L’incroyable financement de l’étude Séralini
Les premières fois que j’ai entendu parler du financement de l’étude Séralini, cela m’a choqué: Auchan et Carrefour auraient participé à financer cette étude scandaleuse ? La réalité est en fait bien pire …
Rappel du contexte: l’étude Séralini désigne l’étude suivante:
Gilles-Éric Séralini, Emilie Clair, Robin Mesnage, Steeve Gress, Nicolas Defarge, Manuela Malatesta, Didier Hennequin et Joël Spiroux de Vendômois, « RETRACTED: Long term toxicity of a Roundup herbicide and a Roundup-tolerant genetically modified maize », Food and Chemical Toxicology, Elsevier, vol. 50, no 11, novembre 2012, p. 4221-4231 DOI 10.1016/J.FCT.2012.08.005)
En deux mots, les chercheurs ont analysé pendant 2 ans des groupes de 10 rats qui sont en moyenne 80% à développer des tumeurs en 540 jours, en on tiré des résultats qui ne sont pas conformes aux tests statistiques. L’étude a été rejetée par l’ensemble de la communauté scientifique. (pour creuser le sujet: Arjo et al. 2013)
En même temps, cette étude était l’élément central d’un plan de communication. En effet, les journalistes ayant eu la primeur de l’information à condition de ne pas consulter de spécialiste ; l’article annonçait la sortie d’un film autour de l’étude 9 jours à peine après la parution !
Si certains ont suspecté raisonnablement une fraude, il n’y a pas eu de preuve en ce sens.
Sur Séralini, nous avons également écrit un article sur la rétractation de son étude et la polémique qui l’a suivie.
L’impulsion de Carrefour et Auchan
Dans le livre promu grâce à l’étude sus-mentionnée, Tous Cobayes , Gilles-Eric Séralini raconte lui-même la génèse de celle-ci (p.50-51). En écartant (autant que possible) les éléments de storytelling (l’intérêt de la grande distribution suite à la transposition de la directive sur les produits défectueux, ce qui me semble évidemment douteux, etc.), voici les éléments qui ressortent:
- Chantal Jacquet, « directrice des produits de la marque Carrefour dans les années 1990, s’est impliquée avec courage et ténacité dans la création de produits sans OGM. » Elle aurait développé des filières sans OGM « dans les pays exportateurs de soja ou de maïs. Ces producteurs respectent un cahier des charges élaboré par les dirigeants de Carrefour et se plient à des procédures de contrôle. La grande distribution peut ainsi se poser en promoteur du développement durable. Elle a souvent demandé conseil au CRIIGEN, qui a régulièrement expliqué à l’opinion et aux pouvoirs publics pourquoi l’étiquetage et la traçabilité des OGM étaient indispensables. Le CRIIGEN a aidé la Fédération européenne du commerce et de la distribution et le groupe Carrefour dans leurs efforts pour éclairer le choix du consommateur et obtenir que les règlements européens prévoient l’étiquetage des OGM, pour établir un premier frein à une évaluation mal faite. »
- « Gérard Mulliez, le fondateur d’Auchan (douzième groupe de distribution alimentaire dans le monde), participe à ce mouvement. Il a créé l’association Fontaine qui, entre autres choses, forme les cadres du groupe et de firmes (associées ou non) aux problématiques de l’environnement et de la sécurité sanitaire. Il a pris fait et cause pour notre projet, ainsi que Jacques Dublancq, l’un de ses bras droits, et c’est à partir de là que les choses se sont mises à bouger. La possibilité de mener notre expérience a commencé à s’esquisser. Leur conviction intime est que le XXIe siècle ne pourra éviter de gérer les énormes problèmes liés à la croissance de la population mondiale, à l’épuisement des ressources naturelles et à la dégradation accélérée de l’environnement. Ils sont persuadés que les entreprises qui sauront les premières s’adapter à cette nouvelle donne réussiront mieux que les autres. Entre les premiers frémissements et le moment où le million d’euros sans lequel rien ne pouvait démarrer a été réuni, de l’eau a coulé sous les ponts. Il a fallu revenir à la charge, persuader, convaincre.
