Train, sabotage et anticapitalisme [30/07/2024]

Juste avant les Jeux Olympiques, le 26 juillet, des actes de sabotage ont endommagé sérieusement le réseau SNCF. Le 28 juillet, une revendication d’extrême gauche est parvenue à la presse. Nous allons la commenter ici.

Diabolisation des Jeux Olympiques

Les auteurs commencent par diaboliser les Jeux Olympiques réduits à

  • une « célébration du nationalisme, une gigantesque mise en scène de l’assujettissement des populations par les États »,
  • offrant un « champ d’expérimentation pour la gestion policière des foules et le contrôle généralisé de nos déplacements »
  • et « l’occasion de vouer un culte aux valeurs qui fondent le monde du pouvoir et de l’argent, à la concurrence généralisée, à la performance à tout prix, au sacrifice pour l’intérêt et la gloire nationale. »

La rhétorique est donc clairement anarchiste (anti-état) et anticapitaliste. Il reconstruit l’événement à partir de sa grille de lecture et le réduit aux dimensions qui l’arrangent. On devine même un côté complotiste, comme si les JO étaient destinés à améliorer les tactiques répressives.

On voit aussi poindre un des leviers centraux de l’anticapitalisme : la déresponsabilisation. Ils rejettent tout ce qui peut leur renvoyer l’image d’être « un perdant ».

Notons que, pour les auteurs, les capitalistes s’enrichiraient pour la gloire nationale …

Discours antiFrance et anticapitaliste

Des JO, la haine du texte passe à la France.

Des enfants pourris gâtés

« L’injonction à s’identifier à une communauté imaginaire et à soutenir son supposé camp d’appartenance n’est pas moins néfaste que l’incitation permanente à voir son salut dans la bonne santé de son économie nationale et dans la puissance de son armée nationale. »

Il refuse donc de se concevoir comme français et reproche aux JO de le « ménationaliser ». C’est un point étrange : pourquoi se sent-il « forcé » ? De quelle injonction parle-t-il ? S’il est « anational », qu’il se conçoit comme apatride, soit. Qu’est-ce que cela a à voir avec les JO ?

On devine une sorte de fragilité et de prétention extraordinaire : il faudrait que ce qu’il ne se produise aucun événement public d’ampleur qui contredise ses valeurs : il DOIT pouvoir se penser comme au centre du monde.

Secondement, il prétend que l’économie nationale ne serait pas notre affaire, un peu comme si les emplois, l’ordre public et les bénéfices sociaux tombaient du ciel.

C’est la mentalité classique d’enfants « pourris gâtés », qui considèrent que ce qu’ils ont leur est dû par la providence, si présente dans les discours anticapitalistes.

Le délire est achevé par la mention de la défense nationale. En pleine guerre d’Ukraine, les auteurs prétendent donc qu’avoir une armée n’est pas utile, un peu comme si Bucha ne s’était pas produit, comme si le 7/10 était une fable.

On devine le pacifisme qui a si bien réussi à la France pendant l’entre deux guerres. C’est beau comme du Poutine.

Le rejet du bien-être occidental

« Il faut aujourd’hui des doses toujours plus grandes de mauvaise foi et de déni pour ne pas voir toute l’horreur que génère la société de consommation et la poursuite du prétendu « bien-être à l’occidental ». La France voudrait faire de cette grande messe la vitrine de son excellence. Elle ne pourra bercer d’illusions sur son rôle vertueux que ceux qui ont décidé de se mettre des oeillères, et qui s’en accomodent. Nous leur adressons le mépris le plus profond. »

On retrouve la logique hypocrite « anti-occident », qui reproche à la société occidentale des travers qui sont présents puissance mille dans toutes les autres sociétés (racisme, inégalités, dégats environnementaux notamment).

