Il s’agit d’une partie du livre « Stéphane Foucart et les néonicotinoïdes. Le Monde et la désinformation 1 » dans laquelle nous montrons que le journaliste désinforme (= écrit des choses fausses ou induisant en erreur) très largement sur le sujet étudié. Plus spécifiquement, nous montrons ici qu’il présente une vision erronée de l’agriculture (1.I.4.).


Vous l’avez vu, S. Foucart n’apporte pas d’élément probant pour justifier son affirmation catégorique, l’inutilité des NNI. C’est d’autant plus flagrant lorsqu’on écoute le monde agricole.

a. Les NNI, c’est pas systématique !

Tout d’abord, les agriculteurs n’utilisent pas systématiquement les NNI. Ils ne les utilisent que s’ils estiment en avoir besoin. Ainsi, il leur arrive ne pas appliquer de traitement sur certaines cultures et d’en mettre sur d’autres. Par exemple, Hector m’expliquait avoir utilisé les NNI sur colza, mais pas sur le maïs :

– C’était pas les mêmes insectes qui étaient visés. La période de semi n’est pas la même non plus. Historiquement, j’avais pas une pression sur le maïs qui justifiait d’utiliser les enrobages. »

David n’en utilisait ni sur le maïs, ni sur le blé, parce qu’il n’avait pas assez de ravageurs pour justifier le surcoût, sans doute parce qu’il est installé dans le Massif Central :

« – Et il y a pas de pucerons dans ces régions-là ?

– Il y en a sans doute, mais pour nous c’est pas un problème. Après, pour nous, éleveurs de montagne. Tu contacterais des collègues, bon maintenant il y en a plus, qui faisaient des betteraves en plaine de Limagne (betterave, maïs semence) … eux c’est sur ils utilisaient des NNI, il y a pas de problème. » (David)

Comme nous le disions, les NNI ne sont pas une sorte de solution magique qui augmenterait toujours les rendements. Il s’agit d’un outil pertinent dans certains cas et pas dans d’autres, comme tous les outils. Cela ne l’empêche pas de pouvoir être d’une efficacité redoutable dans les bons contextes.

b. Une efficacité indiscutable

Aucun des agriculteurs interrogé ne remet en question l’efficacité des NNI et tous les utilisateurs en font l’éloge. Cela se serait surtout vu l’année dernière, lorsque les pucerons, profitant de l’interdiction des NNI sur betteraves (entre autres), ont infesté les champs. Selon Arthur, la perte de rendement aurait été de 30 % en moyenne et pouvait aller jusqu’à 70 %, même avec un système d’irrigation (vu que l’année avait en plus été très sèche).

« Donc quelqu’un qui te dit que les néonicotinoïdes ne sont pas efficaces ou sont contre-productifs …

– Ah bah c’est un menteur. Je le vois, c’est le jour et la nuit quoi.

– D’accord. Tu l’avais constaté au bout de combien de temps ? Quand est-ce que tu as constaté ta première baisse de rendements ? […]

– Je me souviens, dans cette période de moratoire, j’essayais, dans certains champs, une variété enrobée [avec des NNI] […] et à côté une variété sans. Ouais, tu perdais 20 % des pieds quoi … C’était net. » (Etienne)

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« Moi, l’année dernière, j’ai fait 75 tonnes [de betteraves par hectare], à cause de la jaunisse, alors qu’on aurait dû faire 100 tonnes. […]

À 25 euros la tonne, il faut qu’on fasse au moins 85 tonnes en moyenne pour gagner de l’argent. […] L’arrachage vaut minimum 250-260€/ha, donc c’est pas neutre. Les graines coûtent très cher. […] On est aux alentours de 300 € de graines à l’hectare. […] Il y a les phytos, il y a le travail du sol … Il y a la disponibilité des terres aussi … […] La betterave, je me pose la question. C’est intéressant parce que, agronomiquement, je peux pas faire que du blé, c’est pas possible … […]

Donc aujourd’hui, pourquoi je garde la betterave … c’est aussi parce qu’il y a des usines qui sont là tout près, je suis aussi convaincu que notre sucre, on a des terres pour les faire, quand on fait 100 tonnes à l’hectare de betteraves, c’est pas neutre […]. Il y a quelques jours la [conseillère] de Tereos est venue pour me demander ce que j’avais envie de faire [NdA: Ils peuvent modifier un peu les quantités à produire si j’ai bien compris. Ainsi, des coopérateurs qui veulent produire moins ou produisent moins peuvent transmettre leur droit à produire à d’autres], c’est là qu’elle m’a dit que j’avais encore deux ans d’engagement, je lui ai dit, je fais pas plus, je fais pareil, je fais 8,5 (hectares) […], par contre, il faut me donner les moyens, c’est-à-dire que si j’ai pas les néonicotinoïdes et que je prends une gamelle comme l’année dernière ou comme d’autres qui ont fait 30 tonnes [par hectare] dans d’autres régions, moi si j’ai pas les néonicotinoïdes, j’arrête. […] S’ils nous donnent pas les moyens techniques de faire des rendements … moi je vais pas me prendre une gamelle pour le plaisir. C’est pas possible, j’ai pas la capacité à me prendre une gamelle en betteraves. » (Ferdinand)

