54. 27 août 2019 : Disparition des abeilles : comment l’Europe a renoncé à enrayer leur déclin

Cette page fait partie du corpus d’articles (annexe 1) utilisés pour écrire le livre Stéphane Foucart et les néonicotinoïdes.

Je relate ici les propos du journaliste dans « Disparition des abeilles : comment l’Europe a renoncé à enrayer leur déclin ».


La « mise à jour des principes d’évaluation des effets des pesticides sur les abeilles » a été prise le 17 juillet. Ce texte ferait l’impasse sur l’essentiel des recommandations de l’EFSA. La plupart des mesures seraient renvoyées à un examen ultérieur.

Cette décision interviendrait après l’étude publiée en 2017 dans PloS One (Hallman et cpll. 2017) observant que « la biomasse d’insectes volants a chuté de plus de 75 % entre 1989 et 2016 dans une soixantaine de zones protégées d’Allemagne. » Les auteurs de cette dernière suspecteraient que ce déclin soit représentatif des « paysages de basse altitude d’Europe occidentale dominés par les activités humaines », ce qu’étayerait « le « syndrome du pare-brise propre » constaté par les automobilistes âgés de plus de 40 ans. » Ce déclin abrupt coïnciderait avec l’introduction des NNI et du fipronil. Les alertes des apiculteurs consécutives à l’utilisation de ces produits remonteraient à 1994 selon M.Dermine de l’ONG PAN-Europe.

Dès 2001, des travaux de l’INRA montraient que des doses d’imidaclopride « plusieurs milliers de fois inférieures à la dose de toxicité aiguë, administrées chaque jour, étaient susceptibles de tuer une abeille domestique en huit jours. » L’étude de la seule toxicité aiguë aurait largement sous-estimé l’impact de ce pesticide. Déjà en 2003, le CST « avait montré que les tests réglementaires en vigueur » étaient « inaptes à évaluer les risques des nouvelles générations de produits phytosanitaires sur les abeilles. » Ce rapport avait abouti à l’interdiction de certains usages de l’imidaclopride.

Il fallut attendre près de 10 ans pour que l’UE s’intéresse à cette question. Le rapport rendu par l’EFSA en 2012 conclut que les méthodes d’évaluation des risques sont très insuffisantes. (Boesten et coll. 2012) En 2013, l’agence sanitaire publia un « document-guide » décrivant « un ensemble d’effets délétères potentiels qu’il faudrait tester avant d’autoriser une molécule à entrer sur le marché. » Il recommande notamment de prendre en compte les différentes voies d’exposition, ainsi que les effets sublétaux. Ce document a été mis à l’ordre du jour d’un comité technique européen, le SCOPAFF, mais aucun accord n’aurait été trouvé entre États membres pour l’adopter.

Le 17 juillet, aucune des avancées proposées n’aurait été adoptée, reconduisant « une évaluation des risques fondée sur la toxicité aiguë ». La Commission aurait alors demandé à l’EFSA de revoir encore ses propositions. Pour M.Dermine, cette demande ne serait pas « une expertise scientifique, mais plutôt un exercice d’acrobatie politique visant à réduire les ambitions pour satisfaire les États membres réticents ».

L’association Pollinis, participant à un comité mis en place sur le sujet par l’EFSA, dénoncerait « l’intense lobbying des industriels de l’agrochimie. Ceux-ci ont adressé aux responsables de l’exécutif européen au moins une dizaine de courriers protestant vigoureusement contre le document-guide de l’EFSA. » Leurs enjeux sont en effet considérables : la large majorité des usages d’herbicides, de fongicides et d’insecticides ne passeraient pas les tests proposés par l’EFSA. Selon l’ECPA, les tests proposés ne seraient pas faisables, certains tests préconisés ne disposant même pas de méthodologies reconnues au niveau international.

[Foucart reprend un graphique montrant l’augmentation de charge toxique aiguë des insecticides de l’agriculture américaine, quasi exclusivement liée aux NNI, tiré d’une étude Plos One 2019, et celui sur la diminution de la masse d’insectes de 75 % observé par l’étude PLOS ONE de 2017 de Hallman et coll. 2017]

Un rapport publié en 2015 par l’EASAC aurait également observé que de « très faibles niveaux de néonicotinoïdes ont des effets sublétaux de longue durée sur des organismes bénéfiques ». Le coordinateur du rapport, Michael Norton, souligne en outre que les pollinisateurs sauvages seraient plus sensibles que les abeilles domestiques, leur déclin traduirait donc des dégâts encore plus grands sur les autres pollinisateurs. Il faudrait donc étudier les risques des pesticides sur « d’autres insectes sauvages ayant un rôle bénéfique sur les activités humaines. »

[NdA : S. Foucart finit par une présentation de son livre « Et le monde devint silencieux »]

1Pesticide Action Network-Europe

2European Crop Protection Association, « l’association professionnelle des fabricants de pesticides »

3« European Academies Science Advisory Council » (= l’académie des sciences de l’UE)