Le docteur Séralini et son équipe ont publié une étude le 19 septembre 2012, portant sur une souche de maïs OGM résistant au glyphosate qui montrerait que « Même à faible dose, l’OGM étudié se révèle lourdement toxique et souvent mortel pour des rats. » :

Gilles-Éric Séralini, Emilie Clair, Robin Mesnage, Steeve Gress, Nicolas Defarge, Manuela Malatesta, Didier Hennequin et Joël Spiroux de Vendômois, « RETRACTED: Long term toxicity of a Roundup herbicide and a Roundup-tolerant genetically modified maize », Food and Chemical Toxicology, Elsevier, vol. 50, no 11,‎ novembre 2012, p. 4221-4231

Elle a été combinée à une stratégie de communication destinée à lui donner une couverture médiatique extraordinaire et promouvoir deux livres et un film. Etant sans la moindre portée scientifique en raison de failles méthodologiques gravissimes, cette affaire Séralini a été un un scandale scientifique et médiatique extraordinaire qui a indigné le monde scientifique.

La rétractation de cette publication scientifique a néanmoins ouvert une seconde polémique, que nous allons étudier ici après vous avoir présenté les grandes lignes de l’affaire Séralini.

L’affaire Séralini

Affaire Séralini: le scandale scientifique

Cette étude avait des failles méthodologiques monstrueuses. Elle a été jugée inutilisable par les autorités sanitaires (EFSA) et même épinglée par les Académies nationales d’Agriculture, de Médecine, de Pharmacie, des Sciences, des Technologies, et Vétérinaire. Ses très nombreuses et graves failles ont notamment été exposées par Arjo et al. 2013. Voici les deux points principaux :

  • Le protocole était extrêmement douteux en raison de la durée de l’étude (extrêmement longue: deux ans) et du choix des rats, des « Sprague Dawley », une espèce avec une durée de vie courte et ayant particulièrement tendance à développer des tumeurs. Une étude (Davis et al.1956) portant sur 150 rats femelles Sprage Dawley en situation de groupe contrôle, 57 % ont eu des cancers et la longévité moyenne était de 760 jours. 80 % des tumeurs sont apparues après un âge de 540 jours. Il aurait également fallu 50, voire 65 souris par groupe au lieu de… 10.
  • Séralini n’a pas effectué de test statistique. Le Haut Conseil des biotechnologies (HCB) s’en est chargé et a conclu dans son avis du 19 octobre 2012 :

« Le protocole et les outils statistiques utilisés souffrent de graves lacunes et faiblesses méthodologiques qui ne permettent absolument pas de soutenir les conclusions avancées par les auteurs. 1. Une analyse statistique rigoureuse des résultats obtenus lors de cette étude ne met en évidence : — aucune différence statistiquement significative de la mortalité des rats dans les groupes témoin et expérimentaux, — aucune différence statistiquement significative des nombres de tumeurs dans les groupes témoin et expérimentaux. 2. La méthodologie statistique employée pour l’analyse des paramètres biochimiques est inadéquate et ne permet pas de conclure à l’existence de différences statistiquement significatives entre les groupes témoin et expérimentaux. »

Notez qu’il ne s’agit pas d’un vague truc technique. Par exemple, dans plusieurs groupes où les animaux se voyaient nourrir de grosses doses d’OGM / de glyphosate, le taux de mortalité était de 10 %, contre 20-30 % pour le groupe contrôle …

Bref, c’était absolument n’importe quoi et cela a été dénoncé par l’ensemble de la communauté scientifique (ex: plusieurs Académies scientifiques françaises). Elle a été explicitement « rejetée » par les agences sanitaires de l’Union européenne, de l’Allemagne, des Pays-Bas … Même le Centre International de la Recherche sur le Cancer n’en a pas voulu, concluant p.355: « [The Working Group concluded that this study conducted on a glyphosate-based formulation was inadequate for evaluation because the number of animals per group was small, the histopathological description of tumours was poor, and incidences of tumours for individual animals were not provided.] »

Affaire Séralini: le scandale communicationnel

Le Nouvel Observateur présente en exclusivité dans un article du 17 septembre 2012 (deux jours avant la parution officiel donc …) qui a été titré « Oui, les OGM sont des poisons ! Les révélations d’une étude de scientifiques français. » (Malaurie 2012)

L’article annonce en même temps le film « Tous Cobayes ? », pour 9 jours plus tard:

« Dès le 26 septembre, chacun pourra voir au cinéma le film choc de Jean-Paul Jaud, “Tous Cobayes ?”, adapté du livre de Gilles-Eric Séralini, et les terribles images des rats étouffant dans leurs tumeurs. Des images qui vont faire le tour de la planète et d’internet, puisqu’elles seront diffusées sur Canal+ (au “Grand Journal” du 19 septembre) et sur France 5 (le 16 octobre dans un documentaire). Pour les OGM, l’ère du doute s’achève. Le temps de la vérité commence. »

