Les histoires se structurent toujours autour d’un gentil et d’un méchant. Il faut quelque chose à défendre et à protéger contre quelque chose de maléfique. Créer ces éléments narratifs est le rôle du couple victimisation – dénigrement.

Les éléments du système victimisation – diabolisation

Le victimisation: la princesse à sauver

La victime peut avoir plusieurs formes:

  • Des manifestants qui ont été réprimés par des CRS
  • La biodiversité
  • Les pays pauvres souffrant du dérèglement climatique
  • Le bétail (pour le bien être animal)

Une constante est qu’elle doit être exploitable: si la victime voit qu’elle est exploitée et se rebiffe, elle brise l’histoire bâtie autour d’elle. C’est l’un des enjeux de l’agribashing: la désinformation autour de l’agriculture peut difficilement s’accomoder de centaines de milliers d’agriculteurs et d’agronomes la contestant. Il faut neutraliser leur parole. Pour cela, les pseudo-écologistes tentent de les victimiser: ils seraient les victimes d’un système qui les dépasse et les aurait formaté à penser d’une certaine façon. Ainsi, ceux qui contestent leurs histoires deviennent soit des victimes, parce qu’ils seraient ignorants, soit des « méchants », parce qu’ils sauraient.

Pour cet usage, les animaux, la nature et la biodiversité sont des « victimes » idéales: elles ne viendront jamais se plaindre d’être ainsi instrumentalisée.

Notez bien que l’intérêt réel de la « victime » ou même sa réalité (qu’est-ce que « la biodiversité » ?) n’ont aucune importance ici, il suffit de maintenir une sorte de vraisemblance.

La victimisation la plus importante en pseudo-écologie est l’exagération des dommages environnementaux. Elle mérite une partie dédiée.

Dénigrement: le dragon à pourfendre

Si vous avez une entité qui est victime de quelque chose, il faut bien quelqu’un étant responsable de ce quelque chose. Imaginez un discours d’un militant exaltant la souffrance d’une population, pour conclure « mais c’est comme ça, on ne sait pas trop pourquoi c’est comme ça … ». Non, ils ont besoin d’un responsable et, mieux, d’un diable. Il faut une intention mauvaise aboutissant à la souffrance.

Le contexte

Néanmoins, la victime et le dragon ne sont rien sans un contexte favorable. Si vous le négligez, l’effet tombe à plat. L’un des principaux moteurs de création d’un contexte favorable est le double standard: en altérant les perceptions et en traitant une entité plus favorablement et une autre plus durement, on crée automatiquement un narratif agresseur/victime pour toute situation équilibrée.

Mise en oeuvre du procédé de victimisation/dénigrement

Ce procédé narratif peut se faire à plusieurs échelles: la phrase, le paragraphe, l’article, le livre ou un corpus. Dans sa forme la plus intense, il aboutit à l’inversion victimaire.

Prenons quelques exemples.

Sainte Soline

Dans le traitement médiatique de Sainte-Soline, les manifestants violents sont présentés comme des victimes en négligeant

J’avais notamment commenté un article de Le Média, dont un passage met clairement en évidence cette dynamique:

L’État et les irrigants mettent un projet sur la table : construire des réserves de substitution, dites méga bassines. Des cratères de plusieurs hectares, bâchés et plastifiés, pour pomper dans les nappes phréatiques en hiver et utiliser cet eau en été pour les exploitants irrigants. Démarre alors le collectif bassines non merci. Collectif qui lutte contre ces projets agro-industriels et tentent de défendre le marais poitevin, qui s’assèche. Un des visages de cette lutte : Julien Le Guet. Co-porte-parole du collectif, sa vie est dédiée à la lutte.

Il interviewait Julien Le Guet, un des leaders du mouvement. La victimisation a une place centrale dans son discours, d’abord pour lui (« Une lutte qui coûte : on fait depuis 4 ans l’objet de menaces de mort au-delà de menaces, d’agressions. D’avoir peur pour moi, non. D’avoir peur pour mes proches oui. »), puis pour les manifestants violents:

Ensuite les manifestations sont allées crescendo en fréquentation. […] Jusqu’à arriver à ce paroxysme de Sainte-Soline où on se retrouve à 25 000 – 30 000 […] à tenter d’encercler une bassine et de se retrouver dans cette situation, face à 3000 hommes, en armes, une armée, qui envoie en deux heures de temps 5000 explosifs sur une foule bigarrée composée à la fois de famille d’enfants de papis, de mamies, de tout un tas de gens plus ou moins enfin tous très engagés pour le coup avec également des camarades plus déterminées et prête à faire face à la barbarie militaire et avec ce bilan catastrophique de 100 blessés avec des blessés graves avec trois camarades qui sont passés à côté de la mort et on a subi plein fouet toute la violence d’État dont Macron et Darmanin sont capables. 

On observe d’ailleurs une autre méthode de création d’un contexte favorable: prendre des boucliers humains.

Anticor

De même, pour Anticor avec le non renouvellement de son agrément en décembre 2023: elle se présente comme victime du gouvernement, qui la ferait taire pour protéger ses intérêts. En réalité, c’est simplement la suite d’une décision juridictionnelle. Mais ils ne peuvent pas diaboliser le juge, ils se rabattent donc sur le gouvernement, lui prétant un rôle déterminant qu’il n’avait pas.

Le contexte favorable va être posé par les suspicions contre le gouvernement et la méconaissance de l’affaire. Les militants parlent à leurs ouailles et au grand public n’en ayant pas pris connaissance.

Autre

Cela peut aussi se faire à très petite échelle. Dans le contexte de l’attaque du 7 octobre, La France Insoumise s’était caractérisé par une réaction très favorable aux terroristes. Par la suite, elle avait refusé de participer à une marche contre l’antisémitisme et préféré mener, de son côté, une marche contre « l’antisémitisme, toutes les formes de racismes et contre l’extrême droite », pratiquant en fait une tentative de relativiser les évènements (et surtout de flatter autant que possible son public islamiste). Cette marche avait l’audace de s’arrêter déposer des fleurs au Vel d’Hiv. L’évidente hypocrisie du geste n’a pas plus à la communauté juive et un petit groupe de militants ont confronté la manifestation.

Au cours de l’altercation, se déroula une scène ridicule: un jeune l’air bourgeois face à une des juives, étend négligemment la main, coupant en deux la pancarte. La juive, protesta en lui mettant en claque sur l’épaule d’une puissance telle qu’il fit mollement un pas en arrière.

Néanmoins, Louis Boyard et Mathilde Panot ont tenté de faire passer cela pour un acte de violence de « l’extrême droite »:

Les syndicats étudiants et lycéens, des organisations politiques de gauche de la jeunesse agressées à Paris pendant leur hommage aux victimes de l’antisémitisme.

L’extrême droite, voilà le danger de violence.

On a bien la victimisation (l’étudiant s’étant fait mollement repousser) et la diabolisation (la manifestation serait « d’extrême droite »).

Cela illustre bien à quel point cela peut aller loin et être totalement déconnecté de la réalité. L’invocation de l’extrême droite et la victimisation sont des réflexes tellement automatiques pour les militants étudiants auxquels s’adressent les deux députés, que la réalité n’a pas grand intérêt.