Esther Crauser-Delbourg
Esther Crauser-Delbourg est une économiste spécialisée dans l’eau qui alimente depuis un ou deux ans la désinformation pseudo-écologiste sur l’eau, notamment contre les bassines.
C’est un personnage que je trouve très intéressant, car il illustre un point qui me semble important pour comprendre l’éruption de tous les grands bullshits, de toutes les grandes mystifications, de l’énorme écosystème du mensonge qui est en train de se dessiner sous nos yeux (antivaxx, pseudo-écologie, animalistes, pro-palestiniens …) : le rôle du monde de l’entreprise dans le développement de ces grands mensonges.
Parcours
Née en 1987, Esther Crauser-Delbourg a eu un parcours remarquable :
- 1994 -1997 – lycée (= école primaire) français de New York,
- 1997 – 2000 – puis de Rio de janeiro (collège),
- 2000 – 2003 – puis Henri IV
- 2005 – 2009 – avant de faire un master d’économie à l’Essec,
- 2009 – 2011 – un autre à la Paris School of Economics,
- 2011 – 2015 – puis un PhD à l’école polytechnoque et l’Université de Columbia
Elle fonde « Water consulting » dès 2011, mais stoppe et rejoint Axa en 2017. Suite à une progression fulgurante, elle devient « Chief of Staff to CEO of International & New Markets » en moins de 2 ans. Elle rejoint ensuite une succursale, Axa Millesimes, pour travailler sur l’empreinte hydrique du vin et arrête en juin 2023.
A partir de là elle reprend le chemin du consulting en rejoignant un collectif, le « Climate Club » en octobre 2023 et en relançant Water Wiser en janvier 2024.
C’est donc un profil très « corporate » de haut niveau, avec un doctorat, qui tente de développer sa carrière de consultante.
Intervention dans la presse
Sa première intervention semble être dans le Huffington Post en 2014. Je n’ai pas commenté. Elle a également débattu le 21/05/2023 sur Arte. Je n’ai pas eu le temps de commenter.
La première de ses interventions que je commente date d’avril 2023 (avant elle restait « corporate » j’ai l’impression) : elle était interviewée par le Nouvel Obs. Elle y déroulera une large part de la désinformation antibassine sur Sainte-Soline et évoquera sa pseudo-alternative, la comptabilité de l’empreinte eau, que nous présentons dans la partie suivante.
Quelques mois plus tard, elle est invitée par France Inter avec Florence Habets, une figure notable de la désinformation antibassines, et Eric Frétillère, alors président de l’association des irrigants de France.
Elle a relativement peu d’espace pour s’exprimer et réussit à promouvoir son statut pour donner « un statut » à une eau qui ne serait pas régulée.
L’année suivante, elle donne une conférence TEDx à Blois, dans lequel elle va promouvoir sa « solution » grâce à divers procédés rhétoriques et même une petite dose de complotisme.
Elle est ensuite interviewée par le réseau Alumni de son ancienne école, l’Essec. Elle y présente encore sa problématique et ses solutions. Point intéressant, elle mentionne comme piste le « stockage des eaux de pluie ».
Son ambition serait « d’embarquer les grands groupes dans une transformation de leurs politiques de gestion de l’eau. »
Enfin, et c’est par là que nous l’avons découverte, la consultante est intervenue en réaction aux violences antibassines du 20/07.
Elle présente notamment comme alternatives des retenues collinaires, reprochant aux bassines de puiser dans les nappes.
Elle est intervenue dans un reportage d’une heure, « Eau : êtes-vous prêts à payer plus cher ?« , mais la vidéo n’est plus disponible.
Propos sur l’eau – résumé
Elle a plusieurs discours récurrents sur l’eau. Je ferai référence à l’article concerné par ordre d’apparition : (1) pour le Nouvel Obs, (2) pour France Inter, (3) pour le TEDx, (4) pour Essec Alumni et (5) pour BFMTV.
