Joseph Goebbels par Nicolas Patin (30/01/2020) : une conférence inspirante

Un historien, Nicolas Patin, a fait une conférence très intéressante, le 23 janvier 2020, sur Goebbels.

J’y ai trouvé plusieurs éléments qui permettent de mieux comprendre la pseudo-écologie, l’agribashing et l’antisémitisme.

La doxa et son application : le coeur du double langage

« Les nazis séparaient les formes d’antisémitisme.

D’un côté vous avez, ce que Himmler défend, un antisémitisme rationnel, raisonnée, un antisémitisme, je cite, « sans haine », qui consistait à ne pas haïr les juifs, mais ajuste à considérer qu’ils sont les ennemis ratio de l’allemagne depuis 2000 ans.

Et de l’autre côté vous avez ce que les nazis appellaient Radau Antisemitismus, l’antisémitisme de caniveau qui est une haine en dessous de la ceinture : le juif c’est le proxénète qui prostitue les femmes allemandes et les transforment en catin, le juif fait des tournantes, le juif sacrifie les animaux de manière violente et vous voyez que quand on compare avec certaines choses d’aujourd’hui le seul, ça me vient à l’idée parce que bon Brigitte Bardot qui critique les musulmans disent qu’ils sont qui sont très méchants avec les animaux, c’est ça le niveau du de l’antisémitisme de caniveau de l’époque y a pas forcément de la réflexion : c’est le juif il est moche, il est sale, il vient de l’Est et il est méchant que les animaux. »

On retrouve cette « nuance » dans l’antisémitisme antistioniste actuel :

18’15 – 19’15
  • d’un côté vous avez les producteurs de discours publics qui doivent inventer un antisémitisme « rationnel », l’antisionisme,
  • et de l’autre vous avez la masse qui a bien compris le message et qui va adopter l’antisémitisme le plus basique et violent.

On a pu voir cette dichotomie dans l’épisode « Poupette Kenza », une influenceuse rassemblant plus de 1M de followers, qui n’a pas correctement appris les éléments de langage et a fait « la boulette » : dire Juifs au lieu de Sionistes.

Cette dichotomie, on la retrouve aussi dans la pseudo-écologie : d’un côté les producteurs de discours vont atiser la haine avec des diabolisations délirantes mais tentant de se rattacher d’une façon ou d’une autre à « la science », de l’autre les croyants vont comprendre le message : être violent.

Plus spécifiquement, on la retrouve dans l’agribashing, avec d’un côté le discours très sophistiqué légitimant la haine des agriculteurs et, de l’autre, ceux qui n’ont pas besoin de ces sophistications pour aboutir au même résultat.

La violence chez les SA (Sections d’Assaut)

« Goebbels est très proche des sections d’assaut berlinoises et il va sculpter leur communauté de transgression par la violence. Une fois qu’un est mort tué par un communiste, ceux qui restent ont l’impression, enfin, de devenir comme leurs frères dans la première guerre mondiale. Ils ont l’impression de se sacrifier, ils ont l’impression de faire communauté et cette violence-là, elle a sculpté des rapports de collectivité. Et ça fonctionne comme une famille soudée dans une sorte d’adversité fantasmatique. […]

Ca il l’a bien compris et c’est aussi quelqu’un qui a bien compris les rituels, notamment les rituels de sacrifice. Goebbels va créer un martyrologe (?) des morts de la SA en inventant de toutes pièces, c’est ça qui est génial passez moi l’expression, mais vraiment les Fake News d’aujourd’hui sont rigolotes comparées à l’époque. Le plus connu c’est Horst Wessel,. C’est un jeune SA qui en plus est poxénète […] et il va être tué, mais pas du tout pour des questions politiques, par un communiste pour des histoires de prostituées. Goebbels se dit super, je vais en faire un héros national. Il compose le Horst Wessel Lied pour commémorer la mort de ce jeune SA. Ca va devenir l’hymne des SA, puis l’hymne du parti, puis l’hymne national. Donc c’est quand même génial de se dire que pendant tout le troisième Reich, les types ont chanté pour un mec qui s’est fait tuer pour une question de prostituées, mais voilà, si vous voulez, ça marche à l’époque, c’est vraiment ce côté ‘nos frères tombés au combat à cause du système weymarien et des rouges’. »

(39’55 – 41’45)

La violence soude, elle unit les militants dans l’action et augmente leur investissement dans le système. C’est un élément central, je pense, des mobilisations violentes pseudo-écologistes, comme celle de Sainte-Soline.

C’est aussi la logique de l’exploitation : le collectif profite de la souffrance de ses militants.

