Est-ce que le glyphosate est cancérigène ? L’avis du CIRC

En mars 2015, le CIRC a rendu un avis classifiant le glyphosate comme « probablement cancérigène pour les humains » (groupe 2A). L’organisation présente cette décision et la détaille sur son site. Les éléments de preuves de cancérogénicité seraient « limités » pour les humains (à des expositions réelles) et « suffisantes » pour les animaux en expériences (pour les études sur le glyphosate pur).

Il y aurait de fortes preuves de génotoxicité pour le glyphosate pur et en formulations.

Cet avis serait basé sur l’étude systématique de « all publicly available and pertinent studies, by independent experts, free from vested interests », ce qui aurait représenté environ 1000 publications.

Le Centre International de Recherche contre le Cancer (CIRC) n’est pas une agence sanitaire

Les avis du CIRC n’ont pas de valeur juridique. Il s’agit simplement de l’opinion d’une société savante :

« L’objectif du CIRC est de promouvoir la collaboration internationale dans la recherche sur le cancer. Le Centre est interdisciplinaire, et réunit des compétences dans les disciplines de laboratoire, en épidémiologie et en biostatistique pour identifier les causes du cancer, qui permettront d’adopter des mesures préventives afin de réduire le fardeau et les souffrances liés à la maladie. »

CIRC

Ils n’ont pas les mêmes enjeux que les agences sanitaires. Ces dernières ont des responsabilités : si elles concluent qu’une molécule a un effet, cela a des conséquences directes et réglementaires. Elles doivent appliquer les mêmes règles à tout le monde et si elles durcissent trop leurs exigences, c’est l’économie (et la réalité humaine sous-jacente) et l’innovation qui sont en danger. Il serait « facile » de tout interdire: après tout, on survivait sans médicaments ni phytosanitaires au Moyen Âge … Enfin, pas tout le monde. Ainsi, l’évaluation des risques en général porte sur de nombreux domaines : urbanisme, procédés industriels, alimentaire, etc. Surtout, c’est un office qui emporte une réelle responsabilité.

Le CIRC n’a pas cette responsabilité et ne fait pas ce travail. Il a simplement un rôle d’alerte. Il peut être aussi alarmiste qu’il souhaite, en principe personne ne souffrira de ses décisions. Pire, il peut appliquer des standards totalement différents selon la substance évaluée. Sur le glyphosate, il a joué son rôle d’alerteur et les agences sanitaires ont statué : cette alerte n’était pas fondée.

Le CIRC ne dispose pas des études industrielles, il se limite aux études universitaires, il n’utilise pas le même corpus. Notez que des concepteurs du discours anti-glyphosate vont prétendre que ces études étant payées par les industriels, les laboratoires seraient aux ordre. Ils n’apportent aucune preuve et c’est évidemment faux: les laboratoires sont des prestataires dont l’intégrité est contrôlée et dont la survie dépend de leur homologation. A contrario, notez qu’il peut être intéressant d’approfondir ce que le CIRC appelle l’absence de « vested interests ». En effet, il avait inclus la fameuse étude de Gilles-Eric Séralini dans le corpus (p.355, la jugeant néanmoins trop faible méthodologiquement pour être signifiante), alors que le « chercheur » avait des intérêts individuels extrêmement forts dans le résultat de son « étude ». En outre, est-ce que cela exclut aussi les financements d’associations écologistes ?

Pour approfondir, je vous invite à consulter un petit article, accessible en ligne, « L’évaluation des risques sanitaires : principe et méthode » (ORS 2006), qui vous donne plus d’éléments. Voici un de leurs schémas :

Source : ORS 2006

La différence avec une agence sanitaire est claire lorsqu’on s’intéresse à la classification produite par le CIRC.