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« Oui je les utilise, le plus possible je les utilise. [Comprendre : dès que c’est pertinent]

– Est-ce que tu vois une différence, comparé à quand tu ne les utilises pas ? […]

– Depuis que c’est interdit en blé, je suis envahi de cicadelles chaque année. […] Côté pucerons, l’an dernier il y a des parcelles où je me suis dit je ferai des impasses, j’en observe, mais on est largement pas au seuil. Et bah l’an dernier je me prends ces impasses-là … On fait de la cartographie de rendement à la récolte. Dès qu’il y a une cuvette [Nda : Dans les zones où il n’a pas mis de NNI parce qu’il pensait qu’il n’y avait pas une pression le justifiant] on tombe à 50qx alors que ce sont des parcelles qui ont 95 de potentiel minimum sans forcer. Ça c’est les pucerons.

On observe de la virose tardive. Parce que le puceron est pas juste nocif à l’automne. Si on laisse une faible population pendant tout l’hiver, derrière il y a une nuisance. Ça se caractérise par une virose tardive. J’ai deux pièces [=parcelles] l’une à côté de l’autre l’an dernier. Une que j’ai traitée, une que j’ai pas traitée, j’ai 25 quintaux d’écart. Les deux pièces ont été tenues à peu près de la même façon de A jusqu’à Z. […]

– Tu utilisais des NNI sur quoi ?

– Sur betterave, la totalité des betteraves. On a une dérogation cette année, donc j’en remets. Pas tant pour les pucerons. Je voyais pas les pucerons en premier élément [nuisible] le jour où ils l’ont interdit. Pour moi ce qui allait poser problème, et je pense toujours que ça va poser problème à l’avenir […], ce sont les souterrains, c’est tout ce qui est dans le sol. Les taupins, les blaniules … il y a plein de bestioles […] des choses qu’aucun agriculteur n’a connues [précision a posteriori : « des ravageurs dont peu d’agriculteurs en activité aujourd’hui ont eu à se plaindre, mais qui étaient un réel problème dans le passé »], parce qu’on utilise des produits chimiques depuis les années 70 pour lutter contre. On a utilisé du Curater, on a utilisé du Temik. On mettait ça … Les agriculteurs on leur disait à l’époque « c’est mauvais pour personne », on utilisait ça à main nue, sans protection, on mettait ça dans la ligne de semis … […] Les NNI comparés à ça c’était une avancée. […] » (Igor)

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« Quand tu fais des essais avec et sans et que tu vois que sans la culture est ravagée et que avec, il y a pas de problème, c’est assez visuel pour que t’aie pas besoin d’autre argument pour y croire. Pareil en céréales. Quand t’as du puceron sur blé ou sur orge et que ta culture attrape la jaunisse, que tes plantes se développent pas et qu’ensuite, arrivé au printemps, tout est jaune et il y a rien qui pousse et que la moitié de ta parcelle est cramée, tu te rends compte que le produit, le gaucho, avait quand même son efficacité… » (Nicolas)

c. L’intérêt écologique des NNI

Au-delà de l’intérêt purement insecticide des NNI, il y a aussi plusieurs atouts liés à son mode d’application : l’enrobage. Cela en fait un insecticide très précis (relativement aux autres insecticides) qui épargne d’une part les agriculteurs, qui n’ont plus à épandre, et d’autre part (en grande partie) les insectes non-cibles, dont les fameux « auxiliaires de culture ». Autoriser les NNI sur les betteraves a aussi un intérêt agronomique : diversifier les rotations de cultures.

