Charlène Descollonges, agriculture et pseudo-alternatives [14/08/2024]
Charlène Descollonges, jusqu’ici une illustre inconnue, a rejoint le club des hydrologues médiatiques pseudo-experts en agriculture avec une notable intervention sur France Inter le 14/08/2024.
C’est une ingénieure-hydrologue qui a commencé sa carrière de conférencière en 2023, dans un parcours qui n’est pas sans faire penser à Esther Crauser-Delbourg.
Transcription et commentaire
Le passage commenté est un passage sur France Inter retweeté par la fameuse radio.
Contexte : une logique d’inversion victimaire
Il est intéressant de rappeler quelques éléments de contexte. La question du journaliste (10’40) est à ce titre intéressante :
« Là on parle des solutions à court terme. Si on voit un peu plus à long terme, sur l’adaptation de cette agriculture. Charlène Descollonges, est-ce que les conséquences qu’on voit là en termes de revenus agricoles sont aussi les conséquences de l’inadaptation de notre agriculture au dérèglement climatique. Est-ce qu’on est en retard sur ce qu’il se passe sur l’accélération des phénomènes climatiques. »
Ainsi on est dans une logique d’inversion victimaire : les agriculteurs seraient responsables des conséquences des trop fortes pluies.
La radio a aussi interviewé plusieurs agriculteurs, dont … un vigneron. Vous verrez pourquoi c’est important.
Le « modèle agricole » et le « retard »
« Évidemment on est en retard, le modèle agricole n’est pas du tout adapté au futur du climat. »
On retrouve ici, dans cette seule phrase, une désinformation centrale : l’idée qu’il y a « un modèle agricole ». C’est en fait l’un des « diables » de la pseudo-écologie, un des avatars du Dieu du mal du panthéon pseudo-écologiste : le capitalisme.
On retrouve également un élément de langage récurrent : nous serions « en retard ». Cela suppose une comparaison, mais elle n’est jamais précisée ou bien absurde. Par exemple, les pseudo-écologistes ont longtemps reproche à la France d’être « en retard » sur les énergies renouvelables par rapport à l’Allemagne, alors que cette dernière a une électricité >5 fois plus carbonée que la France.
Désinformation sur les sols, entre autres
On arrive au passage le plus important, qui a fait bondir beaucoup d’agriculteurs.
« Là ce dont on n’a absolument pas parlé au cours de cet entretien, c’est les sols. On n’a jamais pris en considération les sols. Aujourd’hui on les considère comme des supports et aujourd’hui, ils sont morts, nos sols, ils ne sont plus capables d’absorber toutes ces pluies qui va s’abattre en un temps record et ces sols ne sont plus capables non plus de retenir l’eau en temps de sécheresse. »
On commence par l’un des mantra les plus récurrents de la pseudo-écologie : « les sols sont morts » et les agriculteurs ne le verraient que comme un substrat.
C’est faux, sinon ils ne produiraient absolument rien. Surtout, de plus en plus d’agriculteurs adoptent des méthodes de culture favorisant la vie des sols, notamment en réduisant le labours et en adoptant des couverts végétaux. Ils ont d’ailleurs été nombreux à monter au créneau. Je vous invite à lire leurs réponses détaillées, qui mettent clairement en évidence l’imposture de la militante.
Daniel Barach, agriculteur breton, explicite le désarroi que beaucoup d’agriculteurs, qui améliorent leurs pratiques, ont face à ces conneries:
« Donc revenir à des pratiques qui vont permettre de diversifier les assolements, diversifier les cultures, ne plus compter que sur 3, 4 cultures, mais diversifier jusqu’à 10 cultures sur une parcelle ; allonger les pédiodes de rotation, mettre des légumineuses, pour capter l’azote et ensuite l’injecter dans les sols. Tout ça, des couverts végétaux, remettre de la matière organique dans les sols. Ca, tout ça permettra de s’adapter face à des extrême hydrologiques. Ca, c’est un panel de solutions techniques. Ca, remettre des haies, des arbres, et cetera évidemment. «
On arrive en plein dans le registre de la pseudo-alternative : elle propose une série de mesures qui seraient des biens en soi, des solutions magiques systématiques.
Surtout, elle ne prend pas en compte le fait que ces pratiques sont bien connues et DEJA UTILISÉES par les agriculteurs. Néanmoins tout dépend des contextes : certains ont des rotations à 7 cultures ou plus, notamment parce qu’ils ont les débouchés
L’hypocrisie est d’autant plus forte qu’en même temps, les pseudo-écologistes vont retirer des outils aux agriculteurs, qui réduisent les cultures viables (ex: la betterave avec le retrait des néonicotinoïdes).
L’imposture est d’autant plus évidente quand écoute l’émission : elle répondait, notamment à … un vigneron.