L’empreinte eau et son statut
Le principal discours part de l’idée de « l’empreinte eau » qu’auraient les objets et aliments qui comprendrait l’ensemble de l’eau ayant été nécessaire à son élaboration, même s’il s’agit de l’eau de pluie tombant dans les champs. Elle affirme ainsi qu’il faut 7000 à 10 000L d’eau pour faire un jean et que nous mangerions « virtuellement » entre 2000 et 5000L d’eau par jour. (3)
Selon elle, cette eau n’est pas comptabilisée, ce qui aboutit au fait qu’on la gâche: « nous nous trouvons actuellement dans un système où tout le monde la gaspille allègrement ». (1) Son propos peut porter sur les particuliers, mais vise surtout les industriels et les agriculteurs, accusés plus ou moins explicitement de l’utiliser sans mesure parce qu’ils ne paieraient que les infrastructures l’acheminant. (1) (2)
Il faudrait donc, l’eau étant un facteur de production, comme le pétrole ou le gaz, lui donner un statut de « bien économique », sans quoi on ne pourrait pas « réguler l’eau, de la compter, de l’allouer et de sanctionner en cas de besoin. » (1) (4)
Les deux fois où elle est questionnée sur le problème de financiariser l’eau (et pas que l’eau prélevée, mais aussi l’eau de pluie visiblement), elle botte en touche, montrant sa maîtrise de la langue de bois. (1) (4)
Son discours ne tient pas debout : l’eau est déjà très régulée et les industriels comme les agriculteurs, loin de la gâcher, sont nombreux à l’économiser depuis des années. D’où une question : de quoi parle-t-elle ? Je soupçonne une désinformation sophistiquée, notamment autour de l’idée que les industriels ne paieraient que les infrastructures, pas l’eau elle-même. La consultante ayant probablement d’importantes connaissances dans le secteur, elle aura pu sélectionner un point étrange qui induira en erreur le grand public.
Elle présente israël et Singapour comme des modèles. (4) Pourtant, est-ce que ces pays ont la logique qu’elle préconise ?
La négligence de l’eau
Selon elle, on utiliserait l’eau n’importe comment, n’hésitant pas à la gâcher.
« Tant qu’on avait de l’eau, peu nous importait si on la gaspillait et je dirais même plus, peu nous importait si nos voisins ils en manquaient. » (3)
« nous nous trouvons actuellement dans un système où tout le monde la gaspille allègrement » (1)
En même temps, elle dit qu’il y aurait « beaucoup d’exemples d’usines sèches », réutilisant l’eau et optimisant leurs procédés et commente : « les industriels, ils ont pas vraiment le choix s’ils veulent continuer à exister ». (3)
« Nous utilisons mal l’eau principalement parce que l’eau n’a fondamentalement pas de prix » (4)
Les solutions concrètes proposées
Elle propose plusieurs solutions concrètes.
La réutilisation des eaux usées est la plus citée (1) (2) (4). Néanmoins elle nuance : certains cours d’eau se reposent dessus, on ne peut donc pas en réutiliser une trop grande partie. (2) Au Nouvel Obs, elle précise qu’on pourrait utiliser des eaux usées ou de pluie pour les toilettes. Elle propose donc la création d’un réseau d’eau additionnel … (1)
Elle semble présenter l’agriculture de précision, comme le goutte-à-goutte et, implicitement, les outils de monitoring : « Il paraît invraisemblable que, partout dans le monde, on puisse encore irriguer ses légumes et céréales à l’aveugle, sans rien mesurer des arrosages inutiles. » (1) (4)
Toute les astuces pour réduire sa consommation personnelles : avoir un lave-vaisselle, diminuer le temps qu’on passe sous la douche, etc. (3) (4)
De manière surprenante, elle présente le stockage de l’eau de pluie et les retenues colinaires comme des solutions. (4) (5)
C’est globalement ce que j’appelle le registre des pseudo-alternatives : des « alternatives » dont le rôle est purement discursif, soit qu’elles sont très insuffisantes, soit qu’elles sont carrément absurdes.
L’exemple des retenues collinaires est particulièrement explicite : c’est une vraie solution, mais qui ne concerne que certains contextes.
Ce registre construit, en même temps, la désinformation autour du problème de l’eau, dont il dissimule la dimension très contextuelle (temps – lieu). (1)
Le dénigrement des retenues d’eau « bassines »
C’est surtout comme cela qu’elle a réussi à apparaître dans les médias, en dénigrant les « bassines », allant jusqu’à les qualifier de « catastrophes ». (1)
Elle affirme qu’elles ne fonctionnent qu’en pompant dans les nappes phréatiques et présente toutes ces dernières comme ayant « un besoin vital de se reconstituer ».
Elle nie ainsi les autres méthodes de remplissage (ex: pomper un fleuve) et que certaines nappes se vident très vite naturellement (comme celle de Sainte Soline). (1) (5)
Elle insinue aussi qu’il s’agirait d’une ressource non renouvelable : « Il est grand temps de la traiter intelligemment, de la polluer au minimum et de la préserver pour nous et les générations futures » (3) C’est renforcé par sa comparaison avec le CO2, le charbon et le pétrole. (3) (4)
La diabolisation va plus loin, versant dans l’agribashing, affirmant que les retenues impliqueraient nécessairement de « pomper massivement l’eau des nappes phréatiques ». (1)
Elle reprend également la désinformation sur l’évaporation et l’eutrophisation de l’eau des retenues. (5)
Elle reprend également le discours reprochant aux « mégabassines » d’accaparer la ressource. (1) (5) Elle va jusqu’à en faire une inversion victimaire : cet accapparement intolérable créerait logiquement des violences ! (1)
Elle prend comme références les retenues d’Espagne, qui seraient gérées de manière publique et donc mieux. (5)
Enfin, elle reprend le discours sur la perturbation du cycle de l’eau : en sortant l’eau du sous-sol, on causerait une augmentation de l’évapotranspiration, qui dérèglerait le cycle de l’eau mondial.