La classification du CIRC

Le CIRC classifie les substances selon qu’on sache ou non s’il est cancérogène pour l’homme. Il y a 4 groupes :

Groupe 1L’agent est cancérogène pour l’Homme121 agents
Groupe 2AL’agent est probablement cancérogène pour l’Homme90 agents
Groupe 2BL’agent est peut-être cancérogène pour l’Homme323 agents
Groupe 3L’agent est inclassable quant à sa cancérogénicité pour l’Homme498 agents

Aux côtés du glyphosate, classé 2A, il y a notamment la consommation de viande rouge (monographie 114, 2018), la consommation de boissons chaudes (>65 °C) (monographie 116, 2018), la verrerie (monographie 58, 1993), les particules émises par la friture (monographie 95, 2010), le travail de nuit (Monographie 98 et 124, 2020) ou encore l’activité de coiffeur ou barbier (Monographie 57 et 99, 2010) …

Plus « dangereux », parmi les cancérigènes certains, on trouve les boissons alcoolisées, le tabac évidemment (Monographie 83 et 100E, 2012), les produits de fission (Monographie 100D, 2012), les radiations solaires (Monographie 55 et 100D, 2012), l’activité de peintre (Monographie 47, 98 et 100F, 2012) et … la viande transformée (Monographie 114, 2018) …

En parcourant les listes, on peut avoir plusieurs surprises. Par exemple, sont classés 3 le carburant pour avion et les solvants pétroliers (monographie 47, 1989). Sont classés 2B (« L’agent est peut-être cancérogène pour l’Homme ») l’extrait de feuille entier d’Aloe Vera (Monographie 108, 2016), l’activité de pressing (Monographie 63, 1995), l’essence (Monographie 45, 1989), le fait de travailler dans l’industrie de fabrication du textile (Monographie 48, 1990) ou encore le plomb (Monographie 23, 1987) …

Notez que certains journalistes tentent de faire passer cet argument comme un « élément de langage » de l’industrie, qui serait purement le produit des actions de communication de l’agence de relations publiques embauchée par Monsanto, Fleischmann Hillard. En réalité, il ne s’agit que d’une argutie ridicule ayant pour objet de neutraliser un argument absolument évident, qui aura sauté aux yeux de toutes les personnes s’étant intéressé au sujet, et montrant sans la moindre ambiguité la mauvaise foi des exploitations médiatiques.

L’exagération médiatique de la portée de l’avis du CIRC

Pourtant les médias vont présenter ledit avis comme traduisant une opposition avec les avis des agences sanitaires. Beaucoup vont même faire dire à cet avis que le glyphosate serait cancérigène (au lieu de « probablement cancérigène »).

Une mise en scène de l’opposition

Voici quelques exemples :

« Depuis plusieurs mois, l’EFSA et le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) – l’agence de l’OMS qui inventorie les agents cancérogènes – sont à couteaux tirés. » (G14)

« Ce désaccord a conduit à une vive et inhabituelle polémique entre le CIRC et l’EFSA. » (G16)

« En novembre, Monsanto peut respirer. L’avis de l’EFSA contredit celui du CIRC : l’agence considère que le glyphosate n’est ni génotoxique ni cancérogène. Mais le bol d’air est de courte durée. » (G35)

Stéphane Foucart

C’est particulièrement présent dans les articles de Stéphane Foucart, qui, sur ses 91 articles sur le glyphosate que nous avons étudiés, fait cette mise en scène dans 29 articles ! (avec l’EFSA (G7) (G9) (G13) (G14) (G16) (G21) (G22) (G25) (G27) (G35) (G37); avec l’EFSA et l’ECHA (G29) (G39) (G40) (G42) (G43) (G44) (G46) (G52) (G54) (G56) (G62); avec le JMPR (G18) (G20) m(G21) m(G27); avec l’EPA (G68); avec l’ensemble (G77) (G90) (G91)).

Conclusion

En face, les agences sanitaires, dont l’évaluation sanitaire est le métier, estiment qu’il n’est pas établi que le glyphosate est cancérigène. La portée de l’avis du CIRC n’est donc clairement pas sanitaire.

Au final, la seule portée de l’avis du CIRC semble juridique et politique : il sert d’appui aux (très lucratives) attaques contre Monsanto et pour l’interdiction du glyphosate (dont on a du mal à comprendre la logique).