Les auteurs ont eux-même une vie « à l’occidentale », ils ont donc besoin de dédouaner. Pour cela, ils vont créer une nouvelle catégorie : « ceux qui ont décidé de se mettre des oeillères ». N’en faisant pas partie, ils sont, au moins, meilleurs que ces derniers. Ouf, l’honneur est sauf.

C’est une des rétributions les plus importantes de la pseudo-écologie et du militantisme en général : le sentiment de pouvoir mépriser les autres.

La production d’armes

« Le rayonnement de la France passe par la production d’armes dont le volume de ventes la place deuxième exportateur mondial. L’État est fier de son complexe militaro-industriel et de son arsenal « made in France ». Répandre les moyens de la terreur, de la mort et de la dévastation à travers le monde pour assurer sa prospérité ? Cocoricoo ! »

Diabolisation antifrance classique. Pour les auteurs, les moyens militaires ne sont pas un moyen de se défendre, mais uniquement de propager la terreur et la mort. Qu’il aille dire ça aux ukrainiens …

« N’en déplaise aux crédules qui croient encore aux fables démocratiques, l’État français emploie aussi sa panoplie répressive pour affronter sa propre population. Pour mater les émeutes après le meurtre de Nahel par la police en juin 2023 ou pour tenter d’arrêter le soulèvement anticolonial en Kanaky récemment. Tant qu’il existera, l’État ne cessera de la mettre à l’oeuvre pour combattre ceux qui défient son autorité. »

L’auteur assimile ici l’industrie de l’armement avec le maintien de l’ordre, pour un peu plus diaboliser l’État.

Donc là on retrouve la négation de la dimension démocratique de l’État Français, courante à l’extrême gauche et à l’extrême droite. Cela permet de justifier l’infraction aux normes et l’antagonisme aux institutions.

On voit aussi se dessiner la mythologie d’extrême gauche, avec ses mythes (la gestion des émeutes en juin 2023 et des émeutes indépendantistes) et ses martyrs (Nahel et les Kanaks). Sa conclusion montre l’aboutissement de la diabolisation : une inversion des valeurs.

Le fait que l’État tente de faire respecter le droit est perçu comme une violation intolérable qui devrait justifier son anéantissement.

Le capitalisme en général

« Les activités des entreprises françaises à travers le monde rendent toujours plus manifeste les dévastations sociales et environnementales que produit le système capitaliste. Celles nécessaires pour reproduire l’organisation sociale actuelle, et celles inhérentes au progrès scientifique et technologique. Progrès qui ne perçoit pas l’enchaînement des catastrophes passées, présentes et à venir que comme l’occasion d’un bon en avant. »

On retrouve le dénigrement des dégats du capitalisme, qui a eu l’audace de réduire le niveau de pauvreté, la mortalité enfantile, etc. infiniment mieux que n’importe quel régime socialiste. On retrouve aussi la détestation du progrès scientifique et technologique, commun en pseudo-écologie.

Notez qu’on parle ici des entreprises françaises, renforçant la dimension francophobe du texte.

Délires pseudo-écologistes

« Total poursuit le pillage et la spoliation de nouvelles contrées en quête de pétrole et de gaz de schiste (Afrique de l’Est, Argentine, etc.). Sous couvert de son nouveau label vert, l’industrie du nucléaire et l’exportation du savoir-faire français en la matière nous assure, à plus ou moins brève échéance, une planète irradiée, donc littéralement inhabitable. Rien de plus qu’une crise de plus à gérer pour les promoteurs de l’atome. Eux qui ne peuvent se passer de leur coopération avec l’État russe à travers son géant Rosatom et de l’appui de son armée pour écraser le soulèvement au Kazakhstan en 2022, important pays fournisseur d’uranium. Ce minerai qui fait tourner les 58 réacteurs de l’hexagone. »

Ce paragraphe nous raccroche directement à la pseudo-écologie. On retrouve, dans l’ordre :

  • La détestation contre Total
  • Une exagération du risque nucléaire.
  • La dépendance du nucléaire vis-à-vis de Rosatom.
  • La dépendance du nucléaire aux importations (Kazakhstan)

On note aussi un élément qui devient de plus en plus central : le namedropping compulsif, l’évocation frénétique de noms qui prétendent illustrer l’érudition de l’auteur et prouver qu’il a raison.