Les « solutions économiques » : produire moins
« On a le panel de solutions économiques : recalibrer nos exploitations par rapport à ce qu’elles sont capables de produire. On est partis sur un objectif de 110 quintaux à l’hectare. Est-ce que c’est bien raisonnable face aux extrêmes climatiques qu’on va avoir. Revenir à des rendements plutôt autour de 50 quintaux à l’hectare, ce qu’on peut trouver en bio. »
Sa solution serait donc de produire moins. Or, le problème du dérèglement est justement qu’on produit moins. En somme, plutôt que de réellement trouver des solutions viables, elle propose d’avoir comme objectif l’échec.
Surtout, elle sort cet argument de son chapeau. Pourquoi 50 et pas 30 ? Ou 60 ? On reste dans le registre des pseudo-alternatives.
On peut aussi se demander : d’où sort-elle son chiffre de 110 quintaux ? La moyenne en France tourne autour de 70-75 Qx/ha. Surtout, la cible varie selon chaque parcelle. Encore une fois, elle généralise abusivement.
Mais au fond, que peut-elle faire d’autre ?
Les « solutions politiques » : … ??
« Et enfin, on a un panel de solutions politiques, et là c’est plus à l’échelle nationale et européenne. Privilégier l’alimentation humaine. On parlait du blé, est-ce que ça [les faibles rendements de cette année] va augmenter le prix du pain ? Non, puisque 31% de la transformation du blé tendre, c’est pour l’alimentation animale. Donc revoir aussi notre alimentation. »
Il y a deux choses à commenter ici.
D’abord, elle explique que le prix du pain ne va pas augmenter en raison des faibles rendements en France parce que 31% du blé tendre est utilisé pour l’alimentation animale. C’est simplement débile : le blé est une toute petite portion du prix du pain et ensuite la France reste exportatrice de blé, même avec une mauvaise récolte.
Ensuite elle reprend le mantra classique de la pseudo-écologie : il faudrait arrêter de l’élevage. Notez qu’elle ne le dit pas explicitement, se gardant une marge de manoeuvre pour enrober l’idée.
Les bassines
Un peu après, elle est interrogée sur les « bassines ».
« On serait tentés sur le papier de dire mais c’est merveilleux, on va prendre l’eau en hiver quand elle est excédentaire et la stocker pour l’été. Sauf qu’on va la chercher dans les nappes. Les nappes, c’est le meilleur réservoir pour stocker l’eau. Et ce qu’on est en train de faire, c’est qu’on va prélever l’eau de cette nappe et la stocker à l’air libre, elle va se dégrader encore en qualité, elle va s’évaporer aussi de plus en plus avec des canicules, donc on va avoir des pertes. Le problème des méga bassines, c’est qu’elles ne permettent pas cette transition vers l’agroécologie, elles ne permettent pas aux agriculteurs de diversifier les cultures et les assolements, d’allonger les rotations. Elles sont dimensionnées sur un besoin, qui est celui en particulier des cultures de maïs qui ne sont pas du tout adaptées à notre climat …
– qui sont très gourmandes en eau …
– très gourmandes en eau en été. C’est là le problème. Le blé est plus gourmant en eau que le maïs, mais le maïs demande de l’eau en juillet-août quand nous on n’a plus d’eau. Donc c’est ça en fait le truc. Les méga-bassines, elles permettent la culture de ces monocultures de maïs qui sont à la fois consommatrices en eau et en intrants. »
On retrouve toute la panoplie de la désinformation antibassines :
- Les « bassines » ne permettraient que de pomper dans les nappes. C’est faux, on peut aussi pomper dans les cours d’eau.
- L’eau se dégrade en qualité : non, ce n’est pas significatif.
- L’eau s’évapore : non, ce n’est pas significatif.
Ensuite on passe dans le foutage de gueule le plus absolu : la disponibilité de l’eau empêcherait les agriculteurs de diversifier leur assolement. Au contraire, cela augmente les possibilités pour les agriculteurs. Elle brode totalement.
On retrouve également l’association bassines – maïs et la diabolisation de ce dernier.
Son discours illustre bien une mécanique importante de la pseudo-écologie : il faut fermer les possibles. Les retenues d’eau seraient une vraie réponse au changement climatique, mais elle préfère la diaboliser avec un discours abacadabrantesque. Les pseudo-écologistes ont besoin d’une situation de crise à laquelle ce sont EUX, qui ont les solutions.
Un dernier mot sur France Inter
La radio a donné la parole à des agriculteurs, mais ils ne répondent ou ne savent pas répondre à la désinformation de la conférencière et, donc, démentissent assez mollement.
Globalement l’ensemble donne l’impression d’une mise en scène pour mettre en valeur les discours militants de Charlène Descollonges.
France Inter continue ainsi à encourager la propagande pseudo-écologiste.
On pourrait se demander
On rappelle que la radio avait signé une charte avec RadioFrance. Il semble de plus en plus clair que ce n’était qu’une opération de « virtue signaling » malhonnête.