Ecolieux, mysticisme et extrême droite [24/08/2024]
J’ai vu passer un thread d’un anticapitaliste s’intéressant à la pseudo-écologie qui exprimait sa déception quant aux éco-lieux et on y retrouve plusieurs des caractéristiques de la pseudo-écologie.
Il réagissait à un article de Reporterre vantant la pratique.
Antivaxx et nature déifiée
« Alors j’ai passé six mois dans des écolieux et c’est pas des « bastions contre » mais des « passerelles vers » l’extrême droite. Un univers de conspi antivax new agers glorifiant la Nature déifiée, qui ont fait du dev perso et de la Pensée Positive un mode de vie, et dont les essais « d’autres façons de faire qui aideront peut-être à mieux traverser les crises » ne sont que du survivalisme peace and love. En mode « Il n’y a rien d’incompatible à vivre une apocalypse et un happy collapse », comme dit leur pote Servigne, qui a vécu en écolieux. »
On retrouve déjà beaucoup de choses :
- Le lien avec la sphère conspirationniste antivaxx
- La glorification de la Nature déifiée, qui est effectivement un point de convergence entre antivaxx et pseudo-écologistes.
- Idem avec le développement personnel (ce que je n’ai pas encore approfondi).
Antihumanisme
« Ça « lutte » pour sauver l’espèce comme l’ED lutte pour sauver la race, et ça construit des bastions de blancs CSP+ valides, parce que si l’espèce doit survivre et repeupler à partir de ces bastions après l’effondrement (contre lequel iels n’auront rien fait), autant que ça soit sur les mêmes bases cradingues que l’ED, hein ! Et osef de l’agonie actuelle et à venir de toustes les autres.
On est sur la même ligne que Damasio, qui s’est beaucoup rapproché du mouvement des écolieux (et de Servigne) ces dernières années : « Pour moi, pourvu que le vivant continue à exister, et après, bah si y reste que dix mille habitants mais qu’on se reproduit, on recréera une forme d’humanité ; c’est pas forcément aussi grave que ça ».
Ouais, 8 milliards de morts, pas forcément aussi grave que ça. «
On retrouve la logique antihumaniste, particulièrement importante dans la « décroissance », qui est avant tout une décroissance de la population. Il observe aussi la convergence avec l’extrême droite.
Anticapitalisme, néoluddisme et pseudo-alternative
« N’allez pas chercher Marx ou Guérin dans leurs bibliothèques, vous trouveriez seulement Krishnamurti, ou des trucs pour vous apprendre à vous nourrir de lumière. Moins cher encore que les pâtes premier prix et les tomates sans huile, tiens.
Ça serait trop con de découvrir qu’on connait déjà « d’autres possibles », que ça fait 200 ans que des gens luttes et meurent pour ces autres possibles et savent que ça se fait pas en se branlant les chakras autour de courgettes boostées à la lune montante et à la bouse de corne. Faudrait pas non plus sortir du prisme technocritique radicale sauce Floraisons et anticiv sauce Jansen/DeepGreenResistance, ça viendrait appuyer là où la saloperie réac fait mal. Anticapitalisme d’apparat, et bastions contre l’extrême droite mon cul. »
Ici on voit que l’auteur est un anticapitalite radical, faisant de « Marx ou Guérin » comme des références obligatoires et parlant des « autres possibles » qu’ils dessinent comme des choses désirables pour lesquelles des gens « luttent et meurent » depuis 200 ans. Voilà, les khmers rouges approuveraient ce message. C’est aussi le thème de la pseudo-alternative.
On le voit aussi critiquer le « prisme technocritique radicale » et « anticiv ». C’est une des divergences possibles entre les anticapitalistes et le pseudo-écologistes. Rappelons que l’URSS valorisait le progrès technique (centrales nucléaires, vol spatial …). Là il critique ne réalité la dimension néoluddite de cette mobilisation.
