Noël Mamère, les verts et les agriculteurs, inversion victimaire (27/01/2024)
Le 27 janvier 2024 Noël Mamère a été invité sur BFM TV et nous a livré un discours très intéressant.
« – L’agriculture ne peut pas être séparée de l’alimentation et l’alimentation ne peut pas être séparée de la santé. Je rappelle aujourd’hui, les deux marqueurs de la pauvreté, c’est le diabète et la malbouffe. […] Écoutez […] le candidat [à la présidentielle] de 1974 s’appelait René Dumont et il était ingénieur agronome. Et c’est lui qui le premier a parlé du problème de la ressource en eau avec le modèle dans lequel on était en train de s’enfoncer.
Les écologistes ne sont pas du tout les ennemis des agriculteurs, bien au contraire, ils en sont même les alliés, parce que nos destins sont liés. L’écologie, si elle est accompagnée pour ceux qui aujourd’hui paient le prix le plus élevé pour s’adapter au réchauffement climatique. C’est eux qu’il faut aider. […] C’est l’agriculture justement qui n’arrive pas à s’adapter.
– Comment l’écologie peut accompagner les agriculteurs ?
– L’écologie ne peut que les accompagner. Regardez tout ce qui est écrit, le rapport d’avant-hier du haut conseil sur le climat avec l’orientation vers l’agro-écologie. Et puis sortir d’une logique qui est celle du libre échange ! On a quand même un premier ministre qui nous explique qu’on ne va pas signer le rapport avec le Mercosur, mais sest députés de Renew ont voté pour l’accord de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande. On va faire faire 20 000 km, voyez ce que ça représente comme impact écologique, à des agneaux pour aller de Nouvelle Zélande vers la France.
– Mais ça parait presque surréaliste de dire que ce qu’on va faire venir de 20 000km sera moins cher que ce qu’on va produire à 200 km.
– Bah justement, c’est ça qui est abherrant. Comme disaient les Jeunes agriculteurs qui renversaient les panneaux de ville, on marche sur la tête. On peut pas marcher sur la tête. Ca veut dire qu’il faut revoir la Politique agricole commune et plutôt que de l’orienter vers le nombre d’hectare, ce qui ne fait que satisfaire et remplir les poches de ceux qui ne sont pas des agriculteurs, mais des grands entrepreneurs, il faut l’orienter vers les territoires et accompagner ceux qui s’inscrivent dans une démarche d’agroécologie et de respect de ce qui peut les conduire à non seulement assurer leur souveraineté alimentaire, mais la souveraineté alimentaire de notre pays. Parce que quand on nous dit qu’aujourd’hui on ne peut pas assurer la souveraineté alimentaire, la pratique aujourd’hui d’exportation est telle qu’on a aujourd’hui beaucoup de réserves et qu’on pourrait aujourd’hui nourrir toute la France. »
Nous allons dépiler cette dense désinformation par ordre chronologique.
Une première phrase qui interroge
La première phrase interroge tout de suite : « L’agriculture ne peut pas être séparée de l’alimentation et l’alimentation ne peut pas être séparée de la santé. Je rappelle aujourd’hui, les deux marqueurs de la pauvreté, c’est le diabète et la malbouffe. » Il est dommage qu’on ait pas le reste de l’interview, car c’est un pont intéressant entre le domaine de la santé, où les verts font la jonction avec les antivaxx. Cela reprend aussi la désinformation sur le fait que la malbouffe serait imputable à l’agriculture industrielle.
En l’espèce, ce n’est absolument pas développé, cela ne sert que de passerelle pour prétendre être l’allié des agriculteurs. On passe donc rapidement au coeur de ce passage, l’inversion victimaire.
Les verts, alliés des agriculteurs : l’inversion victimaire
Ce passage commence avec l’évocation de René Dumont, qui a été effectivement un agronome et pas le moindre : il a été l’un des principaux moteurs de la « révolution fourragère » au sortir de la Seconde guerre mondiale, qui a permis d’augmenter radicalement les rendements des élevages laitiers. Notez qu’il s’agissait notamment de retourner les prairies permanentes et de se mettre à les cultiver … Bref. Quant à l’évocation du problème de l’eau, cela sert à rappeler la fable du « modèle » agricole.