- […] « L’association Fontaine a permis de recruter plusieurs dizaines de donateurs qui se sont eux-mêmes regroupés sous le nom de CERES2. Cette autre association, créée par Jacques Dublancq, a débloqué une première somme d’environ 500 000 euros qui nous a permis de mettre en route les premières phases de l’expérience. »
Notez que le chercheur s’est fendu au passage d’un petit coup de pub:
« Le puissant consortium de la distribution alimentaire apparaît ainsi comme un agent économique capable, en développant les filières bio, non-OGM, et les contrôles de pollution chimique dans les aliments (au sein de laboratoires privés ou de ses propres laboratoires), de veiller efficacement à l’écologie. Il se donne pour plus vertueux que d’autres industriels et plus efficace que l’État. Beau renversement, après avoir écrasé les petits commerçants et favorisé à outrance l’agriculture intensive »
Voilà, donc il ne s’agit pas simplement d’un soutien de la grande distribution, il s’agit d’une impulsion déterminante.
Il y a eu quelques autres financements. Corinne Lepage, cofondatrice avec G-E. Séralini du Criigen, résume:
Nous avons cherché de l’argent pour réaliser cette étude, sur lequel nous sommes tout à fait transparents : nous avons obtenu un million d’euros de la Fondation Charles Léopold Mayer, deux millions de la part de l’association CERES, cent mille euros de fonds publics de la réserve parlementaire d’un député [François Grosdidier] et un peu d’argent sur fonds propres du CRIIGEN.
Corinne Lepage, L’économie, instrument de la transition écologique, Vraiment durable 2013/1 (n° 3), pages 111 à 134
Or, il se trouve que la grande distribution a un intérêt direct au développement du bio: c’est beaucoup plus rentable. De même, F. Grodidier se positionnait comme anti-OGM, il y avait un intérêt politique.
Le montage financier
Séralini et ses acolytes ne voulaient pas être reconnus comme les valets des industriels:
Nous avons cependant dû sortir de ce cadre pour organiser le montage financier nécessaire à l’expérience. Pour éviter tout rapprochement disqualifiant avec les méthodes des industriels, il fallait un cloisonnement net entre les scientifiques, qui menaient cette expérience dans le respect d’une éthique de l’indépendance et de l’objectivité, et les associations qui la subventionnaient. L’association Fontaine a permis de recruter plusieurs dizaines de donateurs qui se sont eux-mêmes regroupés sous le nom de CERES. Cette autre association, créée par Jacques Dublancq, a débloqué une première somme d’environ 500 000 euros qui nous a permis de mettre en route les premières phases de l’expérience.
Il n’était toutefois pas concevable qu’elle soit le commanditaire direct de l’étude. Nous ne pouvions nous exposer à apparaître aux yeux de nos détracteurs comme des scientifiques financés directement par le lobby de la grande distribution – d’une façon symétrique aux experts influencés par celui de l’agro-alimentaire. Et cela même si de nombreux autres métiers étaient représentés au sein de CERES.
Le CRIIGEN, alors sous la présidence efficace de Corinne Lepage, a joué un rôle capital dans le montage de l’expérience car il a assuré l’interface entre les associations donatrices (CERES, puis, on le verra, la fondation Charles Léopold Mayer pour le progrès de l’homme avec son directeur Matthieu Calame, spécialiste de l’agriculture de proximité et durable, et quelques autres) et le comité directeur de l’expérience.
Le CRIIGEN, déjà lié par une convention financière et de recherche avec l’université de Caen, subventionne régulièrement des bourses de recherche pour les étudiants, des expériences, des achats de matériel, comme le font les organismes de recherche d’État (INRA, CNRS ou INSERM), sinon qu’il s’agit dans son cas de l’apport d’une association. Dans le cadre de ladite expérience « In vivo », le CRIIGEN a géré les fonds à l’aide d’un cabinet d’experts-comptables et d’un commissaire aux comptes.
Gilles-Eric Séralini, Tous Cobayes
Donc ils ont fait une étude évidemment biaisée et indéfendable financée par des industriels et des politiciens; ont tenté de le cacher à travers un montage financier complexe pour ne pas s’ « exposer à apparaître aux yeux de [ses] détracteurs comme des scientifiques financés directement par le lobby de la grande distribution » …
ET ILS L’ONT ECRIT DANS UN LIVRE !
Cela se passe de commentaire.
Le plus délirant est sans doute que les défenseurs les plus acharnés de Séralini ne l’ont jamais fait remarquer. Cela illustre toute la supercherie qu’est la prétention au désintérêt.