Guillaume Blanc, l’invention du colonialisme vert. Pour en finir avec le mythe de l’Éden africain (2020)

L’idée que la pseudo-écologie se fasse au détriment des pays pauvres n’étonnera personne. Néanmoins, Guillaume Blanc montre très précisément l’un des processus, à travers la politique de conservation

Synthèse

Guillaume Blanc montre la continuité qu’il y a entre les périodes pré et post coloniales dans la prise de mesures néo-malthusiennes. D’abord, à l’échelle globale, soulignant que l’UICN est en fait l’héritière d’organisations remontant à 1928 et la Fauna&Flora International remonte non à 1995, mais à 1903.

Il montre l’influence qu’on eu des dirigeants de parcs nationaux, étrangers, sur la réglementation de certains pays africains, allant jusqu’à rédiger un texte de loi.

Il approfondit particulièrement la gestion de plusieurs parcs nationaux éthiopiens. Il détaille extensivement les nombreuses vexations dont étaient l’objet les habitants des parcs protégés, pratiquant l’agropastoralisme.

Il conclut en soulignant le double standard face à l’agro pastoralisme : soutenu en France, condamné en Éthiopie.

Des éléments sont particulièrement intéressants.

D’abord la portée de rapports évidemment bidonnés. Les politiques de conservations abordées sont prises à partir d’évaluation au doigt mouillé (la fameuse estimation des 40% de territoires Éthiopien boisés en 1900), puis maintenues en dépit du bon sens : on prétend que la population des animaux protégés dans le parc du Simien, les Walia ibex, diminue, alors qu’elle augmenterait. Bien sur, il faudra vérifier cette allégation d’une gravité ahurissante.

Ensuite, le jeu de dupes autour de ces politiques de conservation: tous les protagonistes ayant du pouvoir en profitent, seuls ceux qui n’en ont pas, les autochtones, en souffrent. « Car l’Occident a besoin de croire qu’il y a là-bas ce qu’il ne peut plus sauver chez lui : un Éden où il y a encore une place pour la vie sauvage et animale. Les États africains ont eux aussi besoin du mythe, mais pour d’autres raisons. »

Plus globalement, cela donne une vision intéressante de l’économie de la pseudo-écologie : « Mais en défendant l’existence de ces enclaves de nature que sont les parcs africains, il cherchent eux aussi à s’exonérer des dégâts que leur vie cause partout ailleurs. » (p.136)

Prise de notes

« Cette subjectivité de la chose authentique est encore plus criante quand on observe comment, en France, les responsables des parcs préservent ce qu’ils appellent le « caractère des lieux ». ils rénovent les bergeries dites traditionelles. Ils louent des terres aux agro-pasteurs qui, grâce à des loyers réduits, peuvent continuer de vivre sur place. il entretiennent les sentiers de transhumance et, au début de l’été, ils versent des subventions aux bergers qui acceptent de partir en transhumance à pied et non pas en camion, comme cela se fait partout ailleurs dans le pays. Ils soutiennent financièrement l’artisanat local, et forment aussi de jeunes actifs à l’apprentissage de savoir-faire architecturaux soi-disant ancestraux. Bref, en France comme ailleurs, les gestionnaires des parcs font de la nature ce qu’ils croient qu’elle fut. » (p.18)

« The rape of the earth » de Grahan Jacks et Robert Whyte accuse les pratiques agro-pastorales africaines d’être responsables du « grand désert africain » à cause de l’érosion causée. (p.33)

« Les colonisés revendiquent le droit d’exploiter leurs ressources, et les nouvelles institutions internationales s’inquiètent, elles, de la bombe P – la bombe Population. […] Le principe est simple. Si le Tiers-Monde venait à être libéré, ce que Malthus prédisait il y a deux siècles se concrétiserait : pauvres, trop nombreuses, les populations consumeront les ressources, jusqu’à entraîner un conflit mondial. » (p.35)

« Née en 1956, l’UICN […] prétend avoir été créée en 1948, sous le nom d’UIPN (Union internationale pour la protection de la nature). En Réalité, l’Union exixtait déjà en 1934. C’était l’OIPN (Office international pour la protection de la nature). Et celui-ci n’était que le nouveau nom de l’Office international de documentation et de corrélation pour la protection de la nature, fondé en 1928.

