France Inter, Habets, Crauser-Delbourg et l’irrigation [14/08/2023]

Florence Habets a une place notable dans la désinformation sur l’irrigation et j’ai observé que, depuis très récemment, une consultante-économiste, Esther Crauser-Delbourg a commencé à apparaître.

Elles avaient été invitées l’année dernière par France Inter, avec Eric Frétillère, alors président de l’association des irrigants de France.

Le contexte

On commence par aborder le contexte : il y a eu une forte sécheresse, puis d’importantes pluies.

F. Habets explique que cela n’a pas recharché les nappes, car le sol est trop sec pour absorber l’eau. Eric Frétillère explique que les pluies de juin ont « changé la donne » pour son maïs, car c’était le moment où il avait besoin d’eau. C’était la première fois qu’il n’avait pas encore fait de tour d’irrigation en juin.

Florence Habets donne les tendances de disponibilité de l’eau.

Ensuite E. Crauser-Delbourg donne la répartition de l’utilisation de l’eau en France : 20% pour les foyers, eau qu’elle qualifie de « bien commun » et 80% pour l’économique, qu’elle qualifie de « bien économique ».

Elle souligne la nuance entre prélèvement et la consommation.

S’agissant du prélèvement, 65% serait pour l’eau potable, 17% pour le nucléaire, 10% pour l’industrie et 10% pour l’agriculture. S’agissant de la consommation, l’agriculture représente 58%, le nucléaire avec 30% et le reste entre l’eau potable et l’industrie.

« Ca ne veut pas dire qu’il faut moins consommer de l’eau ou arrêter de consommer de l’eau, simplement il faut peut-être la consommer mieux .. » (5’10 »)

Rien à commenter sur cette partie.

Les conflits d’usage

Le journaliste interroge ensuite Esther Crauser-Delbourg sur l’existence déjà de conflits d’usage.

Elle évoque notamment Sainte-Soline. C’est un point discutable : Sainte-Soline n’est pas un cas de conflit d’usage, les manifestants veulent que l’eau ne soit pas utilisée tout court.

Elle développe que des conflits d’usage sont possibles vu qu’il n’y a plus d’eau potable dans certaines commune, mais ne précise pas. Elle conclue néanmoins « on est déjà en situation de crise ».

L’intervention de Eric Frétillère

Interrogé sur les conflits d’usages, Eric Frétillère commence en remettant en question la notion de consommation appliquée à l’agriculture: « L’agriculture, elle, elle rend pas l’eau. Alors ça, j’ai du mal à comprendre. […] L’eau de toute façon elle revient dans l’environnement, avec un délai plus ou moins long. » Il reproche également que l’agriculture soit assimilée à l’industrie, alors que la nourriture est un des besoins fondamentaux et que sans eau, pas de production.

Il souligne que « des tensions, il y en a tous les ans » et que des comités de gestion se mettent en place pour trouver des solutions.

[Je rajouterais que nous couvrons une partie de nos besoins en eau en mangeant des aliments. Les légumes par exemple sont composés essentiellement d’eau.]

Florence Habets et l’impact sur la biodiversité

Un particulier, Paul, pose une question qui amène le journaliste à demander à aborder le sujets des « méga-bassine », à rappeler le principe (prélever l’eau en hiver pour irriguer en été) et demande à Florence Habets, antibassine notoire : « Ces retenues d’eau agricole, c’est une vraie ou une fausse solution pour vous ? »

[L’emploi du terme retenues d’eau est heureux, le terme bassine étant connoté]

L’hydrologue commence par rappeler quelque chose d’intéressant :

« On a parlé d’eau comme d’une ressource, mais l’eau c’est quand même tout à fait différent d’une ressource minière. Comme l’a dit Eric, c’est indispensable à la vie, à tous les éléments vivants bien sûr, et donc en fait l’eau, c’est un patrimoine commun […] et pas qu’aux humains, commun aussi à toute la biodiversité. […] ll faut les partager avec tout le vivant. »

Elle reproche ensuite un point important aux « bassines » :

« Elles maintiennent des niveaux de la nappe relativement bas en hiver et ce faisant, elles contribuent, et malheureusement c’est le cas actuellement, à des assèchements, en tous cas des niveaux très bas des rivières en hiver et ce faisant elles ont un impact très fort sur la biodiversité. » (10’50 »-11’04 »)

La première partie de son discours commence avec une phrase intéressante, car l’eau est présentée justement comme une ressource minière, quelque chose qui n’est pas renouvelable, par son propre camp et notamment Esther Crauser-Delbourg, qui l’assimile au pétrole ou au gaz.

