C’est sans doute l’une des arguties les plus ridicules des discours antinucléaires: le nucléaire serait « intermittent ». Elle est née dans le contexte de crise énergétique qui a secoué l’Europe, lorsque l’intermittence des EnR est apparue à tous clairement problématique. Le lobby antinucléaire a utilisé cet argument pour flouter le débat et créer de la confusion.

De manière générale, cette désinformation est l’une des preuves de la nature volontaire des erreurs des antinucléaires. En effet, les défauts du nucléaire pointés ici sont présents infiniment plus gravement chez les EnR. Il ne s’agit pas « d’hypocrisie », de « mauvaise foi » ou d’autre explication psychologisante et un peu niaise: c’est de la communication. Ils sont en guerre: pour eux, ce n’est qu’un moyen pour une fin.

Éléments de contexte

Avant d’approfondir ce sujet, il faut présenter quelques éléments de contexte. Nous verrons :

  • Le facteur de charge en général et ce qu’il signifie.
  • Les problèmes de corrosion sous contrainte rencontrés par une partie du parc français en 2022.
  • Les arrêts liés à la chaleur.

Le facteur de charge en général

Le nucléaire est une énergie pilotable, qui peut varier à plusieurs échelles: de l’ordre de la seconde, de la journée (pics et creux de consommation), de la semaine (baisse de consommation les week end) et même au fil des saisons. Elle peut ainsi suivre les variations de la consommation. (Tristan Kamin et SIA partners). Ces amplitudes n’ont néanmoins rien à voir avec les EnRi. D’une part, elles sont choisies et d’autre part, elles sont largement moins fortes. Ainsi, l’éolien et le solaire peuvent passer de 100% à 0% en quelques heures ! Voici comme exemple le mois de mars 2022 :

Les centrales peuvent également , en dehors de ces variations appartenant au fonctionnement normal, être arrêtées en raison du contexte ou d’un besoin de maintenance. Cela ne change rien à la différence profonde de nature entre ces types d’énergie: les centrales à charbon et à gaz ont également besoin d’être parfois mises en maintenance.

En France, le parc nucléaire a un facteur de charge relativement bas : de l’ordre de 70%, contre 90% pour les centrales américaines, espagnoles, brésiliennes, etc. Cela s’explique essentiellement par deux choses: la grande part du nucléaire, ce qui fait que c’est lui qui absorbe une large part des variations de consommation; la priorité sur le réseau des EnRi. Enfin, il faut rappeler que plus les normes sont exigeantes, plus le facteur de charge sera bas.

Notez que la notion de facteur de charge ne prend pas en compte les variations. Un facteur de charge à 50% stable n’a rien à voir avec un facteur de charge à 50% passant de 0 à 100% toutes les heures. En effet, la consommation doit à tout instant être satisfaite.

Notez qu’on peut se demander l’impact des EnR sur le besoin de maintenance en général. En effet, ils augmentent le besoin de modulation et donc les hausses et les baisses de régime. Or c’était un risque dont on parlait déjà en 1979 :

Dans l’extrait que nous vous proposons en tête d’article, Marcel Boiteux décrivait quelle pouvait être l’origine probable de l’apparition de fissures dans les conduits menant aux cuves, notamment les différences de températures. Un risque clairement identifié dès cette époque comme le montre ses propos : « ces cuves sont soumises à des cycles thermiques. Quand l’usine est en pleine puissance, elle est chaude, quand elle est en faible puissance, elle est froide ». La température de l’eau chauffée par la fission des atomes d’uranium atteignant selon lui à 350 °C (elle est en fait de 320 °C). Il poursuivait : « Le résultat, c’est que l’acier est dilaté par la chaleur et contracté quand il fait moins chaud. Et c’est cette respiration thermique qui est en cause. »

https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/president-edf-risque-fissure-centrales-nucleaires-marcel-boiteux

Le problème de la corrosion

Un événement majeur s’est produit fin 2021. A partir du 21 octobre 2021, on a observé des microfissures à des endroits où elles n’étaient pas attendues. Cela a concerné au total 12 réacteurs sur de nombreux mois, faisant craindre des pénuries pour l’hiver 2023.

