu’on fasse des débats sur tout et n’importe quoi. On vote librement pour élire des représentants qui ont une activité politique libre, c’est ça la démocratie. De plus, le nucléaire est justement un des sujets sur lesquels il y a le plus de débats. La SFEN la bien détaillée dans son article répondant au présent argument.

L’argument est d’autant plus cynique que les débats réalisés sur le sujet, notamment les consultations préalables [depuis quand ?], tendent justement à être « pourris » par les antinucléaires. Cela a par exemple été le cas des débats nationaux en 2022.

Un élément de langage vide

C’est un thème qui ressort comme un élément de langage, sans qu’il y ait quoi que ce soit à discuter. Par exemple :

Un débat démocratique est-il possible ? Après l’annonce du président sur la construction de nouveaux réacteurs, les détracteurs du nucléaire ont dénoncé une décision « antidémocratique » et « unilatérale ». « S’il s’était exprimé en tant que candidat à la présidentielle, Emmanuel Macron aurait été tout à fait légitime à se prononcer en faveur d’une relance du nucléaire, a par exemple réagi France Nature Environnement. Le problème, c’est qu’il a annoncé cette relance en tant que président. Les citoyennes et citoyens méritent d’être maîtres de l’avenir énergétique et décarboné de la France à travers un vrai et riche débat démocratique. » « Ce n’est pas en imposant des décisions depuis l’Elysée que l’on réussira notre transition énergétique » , a aussi estimé Greenpeace.

Relance du nucléaire : huit questions pour un débat radioactif, Le Monde, 19 novembre 2021

Tout est mélangé. Idem ici, où « antidémocratique » est lancé sans la moindre justification :

Les opposants au nucléaire, eux, ont dénoncé une annonce « déconnectée » de la réalité et « antidémocratique » . « Le nucléaire semble être une solution facile pour répondre au défi climatique, mais ce n’est pas le cas, juge Nicolas Nace, chez Greenpeace. Quand on regarde les délais, par exemple, les premiers réacteurs pourraient être mis en service au mieux en 2035, voire en 2039 ou 2040, alors que la priorité est de diminuer nos émissions de gaz à effet de serre de 55 % d’ici à 2030. » Selon une version de travail d’un rapport consacré aux coûts à la hausse (au moins 52 milliards d’euros) pour construire six nouveaux réacteurs, et révélé en octobre par le siteContexte, l’administration table sur une possible mise en service de la première paire « au plus tôt à l’horizon 2040 » , alors que RTE a retenu la date de 2035.

Une relance assumée du programme nucléaire, Le Monde, 12 novembre 2021

D’autres fois, c’est simplement incompréhensible. Ainsi, cette sociologue :

Pourquoi la France a-t-elle une telle tradition antinucléaire ? Le nucléaire est un peu dans le génome du pays : la France est le pays le plus nucléarisé au monde, des générations entières ont grandi avec une communication généralisée sur la nécessité et le caractère incontournable de l’atome. Notre consommation électrique, donc nos usages, donc nos modes de vie, sont conditionnés par l’énergie nucléaire qui a aussi une empreinte forte sur le fonctionnement démocratique ou au contraire antidémocratique des institutions. Par ailleurs, l’État français est un État nucléaire : le nucléaire est un symbole de pouvoir militaire et industriel, et ce n’est pas étonnant qu’Emmanuel Macron l’ait convoqué en décembre, quand il a dit que «l’avenir énergétique et écologique passe par le nucléaire». D’un point de vue de stratégie politique, on peut penser que le nucléaire est une bouée de sauvetage pour faire une démonstration de force dans un contexte de crise sanitaire et économique qui trouve l’État en situation de faiblesse.

«L’État surveille avec les mêmes craintes les militants et le plutonium», Libération, 9 juin 2021

  • https://twitter.com/TristanKamin/status/1384877872763084803
  • https://twitter.com/SeppiWackes/status/1399771105473318912
  • https://twitter.com/GoldbergNic/status/1461310326859776011

Le nucléaire trop abondant et effet rebond

Un autre argument étant tellement absurde que c’en est effrayant est l’idée que le nucléaire produirait une électricité trop abondante. Ce point est réellement terrifiant, car il heurte directement d’autres éléments du discours, comme l’idée que les EnR seraient moins chères.

De droite – extrême droite

L’énergie nucléaire est présentée comme étant de droite ou d’extrême droite.

C’est d’autant plus ahurissant que la gauche a largement célébré le nucléaire.

https://twitter.com/ggaulier/status/1465401649871077381

Le besoin de diversification

C’est un élément de langage qui a été au cœur de la désinformation mise en œuvre par Barbara Pompili dans sa défense de la fermeture de Fessenheim, pour défendre l’objectif de descendre à 50% de nucléaire.C’est une argutie évidente.

L’idée que le nucléaire serait incompatible avec les EnR est d’autant plus battu en brèche que de nouveaux modèles de réacteurs nucléaires sont justement conçus pour faciliter la combinaison avec les EnR, en les combinant notamment à un stockage de chaleur à sels fondus.

L’énergie « du passé »

Le nucléaire serait une énergie « du passé ». Ainsi, Greenpeace manifeste régulièrement avec des costumes de dinosaures. Par exemple, Manon Aubry a récemment opposé le nucléaire aux EnR, qui seraient, elles, des « énergies d’avenir« .

Connexion avec les autres bullshits anticapitaliste

De manière générale, les discours antinucléaires s’inscrivent dans la « lutte anticapitaliste » et se connectent souvent aux autres bullshits courants. Par exemple, avec le bullshit pseudo-féministe (ex: « Les Bombes Atomiques. Un collectif antinucléaire qui rêve d’en finir avec le patriarcat » , Nouvelles Questions Féministes 2021/2 (Vol. 40), pages 190 à 195). La difficulté pour commenter ce point est qu’il faudrait aussi déconstruire chacune de ces grandes désinformations.

Autres exemples :

  • https://lucian.uchicago.edu/blogs/atomicage/2022/07/21/nuclear-power-is-racist-sexist-and-ageist-via-beyond-nuclear-international/