Néanmoins, elle va à la place donner une vision mystique de l’eau pour dramatiser l’impact des « bassines » sur la biodiversité.

Eric Frétillère et la privatisation

Le journaliste donne ensuite la parole à Eric Frétillère. Il contredit Florence Habets sur l’évolution de la pluviométrie. Il rappelle que c’est néanmoins la répartition dans le temps et dans l’espace qui va être impactée, « avec des excès en période hivernale et des sécheresses en été », et qu’il faut donc du stockage.

Le journaliste demande si ce n’est pas une « privatisation de la ressource parce qu’on vient là directement pomper dans la nappe ».

L’agriculteur dément en rappelant que la nappe est libre [= change rapidement] et prélevée seulement en excès. Il rappelle aussi que le projet de Sainte-Soline a succédé à une concertation sans précédent et que les irrigants ont une démarche de sobriété et de transition agroécologique. Selon lui, sans ce projet, la zone deviendra désertique.

Le journaliste demande s’il ne faudrait pas d’autres mesures comme le changement de culture. L’agriculteur répond qu’ils regardent toutes les possibilités, qu’il ne faut exclure aucune solution et que le stockage de l’eau en fait partie.

Esther Crauser-Delbourg

Le journaliste évoque le plan sobriété eau, avec un objectif d’une réduction de 10% des prélèvements, mais qui ne concerne pas l’agriculture à qui on ne demanderait pas de baisser. Il demande à Esther Crauser-Delbourg « Est-ce que c’est compréhensible alors qu’on demande des efforts à tout le monde ? »

Elle répond que ce plan met surtout l’accent sur les foyers, qui ne représentent pourtant que 20% des prélèvements. Les solutions seraient déjà là (pour les foyers ?).

On ne saurait pas mesurer la quantité d’eau qu’on utilise par jour pour nos activités économiques. Elle fait référence à l’empreinte eau.

Le plan du gouvernement mettrait l’accent sur l’augmentation de l’offre de l’eau, par la réutilisation des eaux usées ou de pluie notamment. Elle lui reproche de ne pas aller assez loin sur la réduction de la demande.

Ce discours s’inscrit bien dans la logique de la décroissance.

Il y aurait un gros problème sur le financement : les particuliers représentent 16% des prélèvements, mais contribuent à 75% des infrastructures. Est évoquée la tarification progressive, qui aurait été mise en place à Montpellier et aurait eu un effet pédagogique et une efficacité concrète.

Le propos du financement oblitère les différences en termes de coûts de l’eau pour les particuliers par rapport à l’eau des industriels (maillage d’infrastructure plus important, meilleure qualité ?) et permet de faire appel à l’envie, un moteur important de l’anticapitalisme.

Florence Habets et les économies d’eau

Le journaliste demande à Florence Habets qui devra faire les efforts pour réduire sa consommation.

Elle commence par reconnaître, « comme l’a dit Eric, la production agricole, c’est bien aussi pour notre alimentation ». Elle rappelle que l’homme dérive déjà la moitié des rivières de la planète.

« On peut pas continuer sur cette trajectoire à intensifier encore l’impact anthropique sur la ressource en eau. […] Ca passe par un changement systémique et pas ponctuel. Dire qu’on va continuer à progresser dans l’irrigation, ça veut dire simplement qu’on ne change pas de trajectoire et ça, ça va pas beaucoup nous aider. Et par contre, c’est vrai, je rejoins Eric Frétillère sur ce diagnostic, avec les situations difficiles anticipées avec le changement climatique, il est pas impossible qu’on ait besoin d’irrigation dans plus de territoires qu’aujourd’hui. […] Déjà aujourd’hui tous les maraichers et sans doute beaucoup d’arbres fruitiers sont déjà irrigués, mais demain ce sera 100%. »

Eric Frétillère et la réduction

Le journaliste demande à Eric Frétillère si les irrigants sont prêts à faire un effort de réduction de la consommation.