La FFI a suivi la même trajectoire. Avant de devenir la Fauna&Flora International en 1995, l’ONG britannique se nommait, depuis 1950, Fauna preservation Society ; une appelation qui venait en fait remplacer celle de la Société pour la protection de la faune sauvage de l’empire, laquelle avait vu le jour en 1903. » (p.37)

« Les institutions nées juste après la Seconde Guerre mondiale évitent également de mentionner leurs origines coloniales. Qu’il s’agisse de l’Unesco, créée en 1945 par les Nations unies, ou du WWF, fonde en 1961 par des naturalistes et des hommes d’affaires, la plupart des agences conservationnistes actuelles ont fait leurs armes en colonies. » (p.37)

Exemple de la négligence d’un export de la FAO sur l’évolution de la foret en Éthiopie. (p.44)

« Inévitablement, certains experts ont dû se poser ces questions. Mais le cadre de référence est trop puissant pour être rejeté. Au début des années 1960, la thématique de la conservation a d’ores et déjà généré une quantité inouïe de rapports et de programmes. […] Leur contenu est empreint de l’esprit colonial dans lequel ils ont été conçus, mais ces mêmes textes continuent de circuler après les indépendances. […] La dynamique se renforce jusqu’à s’auto-entretenir. un expert doit rédiger un rapport sur le Kenya ? Il s’appuiera sur celui produit par son collègue en Tanzanie, et ainsi de suite. C’est là toute la force des « textes-réseaux ». Sans cesse plus nombreux, ils circulent toujours davantage, et plus ils sont lus et partagés, plus ils sont acceptés : ces textes disent vrai, forcément, puisqu’ils racontent tous la même chose. » (p.50)

Prend l’exemple du rapport de Leslie Brown, qui ne serait pas sourcé. Dans un autre rapport il accuse les Éthiopiens d’être « les êtres humains les plus destructeurs que j’aie rencontrés – totalement irresponsables et sans aucune considération pour le futur », et dans un autre « un peuple travailleur qui a détruit son pays avec une énergie redoutable. » (p.53)

Décrit en détails l’influence de Leslie Brown et John Blower sur les parcs nationaux en Éthiopie et sa législation.

« Conseiller juridique du Premier ministre, l’Américain Donald Paradis demande à Blower, en juillet 1966, de préparer un projet de loi sur les parcs nationaux. […] Assisté par Leslie Brown, Blower peaufine pendant un an un véritable décret national. […] Pour cela, écrivent-ils, il faut « libérer les parcs de la présence des communautés humaines ». Leur texte sera repris mot à mot par la Loi sur la conservation de la vie sauvage. » (p.62)

Ils décrit des rapports alarmistes dont les causes sont obscures. Certains sont même fantaisistes : un rapport une augmentation de la population de « 150 à 200% », quand elle est en réalité de ..20%. (p.72-73) Idem p.86. Idem p.97

« Dans le Simien devenu un haut-lieu de la résistance, les directives de l’Unesco lui facilitent le travail. L’agence a de nouveau recommandé le déplacement des populations en 1978, et à ce titre, en 1979, les soldats de Melaku détruisent les sept villages du Simien : grâce aux injonctions des experts internationaux, la moitié des population du parc son expulsées (1200 habitants) et envoyées dans les nouveaux villages socialistes créés par le derg. » (p.84)

« Le second Sommet de la Terre marque alors l’ouverture officielle de l’ère du développement durable ; la nôtre. Une centaine d’États se réunissent à Rio en juin 1992 pour signer la Convention sur la diversité biologie. Ils s’engage à promouvoir la conservation de la biodiversité, l’utilisation durable de ses éléments et le partage équitable des avantages découlant de leur exploitation. » (p.89)

« En Éthiopie, entre 1985 et 1990, le derg fait planter 300 000 hectares de forêt et fait construire 500 000 kilomètres de terrasses agricoles. L’opération, c’est maintenant la norme, est cofinancée par des ONG et par le dispositif des Nations unies « Travail contre nourriture ». […] Le résultat est alors catastrophique. Tandis que la construction des terrasses diminue la production agricole, les forêts plantées dans une zone de conservation provoquent, de l’autre côté de l’aire protégée, une surconcentration destructrice de bétail. Mécontents de voir leurs vrais problèmes ignorés, les agro-pasteurs ont alors vite fait d’aller détruire les enclos reboisés.

Ces échecs se répètent en Éthiopie, au Nigeria, en Namibie, au Mozambique ou encore au Soudan. […] Et partout, ce sont les mêmes résultats : produits d’une sempiternelle logique néo-malthusienne, ces programmes n’aident pas ceux à qui ils sont destinés. Seulement, ils conviennent à tous ceux qui les mettent en oeuvre.

