« Les gens d’en bas », un exemple d’une diabolisation systématique [5/09/2024]

Lors de son premier discours important comme Premier Ministre, Michel Barnier a évoqué « les gens d’en bas », ce qui a déclenché un maelstrom d’insultes et d’agressivité contre lui.

Un discours qui va dans le bon sens

Le Premier ministre tient des propos relativement ordinaires, voilà c’est un peu comme le discours de miss France, il faut dire des choses agréables à entendre, et, dans un extrait, prétend que le gouvernement aura davantage à coeur d’écouter la population :

« Et le gouvernement n’aura pas la prétention de croire que la science infuse vient seulement de lui. J’ai appris, dans ma longue vie publique, que les bonnes idées venaient de partout. D’ailleurs, souvent des gens les plus modestes, les plus simples, quand on prend le soin de les écouter. Et j’ai bien des exemples en tête de progrès, petits ou grands, qui ont été accomplis grâce à des idées de … de bonnes solutions, apportées euh, par les gens d’en bas, qu’il faut respecter. Trouver les solutions qui marchent avec toutes celles et tous ceux qui, avec bonne volonté, voudront résoudre les difficultés nombreuses et profondes du pays. »

On note que, avant de dire « les gens d’en bas », il se met à beaucoup hésiter et fronce les sourcils en lisant son texte, un peu comme s’il se disait « merde, c’est pas top ça. » Et ça n’a pas loupé : cette pauvre expression qui n’est en effet pas heureuse, a déclenché l’indignation générale.

Un shitstorm intersidéral

Cela a déclenché l’indignation de nombreuses personnes, qui l’ont exprimée bruyamment sur Twitter. Jean-Luc Mélenchon, toujours lui, a eu le plus de succès, avec près d’un millions de vues, 4K retweets et 21K likes, en accusant le premier ministre d’être un usurpateur, continuant ainsi sa rhétorique putschiste. Juste derrière, Thomas Porte arrive avec 760K vues, 4k retweets et 15K likes en accusant Jean-Michel Barnier d’avoir une « haine du peuple ». Puis on a Sandrine Rousseau et Aurélie Trouvé qui grapillent un peu d’exposition et enfin, quelqu’un qu’on retrouve ENCORE dans les traces des insoumis : Alexis Poulin, relai assidu de la propagande antivaxx et poutinienne en France (« mais comme Mélenchon » me direz-vous …).

On retrouve également les agitateurs « bénévoles » habituels d’extrême gauche, comme « je dis ça je dis rien » et François Malaussena

Les politiciens

https://x.com/JLMelenchon/status/1831740684790894909
https://x.com/sandrousseau/status/1832006470684061709
https://x.com/TrouveAurelie/status/1831941457693004186
https://x.com/ArSaint_Martin/status/1831745918938575226
https://x.com/Portes_Thomas/status/1831747548035608812
https://x.com/Poulin2012/status/1831770297990844903

Agitateurs « bénévoles »

https://x.com/malopedia/status/1831739663058633134
https://x.com/PierredeJade1/status/1831794547422273731
https://x.com/chdelporte/status/1831777250351382842
https://x.com/jdicajdisrien/status/1831798469029458282
https://x.com/RoseDeBerne/status/1831795445292843276

Autre

https://x.com/vent_et_fleurs/status/1831972770428969441
https://x.com/Epiop1/status/1831924045279064295
https://x.com/GerdIsBack/status/1831747235991679133

Je ne mets pas les dizaines de messages, vous aurez compris, c’est ce qu’on appelle un « shitstorm ».

Un terme assez ordinaire

Pourtant, l’expression condamnée est assez commune.

Elle a été reprise par des personnalités de gauche, comme Lionel Jospin en 2003, Philippe Poutou en 2022, François Ruffin en 2020, Anice Lajnef en 2020 (une personnalité assez clairement gauchiste).

On retrouve aussi le terme utilisé par des politologues, comme Jean Garrigues, des géographes comme Christophe Guilluy, et dans de nombreux articles de presse, souvent pour évoquer les personnes pauvres, notant qu’elles votent plus souvent extrême droite que France Insoumise.

En 2018, le JDD cite des candidats insoumis : « C’est la France d’en bas qui va donner un coup de pied au derrière de l’Elysée! »

Jean-Luc Mélenchon lui-même parle « d’en bas » pour décrire le peuple :

« Il n’y a rien au dessus du peuple souverain, aucun monarque, aucune loi, autre que celle qui vient d’en bas, du peuple. Voilà de qui nous sommes les héritiers. »

Donc c’est un terme certes malheureux, mais assez commun et très insuffisant à justifier une telle réponse.

Il est intéressant de noter que ce Jean-Luc Mélenchon avait déjà attaqué en 2003 Jospin: « d’un système où un Premier ministre peut oser parler de la France d’en bas sans se rendre compte peut-être de l’immense stigmatisation qu’il produit parmi le peuple français mais qui lui paraît à lui être de l’ordre de la nature. » Il avait déjà élaboré l’argumentaire et pu le ressortir instantanément. C’est l’avantage de construire patiemment son système.

Une logique récurrente de diabolisation et de double standard

Cette épisode montre la diabolisation absolue dont sont l’objet les ennemis de l’extrême gauche : peut importe l’insignifiance de ce que vous dites, ils réussiront à vous condamner férocement. Il n’y a pas de simple « reproche », parce qu’il n’y a pas de volonté d’améliorer le conflit, mais simplement de frapper un coup.