Diabolisation du train et des batteries

« Alors, quel est le coût humain, social et environnemental pour que quelques privilégiés se déplacent vite et loin en TGV ? Infiniment trop. Le chemin de fer n’est d’ailleurs pas une infrastructure anodine. Il a toujours été un moyen pour la colonisation de nouveaux territoires, un préalable à leur dévastation et une voie toute tracée pour l’extension du capitalisme et du contrôle étatique. Le chantier de la ligne appelée « Tren maya » au Mexique, auquel collabore Alstom et NGE, en est une bonne illustration. »

La première phrase n’a aucun sens. La seconde l’assimile au colonialisme. On s’inscrit clairement dans l’idéologie décoloniale. Ce passage illustre le fonctionnement de la pensée militante et surtout son raisonnement par proximité. Ce qui compte, c’est ce qui « fait penser à ». On aboutit à ce genre de galimatias abscons.

« Et les batteries électriques indispensables à la prétendue « transition énergétique » ? Parlez-en, par exemple, aux travailleurs de la mine de Bou-azeer et des habitants des oasis de cette région marocaine qui font les frais de cette ruée vers l’ors d’un XXIe siècle. Renault y extrait les minerais nécessaires pour donner bonne conscience aux écolos des métropoles sur le dos des vies sacrifiées. parlez-en à ce « peuple de la forêt » de l’île d’Halmahera au nord-est de l’Indonésie, aux Hongana Manyawa qui désespères de voir la forêt où ils vivent être détruite sur l’auteur de la « transition écologique ». L’État français, via la société Eramet, participe au ravage de terres jusque là épargnées. De même, il ne veut pas lâcher le caillou mélanésien pour continuer à y arracher le précieux nickel. »

Là il s’en prend aux batteries, on ne comprend pas trop pour quoi. On devine à travers ce discours ce que ne voient pas les écologistes « modérés » : les extrémistes les méprisent infiniment. Ils ne sont qu’alliés de circonstance.

Le namedropping compulsif devient hégémonique, il n’y a plus que ça. A travers cette débauche d’éléments, on sent le risque réel de la surcharge d’information : elles génèrent une abolition du jugement. Ne reste plus que le ressenti généré par chaque information, l’émotion.

Déblatérations finales

Ultime éructation de mépris

« Nous nous arrêterons ici dans l’impossible inventaire des activités mortifères et prédatrices propre à tout État et à toute économie capitaliste. Cela ne serait d’ailleurs d’aucune aide pour rompre avec la violence des États et des chefs religieux, des chefs de famille et des patrouilles de police, des patriotes et des milices patronales, atant qu’à celle des actionnaires, des entrepreneurs, des ingénieurs, des planificateurs et des architectes du ravage en cours. Fort heureusement, l’arrogance du pouvoir continue de se heurter à la hargne des opprimé-e-s revelles. D’émeutes en insurrection, lors de manifestations offensives et de soulèvement,s à travers des luttes quotidiennes et des résistances souterraines. »

C’est un peu le final, l’éructation ultime de ce texte qui se résume, au final, à cracher son mépris sur le reste de la société.

On devine bien le principal moteur de cette rancoeur : la frustration de ne pas sentir avoir de « pouvoir », peut-être la déresponsabilisation d’un échec. Ce qui le guide, c’est le ressentiment

Lamentable imposture

« Qu’en ce jour résonnent alors, à travers le sabotage des lignes TGV reliant Paris aux quatre coins de la France, les cris de « femme, vie, liberté » d’Iran, les luttes des amazoniens, les « nique la france » venant d’Océanie, les désirs de liberté qui nous parviennent du Levant et du Soudan, les combats qui continuent derrière les murs des prisons et l’insoumission des déserteurs du monde entier.