En premier lieu, ils permettent à l’Europe et aux États-Unis de financer l’opération « Travail contre nourriture ». Grâce à celle-ci, les deux superpuissances écoulent les surplus de leur production agricole et, sous couvert d’aide humanitaire, elles régulent à leur avantage les cours mondiaux du blé. En second lieu, ces programmes correspondent aux idéaux des ONG, désireuses d’aider les Africains avec des résultats rapides et visibles. Enfin, ils confortent les experts occdentaux et les dirigeants africains dans leurs carrières. » (p.92)

« Teshome Ashine acquiesce. Directeur de l’EWCO, celui-ci va jusqu’à dénoncer la « médiocrité » d’un système jusqu’ici dédié, dit-il, « à renforcer la bonne conscience des organisations occidentales de la conservation et des amoureaux occidentaux des animaux, au détriment des populations éthiopiennes qui luttent pour survivre. » (p.94)

« Si la communauté est maintenant la solution, elle reste aussi le problème : les paysans menacent la nature et pour la sauver, ils doivent la quitter. Rien n’a changé. Le raisonnement reste paternaliste, décliniste et à demi-mot raciste. » (p.95)

p.100 : catastrophisme à propos de la population de bouquetins dans le parc de Simien alors qu’elle augmente (150 en 1963, 625 en 2006).

« L’argumentaire est fallacieux. Que montrent les photographies ? Des hautes terres boisées en 1954 sont bel et bien dénudées en 1996 ; en revanche des basses terres dénudées en 1954 sont boisées en 1996. […] En fait, il y au ne rotation : on défriche là-haut quand on reboise en bas ; puis on défriche en bas quand on reboise là-haut. » (p.100)

Reprise du mythe par Al Gore dans une vérité qui dérange : « Al Gore décrit notamment la disparition des forêts d’Éthiopie : 40% du pays couvert de forêts vers 1900, 1% quarante ans après. » (p.102)

« Bien incapables de conserver, au nord, la nature que leur mode de vie détruit, beaucoup d’Occidentaux cherchent à ‘faire quelque chose’ au sud. » (p.104)

« Dans toutes les aires protégées africaines, le caractère colonial de la conservation reste ‘l’éléphant dans la pièce’. Car l’Occident a besoin de croire qu’il y a là-bas ce qu’il ne peut plus sauver chez lui : un Éden où il y a encore une place pour la vie sauvage et animale. Les États africains ont eux aussi besoin du mythe, mais pour d’autres raisons.Dans chaque pays du continent, les dirigeants au pouvoir souhaitent bénéficier des revenus du tourisme. La reconnaissance de l’Unesco, de l’UICN et du WWF est source d’attractivité, alors ils appliquent à la lettre les recommandations des institutions internationales de la conservation. » (p.104)

« Cette criminalisation de la vie quotidienne s’inscrit dans une véritable ‘guerre pour la biodiversité’. » (p.111)

« En Tanzanie, au mois de septembre 1997, alors que la disette menace la région, les gardes du parc de Serengeti fusillent des villageois venus chasser du petit gibier. Au Malawi, entre 1998 et 2000, les gardes des parcs violent au moins 250 femmes, et tuent plus de 300 personnes. » (p.112)

« – Pour pas que le sol s’en aille, on fait des sillons d’évacuation de l’eau […]. On laisse pas l’eau affecter la terre, on fait des terrasses. » (p.125)

« Il est pas sur les falaises le walia ? Comment les gens peuvent y aller pour le tuer ?

– Vous pouvez le tuer avec un fusil ?

– Et comment tu le ramène ? Même si tu le tues, comment tu vas le chercher ? Il n’y a pas d’accès. » (p.125)

« Pourtant, en 2018, lorsque ce même Comité dresse la liste des menaces qui pèsent sur le Simien, il note : « population déclinantes du Walia ibex ». Le mythe de l’Éden africain est si puissant qu’aujourd’hui encore, la croyance des experts l’emporte sur leurs propres chiffres. » (p.130)

« L’État éthiopien subit ce mantra décliniste autant qu’il l’instrumentalise. » (p.130)

« Puis, d’un autre côté, mais toujours depuis l’Occident, on trouve les millions d’anonymes qui partent visiter les aires protégées africaines, ou qui, tout simplement, aident de quelques dons ponctuels des organisations comme le WWF. Leur philosophie est généralement à l’oppose de celle des fimes multinationale. Mais en défendant l’existence de ces enclaves de nature que sont les parcs africains, il cherchent eux aussi à s’exonérer des dégâts que leur vie cause partout ailleurs. » (p.136)

Double standard face à l’agro pastoralisme : soutenu en France, condamné en Éthiopie. (p.137)