Un insecticide précis

Le fait que le pesticide soit à l’intérieur de l’enrobage limite beaucoup l’exposition des agriculteurs, qui n’ont pas à manipuler de produits dangereux et à passer le pulvérisateur. C’est un thème que Igor a beaucoup développé :

« Je me souviens que mon père utilisait énormément un produit qui sentait mauvais. C’était du Karate-K à l’époque [1980-90 ?]. Je me souviens à l’époque, on disait pas aux agriculteurs que le produit était risqué. Il devait nous garder et avait un pulvé à faire. Il nous mettait sur le pulvé et lui, il était dans le tracteur, nous on était dans une cage, mais on était sur le pulvé. Quand il y avait du vent dans le mauvais sens, bah on bouffait du produit. […] Je me souviens qu’il traitait jusqu’à 5 fois la même parcelle. Depuis les néonics, moi aujourd’hui la parcelle, je la traite 2 fois [Précision ultérieure: « avec l’usage des néonicotinoïdes la majorité du temps je ne fais pas d’insecticide. L’année exceptionnellement compliquée, j’en ai fait 2″ »]. On a encore un potentiel de nuisibilité si on continue de mal gérer les populations. On peut encore augmenter les traitements. […] Si on les interdit et que les betteraves restent, les betteraves ça sera 5 passages minimum [s’il y a des pucerons comme en 2019-2020]. Dans le meilleur des cas. Si on veut que ça fonctionne. » (Igor)

Il m’explique également que les NNI sont intéressants parce qu’ils sont sélectifs :

« On s’est rendu compte [dans les années 90] d’un truc flagrant, c’est que un insecticide, parfois, fait plus de mal que de bien. Parce que les insecticides [foliaires] sont très peu sélectifs. En général quand on met un insecticide, ça tue tout le monde, ça tue tous les insectes. Et qu’il y a plein d’insectes qui sont là, mais qui sont pas nocifs. Et que si on tue tout le monde, eh bien, le premier à revenir, ça sera le ravageur du moment contre lequel on veut lutter. Et qu’il aura toute la place pour lui. Toutes les strates seront inoccupées, donc il pourra se mettre partout. Alors que si on fait pas l’insecticide, 90 % des strates seront déjà occupées, où il pourra pas s’implanter, parce qu’il y a déjà quelqu’un et que virer quelqu’un c’est pas facile. Et du coup il aura moins de nuisibilité si on ne met pas d’insecticide que si on en met. C’est pas évident à évaluer ça8. Quand il y a besoin, j’observe énormément. J’ai des cuvettes jaunes, je vais voir les insectes du sol … C’est énormément d’observation, bien plus que la moyenne. Quand j’estime qu’il y a un risque, j’y vais et j’ai une tolérance au risque très forte en ce qui concerne les insectes.

– Et pourtant t’utilisais les NNI ?

– Et pour moi les NNI C’est l’insecticide le plus … c’est un des rares insecticides qui soit sélectif. Tous les autres sont pas sélectifs pour moi. Les NNI enrobent la plante … les seules bestioles qui vont être impactées c’est celles qui vont essayer de bouffer la plante. Hormis les insectes qui se nourrissent du pollen si la plante est toute petite et que la dose de NNI est trop forte, ce qui a pu se passer pour des tournesols, pour du maïs … Mais par exemple, dans le blé ça embête personne. La floraison, personne la récupère ou presque personne. C’est pas gênant. » (Igor)

L’intérêt d’une gestion globale des pestes

Igor m’explique également qu’il y a aussi une logique globale à la protection des cultures :

« Au-delà de ça, toutes les bestioles en général, ça se gère, pas au niveau de la parcelle ou au niveau très très local. On gère des populations globales. Faut même voir ça au niveau français. On gère des populations globales et le fait de ne pas mettre de néonics sur blés. Le fait d’avoir interdit les NNI partout, pas seulement sur betteraves, sur céréales aussi, ça permet aux pucerons de rester sur blés sans être nocifs. Donc on laisse la population, la population augmente. Au lieu de partir de 0, elle part d’un bon minimum. Et du coup ça explose … les augmentations de population sont exponentielles et du coup ça devient nuisible d’autant plus vite qu’il y a un fond de cuve qui est important. » (Igor)

Il prend l’exemple des altises qui auraient cessé d’être gérées parce que des produits auraient été interdits et qu’elles seraient devenues résistantes aux autres. Elles en profiteraient pour proliférer en partant de l’ouest :

« Petit à petit, elles gagnent du terrain, alors {que si on avait] […] eu les outils pour les gérer convenablement depuis le début, leur nuisibilité se serait limitée à l’ouest de la France, et on mettrait du produit qu’à cet endroit-là, et là aujourd’hui, moi j’ai des altises sur colza, sur tournesol, sur betterave … j’ai des dégâts sur ces trois cultures-là. Et des dégâts qui peuvent aller … colza, ça peut aller jusqu’à la disparition de la culture si c’est pas traité […] ; tournesol, ça va jusqu’à une perte totale des pieds […] ; et la betterave, […] il y a une petite perte de rendement on peut perdre jusqu’à 15-20% des pieds. » (Igor)

Betteraves et agronomie

Enfin, la betterave, qui est la culture qui semble le plus mise en danger par l’interdiction des NNI, a des caractéristiques intéressantes pour diversifier les cultures et organiser la ferme. Tout d’abord, planter différentes cultures à différents moments de l’année permet de lutter contre les mauvaises herbes. C’est ce qu’on appelle la rotation. François nous racontait le principe :

« – Tu t’en sers un peu comme d’un herbicide naturel en fait ?

