Il s’agit d’une partie du livre « Stéphane Foucart et les néonicotinoïdes. Le Monde et la désinformation 1 » dans laquelle nous présentons une des techniques de manipulation de l’information souvent utilisée par le journaliste.


L’apposition consiste à présenter successivement deux éléments en laissant supposer leurs liens. Cette méthode de construction du discours est omniprésente chez S. Foucart. Ces mécaniques peuvent jouer à plusieurs échelles : à l’intérieur d’un même paragraphe, entre plusieurs paragraphes ou encore à l’échelle de l’article. Elles peuvent aussi avoir plusieurs rôles : construire une structure logique furtive, neutraliser un propos ou bien insinuer.

3.I.1. Construire furtivement une structure logique

Le principal objet de l’apposition est de créer une structure logique sans l’expliciter. Par exemple, au lieu de dire « Marcel a été vu sur les lieux du crime, il est donc coupable », on peut dire « Marcel a été vu sur les lieux du crime. On peut penser qu’il est coupable. » Selon le contexte, ces deux exemples peuvent être perçus identiquement. Prenons cet exemple :

« Bien que tranchées, les trois opinions rendues par l’EFSA ne sont pas surprenantes. Laura Maxim, chercheuse à l’Institut des sciences de la communication du CNRS (ISCC) et l’une des meilleures spécialistes des controverses ayant accompagné l’utilisation de ces substances, note ainsi qu’ »il y a dix ans, le Comité scientifique et technique [un groupe d’experts mis sur pied en 1999 par Jean Glavany, ministre de l’Agriculture] était parvenu aux mêmes conclusions à propos de l’imidaclopride ». » (4)

L’enchaînement des phrases laisse supposer que L.Maxim endosse l’idée que les opinions rendues par l’EFSA n’étaient « pas surprenantes ». Pourtant, ce n’est pas du tout ce que dit la citation qui lui est attribuée. Le fait qu’un rapport d’un pays ait conclu en ce sens à propos d’une molécule ne traduit pas une sorte de consensus sur l’effet de toute une famille de molécules. La seule apposition des deux phrases permet de laisser entendre (je vois du reste mal quelle autre interprétation adopter) l’idée promue par S. Foucart.

3.I.2. Neutraliser

L’apposition est très utilisée pour neutraliser les objections. Nous verrons ce point, la gestion des objections, plus en détail plus tard, mais voici déjà une citation un peu originale :

« Sollicités par Le Monde, Vincent Bretagnolle (CNRS) et Bernard Vaissière (Institut national de la recherche agronomique), deux spécialistes de ces sujets, saluent ces travaux mais préviennent qu’ils ne sont que corrélatifs : ils n’apportent pas la preuve définitive de la causalité. Reste que, de toutes les variables examinées, écrivent les agronomes finlandais, « seule l’adoption des insecticides néonicotinoïdes en traitement de semences peut expliquer la baisse de rendements dans plusieurs provinces [finlandaises], et au niveau national pour la navette, par le biais d’une perturbation des services de pollinisation par les insectes sauvages ».

Malgré un dossier de plus en plus indéfendable, les fabricants de ces substances sont bien décidés à les défendre bec et ongles devant le régulateur européen, pour les maintenir à toute force sur le marché. Une intense campagne de lobbying est en cours à Bruxelles et au parlement de Strasbourg – son issue sera très intéressante. » (30)

Ici, on a une objection : les résultats ne seraient que corrélatifs. Le « Reste que » annonce sa neutralisation. Le bilan global du paragraphe est clairement qu’il y aurait causalité, mais ce n’est pas explicite. L’objection sert en fait ici à mettre en valeur sa neutralisation. Puis S. Foucart enchaîne en parlant du fait que les NNI ont un dossier de plus en plus indéfendable. Il n’y a aucun lien explicité entre les deux paragraphes. Pourtant, le sous-entendu est clair : l’étude en question, apportant des éléments étayant un lien de causalité, rend le dossier des NNI « de plus en plus indéfendable ». Ainsi l’effet d’apposition permet, sans l’expliciter, de donner une portée à l’étude commentée et de neutraliser la limite évoquée, la nature simplement corrélative des observations. Cela peut fonctionner à l’échelle de l’article. C’est par exemple le cas dans le second article, que nous avons déjà présenté en détail. Il partait d’une question :

« Le coupable est-il plutôt l’incompétence ou l’accumulation de conflits d’intérêts ? Impossible de trancher. Mais la question est désormais posée : comment des tests d’évaluation des risques pour l’abeille, notoirement déficients, ont-ils pu être utilisés pendant près de vingt ans pour homologuer les dernières générations d’insecticides ? » (2)

Même s’il la présente comme « impossible de trancher », TOUT le reste de l’article étaye l’idée que l’accumulation de conflits d’intérêts est responsable. L’incompétence est ici une forme d’objection à l’hypothèse selon laquelle l’accumulation d’intérêts serait responsable. Il la neutralise par l’effet d’apposition. Ce qui est affirmé au début (« Impossible de trancher. ») est effacé par l’article dans son ensemble.

3.I.3. Insinuer

Plus largement, l’apposition permet d’insinuer qu’un argument est fallacieux ou qu’une entité est plus ou moins corrompue. Voici un exemple avec, en plus, une neutralisation d’objection :

« Je pense qu’il serait très exagéré de dire que les lobbies ont infiltré la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES). Mais il est exact que parmi les auteurs-clés du premier rapport de cet organisme, qui portait précisément sur les pollinisateurs et leur déclin, on trouvait une salariée de l’industriel Syngenta. Des chercheurs ont d’ailleurs vivement protesté, dans la revue Nature, contre cet évident conflit d’intérêts – et ce d’autant plus que la scientifique en question était, au moment de sa participation aux travaux de l’IPBES, au centre d’une intense controverse scientifique.

Il est impossible de déterminer l’impact qu’a eu, au final, la participation de cette personne au travail de l’IPBES, mais les travaux d’histoire des sciences menés sur les stratégies d’influence de l’industrie du tabac – en particulier ceux de l’historien des sciences américain Robert Proctor (Université Stanford) – montre que la participation, à des travaux d’expertise, de chercheurs en conflit d’intérêts a pour effet de biaiser ses conclusions. » (57)

Ici, S. Foucart crée l’objection, puis la neutralise. Au final, le message est bien que les « lobbies » auraient infiltré l’IPBES et que cela aurait eu des conséquences sur ses travaux. L’apposition permet d’insinuer cette infiltration (et l’idée que cela aurait des conséquences sur les rapports de l’IPBES) tout en la niant explicitement.

Notez la structure, qui fait beaucoup penser à la phrase « Je ne suis pas raciste/sexiste/complotiste, mais … », qui est systématiquement un prélude à un propos raciste/sexiste/complotiste. [Rq: elle est d’ailleurs tellement fréquente que je l’ai retrouvée dans tous les discours sexistes et racistes que j’ai analysés dans mon livre sur le Cancer Militant.]