Il promeut également son livre sur le sujet (Tous cobayes), ainsi que de celui de Corinne Lepage (« La vérité sur les OGM, c’est notre affaire ! », éd. Charles Léopold Mayer) , qui est présentée dans 2 paragraphes entiers. Elle était « fondatrice et présidente d’honneur du Comité de Recherche et d’Information sur le Génie Génétique (Criigen), dont fait partie Séralini et qui a géré les financements de ses recherches. » (Aït-Kaci 2013)

Énormément de journaux nationaux ont repris l’étude et l’interprétation qu’en donnait Séralini et ainsi que l’image des trois rats avec des tumeurs énormes (pur appel à l’émotion, aucune pertinence pour apprécier la portée de l’étude). Il est invité, ainsi que des personnalités anti-OGM, comme J.Bové ou C.Lepage sur des plateaux télé pour parler de son étude. (Aït-Kaci 2013)

Ce papier n’est pas simplement biaisé: il a été la pierre angulaire d’une opération de marketing promouvant un film et deux livres. C’était une opération de communication.

Ah, un détail intéressant: Carrefour et Auchan, très présents sur le bio, ont été de vrais moteurs (tant en matière d’efforts que de financements) pour l’étude à travers un montage financier (que Séralini raconte lui-même dans son livre …).

C’était « l’affaire Séralini ».

Pour aller plus loin sur elle, je vous encourage à consulter :

J’aborde également le sujet dans mon livre, « l’agribashing, une violence qui s’ignore« , l’affaire Séralini étant un élément important dans la construction de l’agribashing.

Une rétractation défendable et sans portée scientifique

L’affaire a déclenché un tel tolé que l’étude a été rétractée. Cette rétractation a été elle-même l’objet d’une polémique, que nous allons aborder ici. Nous verrons que les arguments développés ne tiennent pas et que la rétractation est, au regard des éléments soulevés, parfaitement fondée.

L’article de Resnik vous permet bien de comprendre la controverse ici: « Inconclusiveness, by itself, is not a sufficient reason for retracting an article, though a flawed study design might be.« 

Les critiques basées sur les normes du COPE

Les critiques de la décision de rétractation (Resnik 2015, Portier et al. 2014 …) prétendent que les normes du Committee on Publication Ethics 2009, auquel adhérait la revue et son éditeur, Elsevier, n’incluaient pas ce cas de rétractation et que « Inconclusiveness, by itself, is not a sufficient reason for retracting an article, though a flawed study design might be. » (Resnik 2015)

Parmi ces normes, on trouve d’abord quelques conditions très restrictives (plagiat, « reports unethical research » …), puis : « Journal editors should consider issuing an expression of concern if they receive inconclusive evidence of research or publication misconduct by the authors ». Plus loin : « Retraction should usually be reserved for publications that are so seriously flawed (for whatever reason) that their findings or conclusions should not be relied upon ». Ses guidelines englobaient donc le cas Séralini, qui était donc parfaitement justifié.

Sémantique et arguties

Resnik 2015, qui relève cela, s’en « sort » par une pirouette: en critiquant l’utilisation du terme « Inconclusiveness« :

As mentioned earlier, critics identified a number of different serious flaws with the study, such as small sample size and lack of statistical analysis of the main endpoints. However, the editors of FTC did not indicate that they were retracting the paper because the research design was seriously flawed. Instead, they chose to retract it due to “inconclusiveness”. Perhaps they could have chosen a better way to express their concerns with the paper, since a great deal of published research is inconclusive (Portier et al. 2014).

Je vous remets la motivation de la rétractation ici:

« However, there is a legitimate cause for concern regarding both the number of animals in each study group and the particular strain selected. The low number of animals had been identified as a cause for concern during the initial review process, but the peer review decision ultimately weighed that the work still had merit despite this limitation. A more in-depth look at the raw data revealed that no definitive conclusions can be reached with this small sample size regarding the role of either NK603 or glyphosate in regards to overall mortality or tumor incidence. Given the known high incidence of tumors in the Sprague–Dawley rat, normal variability cannot be excluded as the cause of the higher mortality and incidence observed in the treated groups.

Ultimately, the results presented (while not incorrect) are inconclusive, and therefore do not reach the threshold of publication for Food and Chemical Toxicology. The peer review process is not perfect, but it does work. »

(j’ai mis en gras) Gilles-Eric Séralini, Emilie Clair, Robin Mesnage, Steeve Gress, Nicolas Defarge, Manuela Malatesta, Didier Hennequin, Joël Spiroux de Vendômois, RETRACTED: Long term toxicity of a Roundup herbicide and a Roundup-tolerant genetically modified maize, Food and Chemical Toxicology, Volume 50, Issue 11, 2012, Pages 4221-4231, ISSN 0278-6915, https://doi.org/10.1016/j.fct.2012.08.005.