– Non, c’est plus pour casser le cycle. Elle empêche qu’on se retrouve avec des problèmes qu’on ne sait pas gérer. […]

La rotation, ça n’empêche pas les vulpins d’exister, ça empêche qu’ils prolifèrent trop et qu’on puisse plus les gérer. Vu qu’elles poussent en même temps que la culture, elles peuvent finir par tuer complètement la récolte. On parle alors « d’impasse » : « C’est quand on a semé, mais qu’on n’arrive pas à récolter. […]

On peut facilement se laisser déborder. On en laisse passer un [vulpin, une mauvaise herbe], le coup suivant on n’en a plus un, on en a 100, pis le coup suivant on en a 10 000, donc ça devient vite ingérable. C’est tout là l’intérêt de la rotation. » (Baumann 2021, p.49)

La rotation est aussi un atout organisationnel. Cela permet de mieux répartir le travail sur l’année, ainsi que la gestion des stocks de lisier pour les éleveurs :

« Si tu produis 15 000m3 de lisier et que t’as que 5 000 m3 pour le stocker, il faut bien le vider trois fois dans l’année. » (Ferdinand)

D’autres cultures pourraient tenir le même rôle que les betteraves, mais elles ont toutes des inconvénients :

« La PAC nous force à faire des pois. Là cette année c’était la catastrophe en pois, je crois qu’ils ont fait 30 quintaux pour les meilleurs. […]

Après il faut aller dans les légumes … mais moi j’ai 8 ha de betteraves que je fais assez facilement, que je fais tout seul. Si j’avais 8 ha de légumes je les ferais jamais tout seul. […] C’est trop de main d’oeuvre, c’est trop de […] risques, d’investissements tout ça. […] On commence à voir un peu de tournesol. » (Ferdinand)

La pomme de terre semble intéressante, pouvant rapporter des sommes importantes, mais il y a plusieurs difficultés : cela demande beaucoup de matériel, casserait la structure du sol et appauvrirait les terres. (Ferdinand) Enfin, la betterave a aussi un atout agronomique, notamment en agriculture de conservation des sols.

« La betterave, c’est pas une légumineuse, par contre elle travaille le sol différemment. Contrairement au blé, qui a des racines qui vont à … ce sont des microfilaments qui vont aller à 3-4 mètres de profondeur. La betterave, ça va être un gros pivot qui va déstructurer la surface superficielle du sol. […]

– C’est comme les radis dans les couverts ? [NdA : Les radis permettent de « labourer » le sol sans charrue et sans fragiliser la vie du sol. C’est important en ACS, où on ne laboure pas : « Notre couvert c’est notre charrue en fait. » (Kevin)]

– Exactement. […] Dans des terres profondes on s’en fout un peu, mais il y a des terres avec des cailloux et de l’argile, c’est intéressant au niveau agronomique. » (Ferdinand)

Je reviendrai sur ce thème très intéressant un peu plus tard.

Enfin, il y a une multitude d’autres intérêts à la culture de betterave : les pulpes font ensuite des aliments pour bétail, elles sont indispensables pour viabiliser les déshydrateurs industriels, ce qui aurait pour effet de rendre la luzerne moins rentable. Bref, c’est tout un tissu agro-industriel qui serait déchiré. De plus, elles pourraient devenir de plus en plus intéressantes avec la hausse de demande en biomasse pour les méthanisateurs.

d. Un monde agricole vent debout pour les NNI sur betteraves

De manière générale, la quasi-totalité des agriculteurs était favorable à la réautorisation des NNI sur betteraves. C’était évidemment le cas de la FNSEA, mais aussi de la coordination rurale. Seule la confédération paysanne s’y oppose. C’est également ce qui est ressorti à chaque fois que le sujet a été abordé. Par exemple :

« – T’avais utilisé des néonicotinoïdes ?

