Glyphosate, affaire du plagiat: Wikipedia désinforme ?
En écrivant ma notice sur Gilles-Eric Séralini, je lisais sa notice Wikipedia et j’ai eu une petite surprise en arrivant à la partie sur son étude de 2007 [ce passage a été retiré entretemps].
Tout commençait normalement: l’étude est bien présentée (une décision de justice avait rendu des études industrielles d’un maïs OGM publiques et Séralini avait étudié les données et trouvé, surprise, un effet toxique), puis on présente les critiques dont elle a fait l’objet:
« Cette étude entendait remettre en question la validité des études sur lesquelles les agences gouvernementales s’appuient pour autoriser les OGM. Les conclusions de l’équipe de Criigen furent critiquées par une équipe de chercheurs soutenue et financée par Monsanto, mais aussi par le comité scientifique du Haut Conseil des biotechnologies selon lequel l’étude « n’apporte aucun élément scientifique recevable susceptible d’imputer aux trois OGM ré-analysés une quelconque toxicité hématologique, hépatique ou rénale ». Après examen approfondi de l’étude, l’EFSA conclut que cette étude comporte des « résultats trompeurs » et « que l’article ne présente pas de justification scientifique valide susceptible de remettre en question la sécurité du maïs MON 863 ». »
https://fr.wikipedia.org/wiki/Gilles-%C3%89ric_S%C3%A9ralini#cite_ref-18
C’est une présentation fidèle, on comprend bien que l’étude est bonne à jeter.
Puis, une horreur …
Un passage désinformateur pour protéger Séralini
Sorti de nulle part, ce paragraphe:
En 2017, deux quotidiens européens (La Stampa et The Guardian), accusent l’EFSA d’avoir copié-collé, dans un rapport sur la dangerosité du glyphosate publié en 2015, une centaine de pages issues des demandes de ré-autorisation de l’entreprise Monsanto, qui a breveté ce composé chimique. Auditionné au Parlement européen en octobre 2017, José Tarazona, chargé de l’évaluation des pesticides à l’EFSA, reconnaît effectivement que l’agence, pour évaluer le potentiel de risque d’un produit, se fonde habituellement sur les analyses réalisées par les industriels eux-mêmes. De plus, comme le relève la journaliste Stéphane Horel, ces études de toxicité réalisées par l’industrie pour obtenir une autorisation de l’EFSA ne sont jamais rendues publiques (au nom du secret commercial), ce qui empêche les chercheurs académiques de vérifier les protocoles et les résultats. Sachant que l’EFSA n’a pas non plus les moyens de vérifier si ces données industrielles sont valides et complètes, cela signifie que personne ne peut jamais contrôler ces données servant à mettre des produits sur le marché.
C’est un très bel exercice de la plus évidente désinformation sur l’affaire du plagiat, ainsi que d’autres éléments classiques. Détaillons un peu.
Un passage qui n’a rien à faire là
Commençons par l’éléphant dans la pièce: ce passage n’a rien à faire là. Il ne porte en aucune façon sur l’étude de 2007.
La désinformation sur l’affaire du plagiat
Il s’agit en fait d’un paragraphe reprenant l’ « affaire du plagiat ».
Dans l’avis rendu par le BfR, qui a servi de base à l’avis de l’EFSA sur le glyphosate, des blocs de texte avaient été copiés-collés depuis le dossier d’homologation.
Cela a été présenté comme une négligence coupable des agences sanitaires, présentées ainsi comme une simple chambre d’enregistrement pour l’industrie.
Elle va s’intégrer à une désinformation récurrente et ancienne contre les agences sanitaires et le système d’homologation. C’est cette dernière qui est amenée ici.
Analyse détaillée
Elle va être présentée en alignant plusieurs éléments ambigus:
- Les agences se fonderaient « habituellement sur les analyses réalisées par les industriels eux-mêmes ». Ce choix de mots est très habile, le terme « analyses » étant polysémique: il peut désigner tant les données, que leur interprétation. Dans le premier cas, l’énoncé est correct, mais dans le second il est faux et choquant.
- Ces études ne seraient pas publiques « ce qui empêche les chercheurs académiques de vérifier les protocoles et les résultats« . C’est exact, sauf que les chercheurs académiques n’ont aucune légitimité pour vérifier ces travaux. Il y a des institutions mandatés pour faire cela, on voit mal pourquoi des particuliers et des entreprises concurrentes pourraient y avoir accès. (rq: les protocoles sont, il me semble, standardisés et publics, à confirmer).
Le désinformateur explicite son raisonnement: « Sachant que l’EFSA n’a pas non plus les moyens de vérifier si ces données industrielles sont valides et complètes, cela signifie que personne ne peut jamais contrôler ces données servant à mettre des produits sur le marché. »
La première phrase semble reprendre le premier élément, lui donnant implicitement le sens faux (les agences se fonderaient sur les interprétations des industriels), tout en disant totalement autre chose: les agences sanitaires ne contrôleraient pas la validité des données et protocoles.
Il impute ainsi cela, ce qui est absolument faux, à la parole de José Tarazona (EFSA). Le deuxième point peut ainsi « briller »: les chercheurs académiques auraient, eux ces capacités et pourraient nous sauver de cette incurie. La belle histoire …
C’est un thème récurrent de la pseudo-écologie: le dénigrement du travail des agences sanitaires et la valorisation de la recherche académique. Ainsi on a un paragraphe qui n’a rien à faire là et promeut une désinformation habile et grave.
Mais un instant … de quoi parlions-nous déjà ? Ce paragraphe n’a rien à faire là et, pourtant, il est là.
Prise du recul: un objectif évident
Comme nous l’avons dit, le passage désinformatif se trouve en conclusion d’une partie présentant une étude (pourrie) de Séralini publiée en 2007 (avant la fameuse « affaire Séralini » de 2012) et il vient … juste après avoir présenté l’avis de l’EFSA, qui aurait conclu que « cette étude comporte des « résultats trompeurs » et « que l’article ne présente pas de justification scientifique valide susceptible de remettre en question la sécurité du maïs MON 863 ». »
La présence du paragraphe en question est donc en fait parfaitement logique: il tente d’amoindrir la critique portée par l’EFSA contre l’étude et donc de protéger cette dernière et Séralini.
Creusons …
Maintenant, allons voir dans l’historique des modifications Wikipedia. Que trouve-t-on ?
La modification semble avoir été faite le 21 novembre vers 14h par un dénommé « Lebrouillard »: https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Gilles-%C3%89ric_S%C3%A9ralini&diff=prev&oldid=198854766
Est-ce un compte récent ? Un original qui serait passé entre les mailles du filet ? Non.
Son compte a été créé en 2008 et il aurait été jury à de nombreux Wikiconcours et a eu plusieurs récompenses:
Mieux: il s’agit … d’un administrateur.
On devine ici la puissance de la dimension décentralisée de l’économie pseudo-écologiste. Il n’a sans doute pas eu besoin qu’un cadre lui aie demandé de placer son paragraphe ici. Il peut très bien l’avoir fait de lui même et être rétribué par le sentiment de travail accompli: « Voilà, j’ai fait ma bonne action ».
Bref, un administrateur de Wikipedia a publié un paragraphe désinformatif pour défendre Séralini. On voit ici la force de l’influence pseudo-écologiste.