Le sujet est présenté en détails par :

Une audition parlementaire a eu lieu sur le sujet:

Les arrêts liés à la sécheresse et à la chaleur

Pour se refroidir, les centrales nucléaires ont besoin d’eau. Celle-ci peut venir des cours d’eau adjacents ou bien de la mer. Certaines centrales ont des circuits de refroidissement « fermés »: l’eau va circuler, être refroidie grâce à des tours réfrigérantes, puis réutilisée. Cela limite drastiquement le besoin d’eau. Notez qu’il est aussi possible d’utiliser les eaux usées (ce que fait d’ailleurs la centrale américaine de Palo Verde, en Californie).

Certaines centrales ont néanmoins encore des circuits ouverts, où l’eau transite simplement par la centrale et ressort avec quelques degrés de plus. Cela peut poser des problèmes environnementaux, il y a dont une réglementation pour éviter que l’eau en sortie soit trop chaude. C’est une réglementation qui a pour objet de protéger la faune et la flore: je doute qu’il soit compliqué et dommageable de prévoir de relever les seuils en cas de situation exceptionnelle.

Les arrêts en été 2022

Cela a été problématique pendant l’été 2022, qui a été particulièrement chaud, alors que le parc étant déjà amputé de plusieurs réacteurs pour le problème de corrosion dont nous venons de parler. Dès le 9 mai, EDF avait du envisager de réduire légèrement la puissance de la centrale du Blayais jusqu’au 15 mai. Notez que c’était lié à un été particulièrement précoce: « Avant le 15 mai, c’est la réglementation hivernale qui s’applique avec un niveau de température de la Gironde maximal autorisée de 30 degrés. Après, le 15 mai, ce seuil passe à 36,5 degrés. Or, avec le réchauffement climatique, les températures montent parfois bien avant le 15 mai » (Fabrice Guillon, CGT d’EDF). Le 6 juin, EDF avait annoncé réduire la production de la centrale de Saint-Alban de quelques centaines de MW pendant quelques heures, sur quelques jours. En juillet et en août, plusieurs centrales (du Bugey, du Blayais, de Golfech, de Saint-Alban et du Tricastin) avaient bénéficié de dérogations

De légères dérogations ont été accordées, résumées ici : https://twitter.com/TristanKamin/status/1548983324961607681. De plus, ces dérogations étaient subordonnées au besoin exprimé par RTE. Il semble d’ailleurs que cette dernière ait pu préférer faire tourner les centrales à charbon plutôt que de mettre en oeuvre cette dérogation …

Arrêts pour sécheresse et dérèglement climatique

Les sécheresses et chaleurs plus fréquentes vont effectivement devenir plus problématiques. L’ASN a averti: « L’ASN a rappelé à EDF le besoin d’anticiper la manière dont seront gérées les potentielles situations de canicule et de sécheresse des prochains étés, au vu du retour d’expérience tiré de l’année 2022 ». Néanmoins, il faut nuancer la portée du problème.

Tout d’abord, il est, en soi, mineur:

EDF en relativise la portée, soulignant qu’en France, les pertes de production pour cause de températures élevées de cours d’eau ont représenté 0,3% de la production nucléaire annuelle depuis 2000. Mais à l’heure où le président Emmanuel Macron entend relancer la filière, ces événements ont été pointés par les adversaires du nucléaire, à l’instar de Jean-Luc Mélenchon, qui y a vu la remise en cause de l’argument selon lequel l’énergie nucléaire serait plus régulière que les renouvelables.

https://www.francetvinfo.fr/societe/nucleaire/secheresse-edf-baisse-la-puissance-d-un-reacteur-nucleaire-a-cause-du-faible-debit-du-rhone_5181973.html

Une étude approfondissant le sujet sur le long terme conclut qu’effectivement cette proportion devrait augmenter, mais reste insignifiante: « Sur la base des projections des scénarios climatiques retenus, la déperdition énergétique annuelle moyenne du parc nucléaire mondial est estimée entre 0,8 % et 1,4 % à moyen terme (2046-2065) et entre 1,4 % et 2,4 % à long terme ( 2081-2100). » (traduit de l’anglais, Ahmad 2021)

Ensuite, il ne concerne que les réacteurs en circuit ouvert utilisant les cours d’eau pour se refroidir, soit une dizaine en France. Cela ne concerne pas les centrales de bord de mer (14) et beaucoup moins (voire pas du tout) celles ayant une tour réfrigérante [à confirmer] (32). La centrale de Civaux, par exemple peut rejeter une eau plus froide que celle qu’elle prélève.