On parle donc bien des failles sérieuses de l’étude …

En outre, l’argument lui-même est de la pure rhétorique et de la malhonnêteté: la décision n’est pas nécessairement motivée que par les éléments avancés. Il faut d’ailleurs ajouter que la rétractation aurait d’ailleurs également pu être motivée par des problèmes éthiques :

With specific regard to the reported animal studies, there was also an abject failure to treat the experimental animals in a humane manner, within the standards of the national and international regulatory authorities. […] Whole body photographs presented in the paper clearly show animals that have been allowed to suffer well beyond the point where they should have been euthanized.

Arjo et al. 2013

Une décision moralement justifiée

Enfin, si les règles autour de la rétractation ne prennent pas en compte les possibilités du marketing moderne mis en oeuvre par Séralini. Il serait tout à fait logique de faire évoluer les règles pour protéger le système de publication scientifique de ces instrumentalisations internes. Entretemps, il est tout à fait logique que des journaux fassent prévaloir l’esprit de la règle sur le texte de la règle. On peut estimer que la rétractation était en elle-même totalement justifiée.

Notez que la police de rétractation d’Elsevier actuelle, conçue a minima depuis 2014, s’appliquerait : peuvent motiver une rétractation « Infringements of professional ethical codes, such as multiple submission, bogus claims of authorship, plagiarism, fraudulent use of data or the like. Occasionally a retraction will be used to correct errors in submission or publication. » (Site Elsevier, en décembre 2014)

Pour résumer:

  • Quand on reprend les critères de rétractation « possibles » évoqués par les critiques de la décision, on voit qu’ils englobent le cas Séralini.
  • Si elle n’était pas explicite à ce moment, Elsevier (donc une énorme édition scientifique) a posé une politique de rétractation englobant clairement le cas Séralini.
  • Même en l’absence de règles explicites, il est évident que l’esprit des normes englobait le cas Séralini.

Donc non seulement la rétractation n’était pas choquante, mais en plus elle semble même parfaitement logique au regard tant des règles que de la morale. Il y a bien un scandale, mais ce n’est pas celui qu’on croit …

De plus, on voit mal ce que la rétractation a retiré à l’article, qui n’avait à la base aucune portée scientifique. La rétractation n’a donc rien fait évoluer sur ce plan.

Si vous voulez prendre un peut de recul sur la rétractation, je vous invite à lire l’article Wikipedia.

Séralini et les Monsanto Papers: la rétractation

Cette triste affaire a néanmoins été réactivée par les Monsanto Papers quant à la rétractation de l’article.

Cette seconde affaire Séralini est aussi scandaleuse que la première, mais pas pour les raisons auxquelles on pourrait penser de prime abord.

Une réaction encouragée par Monsanto

L’un des reproches adressé à Monsanto est que l’entreprise aurait été à l’origine de la réaction contre l’étude de Séralini.

Saltmiras

D. Saltmiras admettait avoir « facilité » l’envoi des lettres d’experts à l’éditeur ayant participé à motiver la rétractation de l’article.

Successfully facilitated numerous third party expert letters to the editor which were subsequently published, reflecting the numerous significant deficiencies, poor study design, biased reporting and selective statistics employed by Seralini.

D. Saltmiras MONGLY01045300

Je ne vois pas ce qu’il y a de choquant au fait d’interpeler les gens qu’on connait sur le fait qu’on ait subi une injustice et que ces personnes s’indignent à leur tour.

Sachs et Goldstein

Selon Mc Henry (2020, p.8), cet échange portant sur la préparation d’une présentation de Monsanto traduisait une influence:

E. Sachs : Consider adding a bullet regarding – 25 scientists from 14 countries respond with letter to the editor.

D.Goldstein : Considered doing this already- but I was uncomfortable even letting shareholders know we are aware of this LTE [letter to the editor]. It implies we had something to do with it- otherwise how do we have knowledge of it?
I could add « Aware of multiple letters to editor including one signed by 25 scientists from 14 countries » If you both think
this is OK.
We are being asked to keep internal correspondence down on this subject.