Cela fait relativiser leurs appels larmoyants au dialogue, notamment dans le cadre de la contre-attaque de l’Ukraine.

C’est d’autant plus malhonnête que toute la rhétorique de Jean-Luc Mélenchon et, dans une moindre mesure de la gauche tourne autour de cette idée de « France d’en bas » ou, comme il dirait de « peuple populaire« , qu’il agite contre les « élites », « les patrons », « la finance », le complot sioniste, la France colonialiste, etc.

Mieux, ces discours entretiennent un sentiment de ressentiment par la population en lui faisant croire qu’elle est injustement spoliée par ces vilains. Ils font croire à leurs cibles qu’ils SONT « en bas ». La communication de la LFI est axée autour du primat de la richesse et de l’idée qu’elle devrait traduire un « mérite » (« regardez tel patron, mérite-t-il de gagner X fois plus qu’un caissier ? » « regardez, ils ont tout l’argent, ce n’est pas juste »).

Paradoxalement, ce terme de « France d’en bas », les met en face de leurs contradictions. Il explicite une idée qui est omniprésente dans ses discours : « vous êtes en bas parce qu’ils ne vous permettent pas d’être en haut. » Il tend également à rappeler que les électeurs d’extrême gauche sont rarement les plus défavorisés …

Le mépris de la Lozère

On finit encore par devoir parler de lui, c’est fatiguant, mais c’est exactement dans la logique qu’on vient de voir. Aux universités d’été AMFIS, il fait l’éloge de la Martinique :

« Vous savez que la Martinique est un lieu assez spécial, parce que c’est un tout petit endroit quand même, malgré tout, ils sont 300 000 et c’est, alors pour les autres, pardons pour les guadeloupéen, mais ils ont toujours cultivé un certain sentiment d’élite intellectuelle. Et la vérité c’est qu’ils le sont ! Bah oui, parce que quand vous faites à la fois Césaire, Frank Fanon, Glissant et Chamoiseau, bon, bah vous pouvez pas dire on est n’importe où hein. En Lozère vous avez pas ça, bon. »

Son dénigrement de la Lozère est probablement faux, tout simplement parce qu’il est impossible de connaître les origines départementales de toutes les personnes notables (vous savez de quel département de Pologne vient Marie Curie vous ? (pas son lieu de naissance, elle a parfaitement pu grandir à la campagne) J’en doute.). D’ailleurs :

« En quoi est-il qualifié pour oublier, de facto, le médecin et homme politique Théophile Roussel, le scientifique Jean-Antoine Chaptal, le chirurgien Gui de Chauliac, l’écrivain Jean Larteguy, l’ingénieur Léon Boyer, l’anatomiste Henri Rouvière ou, entre autres personnalités natives de Lozère, Marie-Rose Brugeron, Juste parmi les nations, et le résistant Henri Bourrillon ? » (1)

Mais il s’en fout, il pourra toujours se retrancher derrière cette ignorance (nous même nous n’en savons rien) et il a atteint son objectif, qui est double :

  • Flatter les martiniquais, qui font partie de ses votants les plus zélés. La flatterie s’inscrit dans la logique de l’exploitation : il rend les flattés dépendants de l’estime qu’ils ont du flatteur. Cela participe à construire l’emprise.
  • Se présenter comme « sachant », comme personne cultivée qui connaîtrait du haut de sa sagesse les secrets de la société.

L’inconvénient est qu’il s’alliène les habitants de Lozère et les ruraux en général, mais qu’est-ce qu’il en a à faire ? Imaginez vous êtes un commercial en cravates : ce qui vous intéresse le plus, ce n’est pas le nombre de personnes qui n’achètent pas vos cravates, mais le nombre de personnes qui les achète.

Mensonge sur la position sur l’homosexualité

Enfin, l’extrême gauche (ici Mélanie Vogel, d’EELV) a attaqué Michel Barnier en prétendant qu’il aurait été contre la légalisation de l’homosexualité en 1981.

En réalité, cette loi contre laquelle il avait voté portait sur l’alignement de la majorité sexuelle pour les relations homosexuelles (18 ans alors) et hétérosexuelles (15 ans).

C’est donc de la désinformation. Mais en plus, l’extrême gauche a férocement soutenu Huguette Belot qui était contre le Mariage pour tous en 2013 …

La constante : le double standard

Mais alors, quel rapport avec Michel Barnier ?

C’est simple, ces deux anecdotes illustrent un point crucial de l’extrême gauche (qui représente aujourd’hui l’essentiel de la pseudo-écologie) : « Nos alliés sont bons, nos ennemis sont diaboliques. » On crée ainsi un « double standard ». On invente les flâtteries les plus débiles pour nos alliés, et on pique des crises de colère contre le propos le plus insignifiant de nos ennemis. Et pas comme une sorte de biais un peu malhonnête, mais comme une stratégie systématique et totalitaire de conquête du pouvoir.

D’ailleurs, Jean-Luc Mélenchon l’avait bien compris :

« Voilà pourquoi, quand on nous dit le règne du double standard, parce que certains ne s’appliquent pas à eux-mêmes ou n’appliquent pas à leurs alliés ce qu’ils réclament aux autres, il faut dire les choses très clairement. Il n’y a pas de double standard. Là où il y a double standard, il y a pas de standard du tout. Ca veut dire que c’est le règne de la force sans limite. »


  • (1) https://www.lepoint.fr/debats/melenchon-la-lozere-et-les-intellectuels-07-09-2024-2569652_2.php
  • https://x.com/barriere_dr/status/1832078150488191185/photo/3