De plus rappelons que, dans le monde, des centrales nucléaires comparables fonctionnent dans des environnements bien plus arides:

  • Dans le désert d’Arizona, la centrale de Palo Verde utilise pour se refroidir (avec des tours aéroréfrigérante) les eaux usées de la ville de Phoenix située à 70km.
  • En Arabie Saoudite,

Ainsi, il est parfaitement faux de dire que le nucléaire serait incompatible avec le dérèglement climatique. Si les sécheresses et chaleurs plus fréquentes vont effectivement devenir plus problématiques, c’est qu’elles vont passer d’un problème insignifiant à un problème à peine moins insignifiant (pour lequel des adaptations existent).

La désinformation autour du facteur de charge

Maintenance: la malhonnêteté saisonnière

Dès que des réacteurs sont mis en maintenance, le lobby antinucléaire va saisir l’occasion pour le présenter comme la marque d’une défaillance intolérable. Par exemple, en septembre 2020, Greenpeace publiait « +de 2 réacteurs nucléaires sur 5 à l’arrêt pour maintenance, avaries ou en raison des conditions climatiques. De vraies mesures s’imposent pour réduire la consommation d’électricité et diversifier notre mix, plutôt que ce recours désastreux au charbon ».

Le facteur de charge

Les antinucléaires relèvent souvent dès que le facteur de charge est relativement faible à tel ou tel moment et s’en servent malhonnêtement pour pousser leurs revendication.

Paul Neau écrivait par exemple en septembre 2020: « A 16h, ce mercredi 16 septembre, 25 des 56 réacteurs nucléaires FR sont à l’arrêt (carénage, maintenance, pannes, sécheresse). Leur production est de près de 29 600 MW, à comparer à une puissance installée (maximale) de 61 370 MW. »

Il y a plusieurs manières de le présenter. Par exemple, la fondation Nicolas Hulot écrivait « Bonne nouvelle ⚡ 40% de l’électricité était renouvelable en 🇪🇺 au 1er semestre. En 🇫🇷 l’éolien et l’hydraulique ont compensé la baisse de la production #nucléaire causée par la crise sanitaire. #EnergiesRenouvelables », alors même que la baisse du nucléaire en question résultait de la priorité de l’éolien

Corrosion sous contrainte

J’ai plusieurs éléments me laissant penser une désinformation ayant entretenu la confusion entre la corrosion sous contrainte et la fatigue thermique, ce qui a permis de dire qu’on était au courant depuis longtemps du problème. C’est encore flou et nécessaire des approfondissements.

Rejet d’eau chaude: le drame

Les antinucléaires ont également dramatisé les dérogations permettant aux centrales de rejeter de l’eau un peu plus chaude. Ainsi Aymeric Caron écrivait le 16 juillet 2022 : « Voilà la réalité du nucléaire en France aujourd’hui: alors que 29 réacteurs sur 56 sont à l’arrêt, EDF va maintenant rejeter de l’eau trop chaude, ce qui va abîmer la faune et la flore. Il faut en finir avec le #nucléaire, qui n’est pas une énergie écolo.« .

Eau et nucléaire: la sensibilité du nucléaire au réchauffement climatique

Les acteurs du lobby antinucléaire répètent que le réchauffement climatique mettrait en péril la production d’énergie nucléaire.

Ils peuvent également lier cette désinformation avec l’accusation d’intermittence, que nous avons vue plus haut. Par exemple, Antoine Léaument, député LFI, ci-contre.

Notez que l’actualité avait donné un parallèle amusant, illustrant bien l’absurdité des propos des antinucléaires: lors de ce fameux été 2022, une large partie de la flotte de canadairs était indisponible alors que des feux menaçaient. (source)


Pour aller plus loin:

  • Thread de Kevin Arnoud, très complet et avec les sources à la fin : https://twitter.com/kevin_arnoux/status/1417176740678471683
  • RTE, Réunion n°4 : effets du climat sur la production électrique d’origine nucléaire et thermique, 10 mars 2021, https://www.concerte.fr/system/files/u12200/2021_03_10_Presentation_GT_base_climatique_4_Nucleaire%20vF-min.pdf

L’ « intermittence » du nucléaire

Globalement, tous ces éléments ont été mobilisés, à partir de 2022, pour alléguer l’intermittence du nucléaire, ce qui va devenir un élément de langage pour neutraliser l’accusation d’intermittence contre les EnR.