Discussion
Il a eu une discussion avec un autre anticapitaliste, qui souligne très justement « les convergences » entre l’idéologie derrière les éco-lieux et celle de l’éducation non violente, cette dernière consistant juste in fine à faire obéir l’enfant.
L’interlocuteur relève notamment « un rapport à l’autoritarisme similaire, qu’on pourrait résumer par : « j’ai raison, je le sais et pas toi, et tous mes efforts n’ont qu’un seul objectif, celui de te faire entendre raison »« .
Voici le texte :
« – En vrai y a pas ou quasi pas de gens sur les écolieux qui vont voter RN ou même à droite. Globalement c’est pas conscientisé du tout, ces passerelles idéologiques, qui reposent plus sur des patterns de pensée communs avec un habillage différent. Idem pour ce qui est de l’aspect « alternatif » au capitalisme : y a une opposition sincère mais globalement très naïve, et on ne sait pas très bien ce que c’est, en fait, le capitalisme. D’ailleurs on entend plus une critique du « Système », compris comme un truc un peu abstrait teinté conspi, que du capitalisme, avec le logiciel duquel, d’ailleurs, quand on gratte un peu, il n’y a pas moins de passerelles. Pensée Positive et gestion managériale du stress, même combat, par exemple. »
On sent que les auteurs sont des anticapitalistes « experts » qui se moquent du manque de sophistication du discours des débutants.
« – Après quand il y a conscientisation ça peut donner des gens assez solides, notamment parce que prendre conscience d’une certaine « naïveté » peut donner une grille de lecture assez fine des mécanismes qui conduisent à adhérer (souvent à fond de balle) à ces idées
– Ouais, mais d’un autre côté y a un investissement tellement grand dans leur démarche vers les écolieux (investissement émotionnel, en temps, en argent, en narration dans les relations sociales avant/pendant la démarche, etc), que le shift est compliqué. Pour la grande majorité des gens que j’ai rencontrés sur les lieux, habitants ou visiteurs/wwoofers, les aspects antisciences, conspi, new age sont beauuuucoup plus prégnant et structurant que les aspects anticap. Plus le fait qu’au fond leur logiciel ne diffère pas fondamentalement du logiciel libéral. IMO, pris dans son ensemble, le mouvement fabrique beaucoup plus de conspifaf que d’anarchistes. »
Cette question de l’investissement est centrale pour comprendre la pseudo-écologie et le militantisme en général. Je l’avais déjà souligné dans « La politique est-elle une économie du bullshit ? » (p.13) , dans la partie sur « L’escalade d’engagement ou la psychologie des coûts perdus »:
« Cela peut être particulièrement puissant : imaginez un militant antivaccin qui a convaincuson conjoint et éduqué ses enfants selon la croyance que les vaccins sont une création de BigPharma pour rendre tout le monde malade et toute la mythologie autour de ces délires. Comment savie changerait s’il réalisait ses erreurs ? Quelle image aurait-il de lui, qui aura pensé ces absurdités,menti à sa femme et ses enfants pour son propre intérêt ? S’il l’exprime, c’est encore pire : c’esttoute sa cellule familiale qui est en danger. Il devra alors vivre en feignant de continuer à penser sesidioties, en se voyant ainsi mentir à sa femme et à ses enfants. Il est coincé. »
C’est un élément important de l’économie de la pseudo-écologie : il faut rendre les gens complices.
« Le fait aussi que ce soit des lieux d’accueil de personnes intéressées/inspirées par cette démarche et ce mode de vie, que la plupart des écolieux reçoivent un nombre conséquent de visiteurs/wwoofers/journalistes chaque année, et que donc y a comme un processus de validation permanente de leur démarche, ça vient également les conforter et ça rend aussi le shift très compliqué et peu probable. Chaque nouvelle visite amenant en plus une redite de leur discours qui, de redite en redite, se renforce comme vérité et conviction.
– Ah ben l’entre-soi c’est clairement un objectif central dans ces démarches oui ! »
Le cercle vicieux …