Désinformation et économie cognitive

Est aussi abordée la nature réelle de la propagande, qui n’est jamais de transmettre une information, mais une émotion et un message plus fondamental :

Et dans la réception de la propagande, ce serait beaucoup trop simple et beaucoup trop rassurant de considérer que Goebbels a lavé le cerveau, tel qu’on le lit dans tous les livres des années 50, 60. Pourquoi on a écrit ça ? Il y a toujours une raison. C’est parce que, pour les allemands de l’époque, ça les aidait à se déculpabiliser. Ca leur disait « c’est pas notre faute, on nous a menti, on nous a Fake Newsé, on nous a lavé le cerveau. »

58’45 » –

Je passe sur l’évocation de Chomsky comme un « grand grand penseur » (gauchisme oblige j’imagine …)

Ce qu’avait compris Goebbels et ce qu’on peut retenir comme définition de la propagande, c’est que la propagande ne va pas vous dire quoi faire, elle ne va pas vous dire « il faut voter Hitler » ou « il faut acheter pepsi, cola », etc. Vous êtes trop intelligents pour ça et les allemands de l’époque aussi et ça c’est très important. L’historien Edwards Peter Hanson disait « il faut se méfier de la condescendance de la postérité ». On pense que parce qu on a 60 ans de plus et parce que je suis en train de vous faire une conf’ ce soir, on ressort plus intelligents, mais la réalité c’est que c’est non. et que cette propagande […] elle nous dit pas quoi faire, elle fixe les cadres dans lesquels on se meut. Elle fixe les cadres dans lesquels on pose les questions.

Il évoque ensuite un livre, Soldat, de Sönke Neitzel , Harald Welzer, rapportant les enregistrement de soldats allemands, prisonniers des camps anglais après la Guerre.

C’est des mecs de la wehrmacht c’est vraiment le bas du panier de la génération des jeunesses hitlériennes, mais ce qu’on voit quand même c’est qu’ils vont pas répéter ce que disait goebbels mot pour mot en disant les anglais sont de toute façon Wall Street égale Moscou égale la domination juive judéo bolchévique.

Non par contre un certain nombre de cadres ont été formés par les nazis les cadres de la manière de percevoir le monde notamment l’idée que la guerre avec l’URSS et le reste de l’Europe est une guerre à la vie à la mort ça s’est intégré ça y’a pas de problème. Ca s’est passé. L’idée que les allemands ont une tâche particulière à faire, il y a tout un tas de choses comme ça qui ont été formés. Donc voilà où à mon avis s’arrête l’efficacité de la propagande des nazis n’en aurai jamais le pouvoir et aucun pouvoir n’a la possibilité de formater de laver le cerveau à ces populations par contre ils ont la possibilité de fixer des cadres.

Cette citation montre l’importance des différents thèmes que vont construire la pseudo-écologie et les autres pseudo-causes, car là sont les « vrais » contenus qui vont être le mieux retenus. C’est en même temps la logique du double langage : on peut feindre d’avoir un discours s’inscrivant dans une conversation donnée, alors qu’il a pour seul objectif de produire cette information globale facile à retenir.

Le mal ordinaire

Enfin, finissons sur un passage lors des Q/A, dans lequel l’historien condamne les présentation des nazis comme des gens très anormaux, souvent très intelligents mais pervers, alors qu’il s’agissait de gens « normaux » [= n’ayant pas d’autres spécificités que d’adhérer à des saloperies], ce qui est quelque chose qui mériterait d’être davantage dit :

Si je dois résumer ce qui est un nazi, je ne sais pas si vous intéressez à l’actualité des yougoslaves, vous vous souvenez peut-être des milices paramilitaires serbes croates bosniaques, notamment les tigres d’arcane, c’étaient des hooligans de foot avec des flingues. C’est ça un nazi.

C’est pas dire qu’il n’est pas politique, c’est-à-dire que c’est d’abord un homme, je vais pas dire que les femmes ont pas fait des trucs pas terrible après la prise du pouvoir on a le bouquin de wendy lower sur les furets d’Hitler, mais c’est-à-dire que c’est un truc viril de gros débile de mec entre eux et un petit peu politisée. Et donc c’est vrai que cette image du nazi super que vous avez dans les jeux vidéo vous allez dans les films, Inglourious Basterds, le nazi bien pervers très intelligent : non c’était des types pas très malin qui appliquaient un système raciste et raciales qui vivaient sur 30 50 ans de déshumanisation notamment des juifs.

1h17’53 » – 1h18’40 »

C’est la désinformation et le conditionnement qui en font les rouages d’une machine monstrueuse. Il faut comprendre ce processus, ces ressorts, parce que c’est exactement ce qu’il y a réellement au fond de la pseudo-écologie. Pas forcément dans l’esprit des leaders, qui vont être plus court-termistes, mais dans la logique profonde du mouvement, qui se voit déjà, notamment dans la dégradation de l’agriculture de pays souffrant déjà de la faim (ex: la résistance au riz doré).