Joël Barromi, « L’antisémitisme moderne » et la recherche [1999]

Joël Barromi a publié un livre très intéressant sur l’antisémitisme moderne en 1999. J’y ai noté plusieurs éléments qui confirment la proximité entre l’antisémitisme et la pseudo-écologie.

L’économie cognitive

Le point central sur lequel se rencontrent, à mon sens, la pseudo-écologie et l’antisémitisme est leur économie cognitive : ils répondent pour ses croyants [attention, c’est plus complexe pour les entrepreneurs] au même besoin, expliquer l’échec.

Ainsi en Russie, « la supériorité intellectuelle des juifs » est devenue, à la fin du XIXe siècle, « un thème périodique de l’argumentation antisémite. Les bons points de l’élève juif, comme les découvertes du scientifique juif, [deviennent ainsi] le fruit peu honnête d’un avantage congénital et ne doivent pas être primés, mais disqualifiés ». (p.131)

C’est une thème assez peu abordé, mais qu’on devine en creux dans beaucoup de discours. Ainsi, quant Chamberlain écrit que la meilleure « race » était « la race teutonne ou nordique, qui était la plus jeune, la plus forte et la plus élevée moralement » et la pire « la race juive qui représentait la dégénerescence totale. » (p.116) Il devient alors logique que si la première ne domine pas l’Europe, ce serait à cause de la seconde.

Ainsi, le mensonge engendre toujours ce genre d’échecs qu’il faut expliquer et qui suppose toujours une réponse facile, quelqu’un à haïr.

L’attrait du passé

Le passéisme est également un point commun entre le nazisme et la pseudo-écologie :

« Du point de vue sociologique et psychologique, l’attrait principal du nazisme fut son caractère romantique et ses références au passé. Une fuite passionnelle et obsessionnelle des incertitudes du présent vers la fastueuse grandeur et aux mythes héroïques et cruels du passé. » (p.186)

Relativisme et recherche

« Pour nous, la relativisation du nazisme et la banalisation de l’holocauste sont une source de graves préoccupations. La menace que présentent ces tendances est plus insidieuse que celle du révisionnisme vulgaire. » (p.284)

Après la seconde guerre mondiale, l’antisémitisme n’était pas vraiment populaire, il faut donc, pour exploiter ce filon, l’endosser de manière détournée.

Des chercheurs et journalistes ont par exemple travaillé à nier ou minimiser la Shoah. On parle de « révisionnisme ».

Dans notre grille de lecture, c’est la stratégie du relativisme (« ce n’est pas si grave que ça ») et la tentative si commune d’appropriation de l’histoire.

Ainsi, « dès 1947, le journaliste Maurice Bardèche [beau-frère de Robert Brasillach] soutint que le chiffre de 6 000 000 orts était imaginaire ». Paul Rassinier, « ancien socialiste et ancien détenu dans un camp allemand » aurait témoigné en ce sens et participé à la diffusion du mensonge. Surtout, à partir des années 70, c’est le fameux Robert Faurisson, « Professeur de littérature », qui « propose la thèse de l’inexistence des chambres à gaz ». Un de ses disciples, « Henri Roques, activiste néonazi, reçu en 1986, le titre de docteur de l’université de Nantes pour une étude niant la crédibilité de l’un des plus importants documents sur les chambres à gaz, les confessions de l’ancien officier des SS Kurt Gerstein ». (p.272-273)

Aux États-Unis, l’Institut for historical review bénéficie « d’importants moyens qui lui permettent d’organiser des congrès internationaux », édite un journal, et, proche d’organisations arabes, organisa même en 1981 un « congrès sur le génocide du peuple palestinien ».

Son « théoricien », Arthur Butz, est Professeur d’ingénérie mécanique et informatique et a publié un livre au titre évocateur : « The Hoax of Twentieth Century » en 1976. (p.275)

On voit ici, notamment avec Henri Roques, comment le militantisme le plus ignoble peut infiltrer la recherche. Et encore : eut-il été malin, il aurait attendu d’avoir une position établie (comme Faurisson) avant de se déclarer.

Les pays arabes ont également profité des tribunes accordées par leur participation à l’ONU pour propager des mensonges antisémites.