L’agriculteur commence par rappeler « le travail et la réduction de l’efficience de l’eau qui a été fait ces 10-20 dernières années. on est partis de l’irrigation gravitaire dans les montagnes, on est passés à l’aspersion. On a déjà diminué énormément les volumes. De l’aspersion, on est passés au goutte à goutte [puis ] à la micro irrigation. Aujourd’hui on optimise au maximum. Je pense qu’aujourd’hui il y a encore des marges de progression, mais effectivement on a déjà un travail énorme qui est en route et qui est en place. »

Il rappelle ensuite qu’un changement de culture ne se fait pas en claquant des doigts. Il compare une exploitation agricole à un énorme paquebot qui se manoeuvre difficilement.

Favoriser l’infiltration dans les sols

Une auditrice demande si on aide l’infiltration de l’eau dans les sols, notamment en améliorant la matière organique des sols.

Eric Frétillère confirme que c’est aussi une des évolutions de l’agriculture, citant notamment la diffusion des couverts hivernaux. Il rappelle aussi que l’irrigation développe justement la biomasse et le stockage du carbone.

C’est un point très important, qui contredit notamment d’autres discours de Esther Crauser-Delbourg, qui prétend qu’aucun progrès ou presque n’aurait été fait.

Florence Habets nie cette augmentation de la biomasse parce que « pour augmenter la matière organique, il faut que cette biomasse reste en partie dans les champs. Donc il faut pas tout exporter la production. »

On retrouve d’abord la diabolisation de l’agriculture, qui serait, pour Florence Habets, entièrement dédiée à l’exportation, même les déchets ! C’est faux, les déchets sont souvent laissés sur la parcelle, d’une part, et d’autre part les couverts hivernaux sont en général entièrement laissés sur place. C’est à ce genre de mensonges éhontés qu’on voit que la chercheuse a une démarche purement militante, totalement intégrée à la pseudo-écologie. Néanmoins, chercheuse au CNRS, elle peut utiliser le prestige de son poste et son apparence de neutralité pour désinformer plus efficacement.

Elle continue : « Il est clair que l’agriculture irriguée est très souvent aussi une agriculture assez intensive, avec pas mal d’intrants chimiques. Et là ça pose des problèmes de qualité à la ressource en eau, avec des polluants diffus et vous savez que l’état des nappes est assez mauvais, avec des risques dans beaucoup d’endroits d’atteindre un niveau qui ne permet pas d’utiliser cette eau pour l’eau potable. »

Elle insinue que l’irrigation dégraderait la qualité de l’eau sans apporter aucun élément probant, juste par un raisonnement fallacieux.

Or, quand il y a une sécheresse en pleine floraison et que vos rendements s’effondrent, vous avez déjà mis l’essentiel de vos intrants. Ces derniers auront donc été, dans une large mesure, « perdus ». L’irrigation permet de sauver ce potentiel de rendement et de valoriser ces intrants.

Or, la consommation d’intrants doit s’évaluer au regard de la production permise.

Ainsi, outre l’absence de lien de causalité significatif démontré entre irrigation et intrants, l’irrigation permet en fait probablement de réduire à production égale l’utilisation d’intrants.

Son intervention s’inscrit dans le pesticide-bashing.

Esther Crauser-Delbourg et la réutilisation des eaux usées

Le journaliste finit en questionant Esther Crauser-Delbourg sur le thème du retard dans la réutilisation des eaux usées (1%).

Elle rappelle qu’il n’y a pas de solution miracle. On serait effectivement en retard (1% en France contre 8% en Italie et 14% en Espagne). Néanmoins, on ne peut pas « tout prendre », « sinon des fleuves comme la Seine ne pourraient pas exister aujourd’hui ».

Pour elle, « l’eau manque d’un statut ». « Si elle n’a pas de statut, et bien on va aussi entre ce flou qui nous empêche de la gouverner, de la mesurer et c’est la seule façon pour que la politique gouvernementale, économique, puisse se mettre d’accord. Peut-être avec un prix ou une taxe. »

On retrouve l’imposture de cette consultante, qui prétend que l’eau ne serait pas régulée …