Son évocation sert d’amorce, pour amener ce qui est le coeur de la ligne de défense agribashiste face à la réponse agricole: les pseudo-écologistes seraient les alliés des agriculteurs
Ce discours implique que les verts seraient victimes de l’incompréhension des agriculteurs, qui deviennent du coup ceux qui sont coupables d’hostilité injuste envers les verts. C’est une inversion victimaire. Elle est même double, le politiciens ajoutant que « c’est l’agriculture qui n’arrive pas à s’adapter », cachant sa propre responsabilité dans le manque de solutions.
Pour le justifier, il prétend que les écologistes accompagnent les agriculteurs et évoque un obscur rapport. Je sens que ce genre de bullshit est important pour dissimuler l’imposture, mais je n’ai pas encore systématisé ce point.
Le libre échange
Ensuite arrive la condamnation du libre échange. C’est très intéressant parce que c’est un piège où, je pense, sont tombés les agriculteurs avec la contestation de janvier. En effet, les revendications se sont portées sur les échanges internationaux et la distorsion de concurrence que faisaient peser les normes françaises sur les agriculteurs.
Cela permet, en fait, aux verts de se dédouaner: « regardez, le problème, ce n’est pas nous qui créons plus de normes, c’est le commerce international ».
Cette lutte contre le commerce international est centrale pour les mouvements anticapitalistes en général : les échanges mettent les bonimenteurs en face de leurs contradictions. Pour affirmer leur emprise sur la population, les anticapitalistes ont besoin de la rendre captive. C’est un des aspects de la logique d’exploitation.
La PAC et les « grands entrepreneurs »
Il faut aussi s’arrêter un instant sur son propos sur la PAC. Les aides PAC ont longtemps été basées sur la production. Cela engendrant des effets de bords non souhaitables, elles se sont assises sur la superficie des exploitations.
Là laisse entendre que les exploitants de grandes surfaces ne seraient pas des agriculteurs, mais de grands entrepreneurs. Ce misérabilisme est important pour la pseudo-écologie: il faut faire des agriculteurs des victimes exploitables.
Pour cela, ils doivent correspondre à l’idéologie du mouvement. Par ailleurs, ils ont besoin d’agriculteurs « faibles », n’ayant pas les moyens d’identifier et de lutter contre leurs stratégies de désinformation. L’idée sous-jacente est une assignation à la précarité, à la dépendance.
C’est un des autres aspects du travail de victimisation : l’asservissement.
Notez par ailleurs qu’il laisse aussi possible l’interprétation où la PAC favoriserait les industries autour de l’agriculture (phyto, etc.). C’est la pratique du double langage.
Le second point est son alternative: il faudrait orienter la PAC « vers les territoires » et autre bullshit. Vous l’aurez deviné, c’est le registre de la pseudo-alternative.
Il insinue au passage que la PAC n’orienterait pas vers « une démarche agroécologique », alors qu’elle fait justement peser sur les agriculteurs des contraintes agroécologiques significatives.
Autres éléments à commenter
Le propos de Noël Mamère montre par ailleurs plusieurs choses à commenter.
Les « 20 000 km » sont présenté comme une sorte d’absolu : le problème n’est pas le CO2 émis par les véhicules lors de ce transport, mais simplement ce chiffre. 20 000 étant plus grand que 200, c’est mal (alors même qu’ils peuvent moins polluer). On est dans une démarche purement moraliste.
Le fait qu’on puisse produire moins cher plus loin est présenté comme une « aberration », alors que de nombreux critères peuvent l’expliquer, comme l’asymétrie des normes, mais aussi les différences de culture, de droit du travail, de circuits économiques et une infinité de variables. Cette présentation simpliste du fonctionnement de l’économie est une constante dans le monde politique, dont l’objet est de donner au spectateur le sentiment de comprendre ce qu’il ne comprend pas et le manipuler.
Son propos sur la souveraineté alimentaire est aussi confus et désinformatif. Il semble faire référence au fait que, pour certaines productions, nous importons des produits que nous produisons.
Ce flou est accentué par sa référence à des « réserves », ce qui n’a simplement aucun sens et pourrait s’inscrire dans l’image du spéculateur de grain, commune dans l’imaginaire anticapitaliste (et antisémite) du début du siècle dernier.