Une autre stratégie a été de questionner la véracité du journal d’Anne Frank, ce qu’ont fait Je Bochacha en 1980, Hervé Le Goff et Jacques Grandcher en 1983 et Robert Faurisson en 1985. (p.274-275)

Une autre stratégie consiste à discuter le rôle des SS et de Hitler dans les événements. Ainsi, David Irving dans Hitler’s War présente l’extermination comme « des initiatives locales de hiérarques SS dont Hitler était très peu informés ». (p.276) Alan Taylor, en 1961 écrivit qu’Hitler « n’était pas plus mauvais ni moins dépourvu de scrupules que beaucoup d’hommes politiques de son époque », qu’il n’avait « pas de programmes et agissait par impulsion en exploitant les occasions qui se présentaient. » (p.278) C’est au sein de l’Université allemande néanmoins que ce « néo-révisionnisme » s’épanouit avec l’apparition de l’école du « fonctionnalisme » portée par les « nouveaux historiens qui accédèrent aux chaures après 1968 », qui prétend en gros que Hitler n’était pas responsable de grand chose en raison du bordel organisationnel.

Antisémitisme, URSS et antisionisme

L’antisémitisme en URSS est une histoire complexe, tiraillée entre la prétention de ne pas être antisémite, la lutte contre les religions (et toute identité non « URSS ») et divers incitations à l’antisémitisme (flatter les foules, prendre plus de pouvoir ou encore l’antisémitisme lui-même).

Ainsi, Il fut d’abord interdit par Lénine, mais « en même temps, le nationalisme juif fut déclaré contre-révolutionnaire, y compris le réseau d’écoles et d’institutions culturelles juives », et la religion juive a été « durement persécutée » dans le cadre de la campagne anti-religieuse ». Staline, lui même, avait même « une aversion personnelle pour les Juifs« . Il a, après la guerre, décidé « de mettre fin aux manifestations du nationaliste hébraïque comme à celui des autres groupes éthniques », tout en soutenant en 1947-48 la création de l’État d’Israël. A partir de 1952, portée par les « hallucinations paranoïaques » de Staline, l’antisémitisme devient un moyen pour épurer le pouvoir. Israël devient un ennemi « accusé d’avoir fomenté avec les États-Unis le plan Ben Gourion-Morgenthau pour renverser les régimes communistes en Europe Orientale. » (p.233-238)

Joël Barromi n’approfondit pas trop ce point, mais le « complot sioniste » devient ensuite une constante dans le discours soviétique. Il note néanmoins qu’en 1968, après la Guerre des six jours, le secrétaire général du parti communiste Polonais, Wladislaw Gomulka « lança une violente campagne antisioniste au contenu clairement antisémite. De nombreux Juifs perdirent leur emploi. L’émigration en Israël reprit et moins de 10 000 Juifs restèrent en Pologne. » (p.250) Une résolution à l’ONU prise en 1975 à l’initiative des pays arabes et soviétiques compare le « sionisme » au racisme. (p.269)

L’influence étrangère

J’ai noté un passage intéressant :

« D’autres pays arabes ne se limitèrent pas à encourager des publications antisémites en arabe sur leur propre territoire, mais s’occupèrent de propager systématiquement l’antisémitisme dans le monde. Dans ce domaine, la Lybie se distingue. De puis l’arrivée au pouboir de Mohamar Khadafi en 1971, elle fournit des aides financières et logistiques à des groupes antisémites de droite et e gauche dans différents pays. Parallèlement, l’Irak agit dans le même sens. […] Le défunt roi Faycal d’Arabie saoudite offrait à tous ses invités de marque venant de pays occidentaux les Protocoles des Sages de Sion. » (p.268)

Combien de collectifs apparemment désintéressés sont financés par des puissances étrangères ?

La place de l’inversion victimaire

C’est un élément récurrent de l’antisémitisme : les Juifs chercheraient à nuire par ressentiment aux antisémites, ce qui justifierait leurs actes. Ainsi, Ernst Nolte de l’unviersité de Berlin, « personnalité scientifique jouissant de l’estime universelle » écrit « il est difficile de nier qu’Hitler avait de bonnes raisons d’être convaincu de la détermination de ses ennemis à l’anéantir bien avant que les premières informations sur Auschwitz ne soient parvenues à la connaissance du monde. » (p.282)

Dans la même veine, vous avez La victoire du judaïsme sur le christianisme publié par Wilhelm Marr, un socialiste athée, en 1879. Selon lui, « les juifs avaient mené pendant dix-huit siècles , une lutte obstinée contre les chrétiens. Maintenant, selon lui, ils avaient agné et rien ne pouvait plus les arrêter. » (p.99-100)

Adolf Stoecker est intéressant aussi : « Stoecker trouva son public naturel par mi les artisans et les petits employés et découvrit que la meilleure méthode pour attirer les foules était d’utiliser un langage passionnément antisémite. Rapidement ses partisans passèrent aux voies de fait : ils attaquèrent les juifs dans les rues, cassèrent les vitrines des magasins juifs et dans certaines villes brûlèrent des synagogues. » (p.101) On voit clairement la distinction entre les entrepreneurs, qui adoptent les discours qui les arrangent, et les croyants dont ils peuvent profiter.