A ceux qui reprochent à ces actes de gâcher le séjour des touristes ou de pertuber les départs en vacances, nous répondons que c’est si peu encore. Si peu comparé à cet événement auquel nous souhaitons participer et que nous appelons de tout coeur : la chute d’un monde qui repose sur l’exploitation et la domination. Là oui, nous aurons quelque chose à fêter. »

On retrouve la logique antiFrance. Mais, surtout, on voit ici la logique d’exploitation : ils s’approprient des causes qui n’ont rien à voir avec eux et qui, probablement, n’ont rien envie d’avoir à faire avec eux.

C’est surtout patent dans l’évocation à la fois des cris iraniens, du Levant et du Soudan. En effet, l’évocation du Levant renvoie très probablement à Israël : il est propalestinien, donc allié de facto des islamistes qui ravagent le Soudan et du gouvernement iranien.

Enfin, sa conclusion doit faire comprendre que son système cognitif n’a pas de limite : il appelle « la chute d’un monde qui repose sur l’exploitation et la domination. Là oui, nous aurons quelque chose à fêter. » C’est une idéologie totalitaire. Et par « un monde qui repose sur l’exploitation et la domination », il faut comprendre « ce qu’il déteste ».

Son discours prend l’apparence de la rationnalité pour pouvoir exister. C’est un antéconcept.

Commentaire

Ce que cela nous dit des saboteurs

Ce texte est intéressant, en cela qu’il montre la confusion apparente des idées des anticapitalistes, ainsi que leur cohérence réelle : ce n’est que la forme rationnelle prise par une émotion. Pour des raisons X ou Y, il a besoin d’un exutoire, de quelque chose à haïr, d’une cause à porter.

La pseudo-écologie et les autres courants idéologiques (que j’appelle méta-antéconcepts), ici anticapitalisme et anti-France vont lui apporter les ressources pour habiller ses émotions (haine, frustration) avec une forme rationnelle (tu as raison de haïr, d’être frustré, parce que …), puis pour dissimuler son mensonge.

Son passage à l’acte peut s’analyser comme l’aboutissement de ce travail d’auto-illusioniste : il a enfin réussi à croire suffisamment ses mensonges pour ne pas envisager leur fausseté.

Notre framework permet ainsi de comprendre la réalité simple et, somme toute assez triviale de l’aventure du saboteur : il s’agit simplement de quelqu’un qui a décidé de faire peser sur la société le poids de ses turpitudes.

Ce que cela nous dit sur l’écosystème de la pseudo-écologie

Si vous avez lu mon article sur le livre Impact, d’Olivier Norek, vous ne pouvez pas lire le texte des saboteurs sans y penser. C’est EXACTEMENT le même style que les discours du personnage principal, écoterroriste.

On voit ici la puissance du lobby décentralisé, qui peut diffuser impunément ses harangues violentes et ses éléments de discours, même s’ils ont un rôle réel, central et logique dans les passages à l’acte.

Et on voit la faiblesse, aussi, de l’État et des juges, qui agissent comme s’il était de toute façon indestructible et que la Haute Trahison n’était qu’une relique du passé.

Evidemment, Reporterre a joué son rôle de soutien bienveillant en reprenant extensivement, comme s’il l’approuvait, le texte des délinquants.

Coupables ou non ?

On peut se demander : et s’il s’agissait des russes ? C’est une hypothèse possible.

Revendiquer des attentats dont il n’était pas responsable était l’un des modus operandi d’un groupe, ITS.

Néanmoins, je trouverais ça étonnant qu’un collectif d’extrême gauche aie justement un pamphlet sous la main à produire. Et pourquoi faire ça soit même alors que l’extrême gauche est si désireuse de le faire ?