– Non seulement je les ai utilisés, mais je les défends, comparé à ce qu’on avait utilisé précédemment. Les NNI, c’est un super produit, parce que c’est incorporé à semence. […] Je sais pas si tu vois une graine de betterave […], c’est une toute petite étoile. Ça fait 3 mm de diamètre […]. […] Quand tu fais le total de ce qu’on fait en NNI, c’est 50 g pour un hectare, 10 000 m² ! Autrefois, avant les NNI, on mettait 15 kg de Temik. C’était un produit, ça tuait les vers de terre. Et on mettait sur le rang de betterave. […] Aujourd’hui, c’est [les NNI] seulement sur la semence. Donc c’est infime. Pis foutez nous la paix, il y a pas d’abeille dans les betteraves, il y a pas de floraison, il y a pas de fleur, il y a aucune incidence sur les abeilles. […] C’est irréel quoi, des bêtises. » (Bernard)

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« Pour moi c’est une aberration de les avoir supprimés. On en met une dose tellement faible … Quand on compare à la dose des insecticides qu’on met en plein (champ?). Pour moi, la suppression des insecticides aujourd’hui, c’est un à deux insecticides à l’automne pour le blé. Pour les betteraves, l’année où ça a été supprimé, je me suis arrêté parce que je voyais que les alternatives marchaient pas. J’ai fait deux Teppeki. […] J’ai des voisins qui ont fait [plusieurs] Teppeki, ça n’a pas plus marché, on était tous [logés] à la même enseigne. Le Teppeki ne fonctionne pas suffisamment quand il y a une forte pression de pucerons. Le Movento non plus. Il n’y aucun produit qui est suffisant. Les NNI quand on voit la quantité qu’on met et l’impact que ça a sur la faune et la flore … Enfin la question elle se pose une minute pas plus. Quand on observe un petit peu … En blé, quand je fais un insecticide, je vois que ma population de carabes, j’en ai beaucoup moins, je vois que j’avais des araignées avant, les araignées elles sont crevées … les insecticides ont des effets de bord. Et quand on avait les enrobages en NNI, toutes ces populations-là, elles étaient là, elles augmentaient. Et pis derrière, ça veut dire que les perdreaux, qui se nourrissent de toutes ces bestioles-là, bah ils ont plus à bouffer, les faisans c’est pareil … On a intérêt à laisser les NNI sur toutes les cultures non butinées.

– T’avais lu les études ?

– J’[en] ai lu une au complet, Chizé, j’ai lu des passages d’études de l’ITSAP, pas la totalité, j’ai lu des passages aussi de Chizé, du CNRS, du Musée d’histoire naturelle, de ce qu’ils ont fait en commun … Je constate que chez moi ça se passe pas du tout comme ça. Ça c’est le premier point [Contexte : il est aussi apiculteur]. Je note que la plupart des études de l’ITSAP portent sur des choses qu’on n’avait pas le droit de faire avant l’interdiction des NNI et qu’ils ont continué à étudier ces choses-là alors qu’on n’avait plus le droit de les faire [Commentaire : « les choses qu’ils mettaient dans les études à changer par les pratiques qu’ils essayaient dans leurs études étaient impossibles dans les champs, quel intérêt ?]. De l’enrobage de tournesols, de l’enrobage de colza … […] Effectivement, si on met des NNI à des doses qu’on n’a jamais mises dans les champs autour du colza, qui est une plante butinée, et que le colza est pas grand et machin et qu’on simule en labo, effectivement, l’abeille qui en bouffe va être désorientée. Mais même les études de l’ITSAP à l’époque (2015), les dernières je les ai pas lues, […] les choses qu’ils mettaient dans les études, c’était pas praticable dans les champs, c’était pas possible. » (Igor)

e. Récapitulatif

Reprenons :

  • Il est vrai que les NNI ne sont pas toujours utiles. Par exemple, lorsque la pression des ravageurs n’est pas suffisante pour justifier leur usage ou bien si l’agriculteur a pu mettre en place une solution agronomique pour la réduire. D’ailleurs, quand c’est le cas, les agriculteurs n’utilisent pas ces pesticides, tout simplement.
  • Ce n’est pas parce qu’un agriculteur utilise des NNI pour une culture qu’il l’utilise pour toutes. Insecticide systémique ne veut pas dire insecticide systématique.
  • Les NNI sont cruciaux pour les betteraves. Tous les betteraviers que j’ai interrogés utilisaient des NNI.
  • Les agriculteurs utilisateurs ont une image très positive des NNI, notamment en raison de leur sélectivité. Les autres n’ont pas exprimé d’avis.

Au-delà de tous ces éléments, une question évidente met en danger les allégations du journaliste : s’ils étaient inutiles, pourquoi les agriculteurs les utiliseraient ? Pour gérer ce problème et faire tenir son histoire, S. Foucart a besoin de neutraliser la parole des agriculteurs.