E. Sachs: We are « connected » but did not write the letter or encourage anyone to sign it.

28-9-2012, MONGLY00936725

Ce serait plus précisément le cas de la phrase  » It implies we had something to do with it- otherwise how do we have knowledge of it? » Qui porte pourtant, simplement sur des questions d’apparence: cela ne veut pas dire « cela trahit que nous l’avons écrite, etc. »

[Rq: Mc Henry ne cite qu’une partie de ce dialogue. C’est un très bel exemple de la partialité de l’individu qui du reste travaillé avec le cabinet qui a représenté entre autres Dwayne Johnson]

Sur ce point, il n’y a rien à discuter, puisqu’il n’y a rien de répréhensible, ni sur un plan réglementaire quelconque, ni même sur le plan moral. Pourquoi Monsanto aurait du rester silencieux, alors qu’il était attaqué par une stratégie malhonnête de désinformation massive ? Quant au tollé qui s’est produit, il était tout à fait naturel au regard du scandale que c’était.

Une rétractation encouragée par Monsanto ?

L’autre reproche porte sur la rétractation: aurait-elle été encouragée par Monsanto ? Des éléments des Monsanto Papers pourraient le laisser penser.

Saltmiras

Est souvent évoqué est ce passage où D. Saltmiras énumère ses réalisations:

Throughout the late 2012 Seralini rat cancer publication and media campaign, I leveraged my relationship the Editor if Chief of the publishing journal, Food and Chemical Toxicology and was the single point of contact between Monsanto and the Journal

D. Saltmiras MONGL Y01045300

En réalité, cela veut juste dire qu’il a profité de connaître W. Hayes pour discuter avec et le convaincre de faire quelque chose (d’ailleurs, vu le second point, on doute qu’il ait fait grand chose vu l’enthousiasme de Heydens pour la rétractation). Il n’y a rien de choquant, tant qu’il n’y a pas de pression sous-jacente, ce qui ne ressort pas du tout.

Discussion en Sachs et Heydens

L’un des éléments invoqués est une discussion entre E. Sachs et W. Heydens. En réalité, c’est un élément à décharge: Williams Heydens demandait à Erich Sachs (Monsanto) de lui envoyer des éléments étayant la décision de rétractation (à laquelle il adhérait clairement, ce qui semble logique: son journal avait fait une erreur, il semble logique de vouloir la réparer). E.Sachs pour sa part ne veut pas impliquer Monsanto :

E. Sachs: It will be a sad day if the public sector cannot provide adequate scientific analysis to demonstrate the inadequacy of such a poorly conducted, analyzed and reported study.
I remain adamant that Monsanto must not be put in the position of providing the critical analysis that leads the editors
to retract the paper.

W. Heydens: This makes no sense to me at a IL We have defended our science every step of the way since our 1st encounter with
him. Why are we silent now’? That fact remains that the external sector has not given us what we need, and the editor
is telling us it is the 11th hour and he has nothing to work with. He directly told us (Monsanto) to give him something to
work with or else his hands are tied and we will deal with the consequences.

E. Sachs: I am not challenging that Monsanto should defend our science – we absolutely should and have. There is a difference between defending science and participating in a formal process to retract a publication that challenges the safety of our products.

We should not provide ammunition for Seralini, GM critics and the media to charge that Monsanto used its might to get this paper retracted. The information that we provided clearly establishes the deficiencies in the study as reported and makes a strong case that the paper should not have passed peer review.

We have done our part. It is time now for the public sector and especially our network of experts to do theirs.

Eric Sachs, MONGLY02063095

Ce qui transparait à travers l’échange est que Williams Heydens voulait que l’étude soit rétractée (ce qui est encore une fois très logique pour un directeur de publication ayant laissé passer un tel torchon), mais qu’il avait besoin d’éléments pour motiver sa décision.

Rien de choquant donc au final.

Conclusion

Cette « seconde affaire » est effectivement scandaleuse, mais pas pour les raisons qu’on croit:

  • Il n’y a tout d’abord pas de préjudice: la rétractation de Séralini était non seulement très défendable, mais en plus sans conséquence, les agences sanitaires ayant déjà annoncé qu’elles ne pouvaient pas la prendre en compte.
  • Il n’y a pas non plus de démonstration d’une faute: il est normal pour une organisation de faire jouer son réseau pour se défendre. Il n’y a pas de preuve d’une influence dépassant ce niveau.

Le vrai scandale ici est le traitement médiatique de cette affaire, sur lequel nous revenons dans l’article principal.


Références

  • Arjo G, Portero M, Pinol C, Vinas J, Matias-Guiu X, Capell T, et al. Plurality of opinion, scientific discourse and pseudoscience: An in depth analysis of the Seralini et al. study claiming that Roundup Ready corn or the herbicide Roundup cause cancer in rats. Transgenic Research. 2013;22(2):255–267.
  • David B Resnik, Retracting Inconclusive Research: Lessons from the Séralini GM Maize Feeding Study, J Agric Environ Ethics. 2015 Aug;28(4):621-633. doi: 10.1007/s10806-015-9546-y.