Plus largement, elle diabolise l’irrigation, prétendant implicitement qu’on recourrait « systématiquement » aux nappes phréatiques, ce qui est faux : il y a d’autres méthodes de stockage de l’eau. (1)
Cette diabolisation se retrouve aussi dans l’accusation d’utiliser sans limite l’eau.
Le gaspillage alimentaire
Elle reprend le mensonge classique sur le gaspillage alimentaire :
« Alors déjà, on produit trop : dans le monde, 30% de la production alimentaire finit à la poubelle … » (10’08″)
Comme si la logistique et l’adéquation entre l’offre et la demande se faisait en claquand des doigts …
Quelques stratégies de manipulation utilisées
Au fil de ses propos, Esther Crauser-Delbourg a utilisé plusieurs stratégies de manipulation.
L’exploitation
C’est une stratégie centrale en pseudo-écologie, l’opinion publique des agriculteurs étant plutôt favorable.
Ainsi, dans son discours au Nouvel Obs, elle dit que la situation « devient très préoccupante pour les revenus des agriculteurs » et qu’il faut « trouver une solution à cette détresse », juste avant de diaboliser les « très grosses exploitations qui nécessitent beaucoup d’eau, voient dans les mégabassines une solution. » (1)
C’est une logique s’inscrivant dans la mécanique de l’exploitation : on s’empare d’une souffrance qu’on prétend défendre.
Un autre exemple a été lorsqu’elle évoque la production de fleurs exotiques au Kenya, qui consommeraient l’eau « pile au moment où les populations locales en ont le plus besoin » comme cas d’école d’une production « au mauvais endroit, au mauvais moment ».
Le relativisme
Elle présente Sainte-Soline comme un « conflit d’usage » (1) (2) , ce qui présente implicitement chaque protagoniste comme ayant des revendications légitimes, alors que les manifestants n’ont aucune envie d’utiliser la ressource.
Cela n’a rien à voir avec un conflit d’usage, où deux communautés vous se disputer la jouissance d’un cours d’eau, mais une attaque pure et simple.
C’est la stratégie du relativisme.
La confusion entre eau « virtuelle » et prélèvements
Elle construit une confusion entre l’eau virtuelle et les prélèvements d’eau et autour de la réalité du problème de l’eau. Elle le présente comme global et systématique, qui justifierait que toute personne, même dans une zone où l’eau est abondante, réduise sa consommation. (1) (3)
« Bon, le problème, c’est que si on devait payer le vrai prix de l’eau, vu à quel point elle est précieuse et vu à quel point elle se fait rare, et bien ou pourrait plus se permettre grand chose. » (3)
Ainsi, l’eau virtuelle devient une sorte de péché qu’il ne faudrait pas consommer. La présentation permet de transformer des éléments corrects indépendamment (on peut estimer une empreinte eau, il y a des conflits d’usage) en une sorte de discours mystique. (3)
La confusion est maximale dans ce passage :
« Primo, l’ONU estime que 90 % des catastrophes imputables au changement climatique sont liées à l’eau. Deuxio, sans eau, la biodiversité s’écroule. Tertio, un sol sec ou un arbre sec ne peut plus capturer de CO2 – or le GIEC estime que les sols et les arbres capturent naturellement 30 % de nos émissions. Autrement dit : il nous faut résoudre le problème de l’eau avant ou en parallèle de celui du CO2. » (4)
La déresponsabilisation
Elle déresponsabilise les violences en affirmant que « partager inéquitablement une ressource vitale comme l’eau est un symbole politique explosif, la garantie de créer des violences ! » (1)
Conclusion
En somme, on voit une cadre qui tente de développer une activité de, je présume, conseil en gestion des risques, une activité qui attire beaucoup. Elle a pu se faire induire en erreur par les discours pseudo-écologistes, mais au regard de sa rhétorique, je pencherais plutôt pour une démarche opportuniste, qui a du reste, bien marché.
- https://www.linkedin.com/posts/estherdelbourg_visiteursdusoir-wateraction-activity-7074443961154641922-xF6Z/?utm_source=share&utm_medium=member_desktop
- https://tedxblois.com/talks/esther-crauser-delbourg-lexistence-a-sa-source/
- https://www.france.tv/france-5/c-dans-l-air/4725355-emission-du-jeudi-30-mars-2023.html#section-about
- https://www.huffingtonpost.fr/life/article/pourquoi-devrait-on-payer-pour-l-eau-que-l-on-mange_40249.html