Il s’agit d’une partie du livre « Stéphane Foucart et les néonicotinoïdes. Le Monde et la désinformation 1 » dans laquelle nous montrons que le journaliste désinforme (= écrit des choses fausses ou induisant en erreur) très largement sur le sujet étudié. Plus spécifiquement, nous montrons ici qu’il présente une vision erronée de l’agriculture (1.I.4.).


S. Foucart défend que les NNI seraient inutiles à partir de plusieurs études :

Nous allons montrer que cette idée est en soi incohérente avec le reste de ses propos (a) ; que ses comparaisons de rendements ne sont pas pertinentes (b) ; que l’étude du CFS n’a aucune portée scientifique (c) ; que la revue de littérature de L. Furlan (et coll. 2018) (qui s’inscrit dans la « Task Force on Systemic Pesticides »), ne prouve en aucune façon l’inutilité des NNI (d) ; que l’expérimentation conduite par ce même scientifique n’a aucune portée scientifique (e).

a. Une incohérence interne

Tout d’abord, on voit plusieurs incohérences :

  • La diffusion des NNI dans l’environnement occasionnerait des résistances chez les ravageurs (20), mais pas chez les pollinisateurs et autres insectes.
  • Le fait que les récoltes de 2014-2015 aient été « supérieures à la moyenne » prouverait que les NNI n’étaient pas efficaces, alors qu’il affirme, en même temps, que le moratoire ne servirait à rien en raison de la rémanence des NNI dans les sols.

Ce sont toutefois des points mineurs au regard des autres problèmes.

b. Les comparaisons d’évolution des rendements

Le journaliste évoque l’évolution des rendements et compare avec l’utilisation des NNI :

Source : Le Monde, article (13)

De manière générale, ce type de comparaison a peu d’intérêt pour plusieurs raisons.

  • Les agriculteurs peuvent arrêter ou commencer une culture et remplacer une autre. Ainsi le rendement peut avoir tendance (cela dépend des contextes) à se stabiliser autour de la quantité à partir de laquelle la culture est rentable.
  • L’intérêt de nouveaux insecticides n’est pas forcément d’augmenter les rendements, ils peuvent venir remplacer des insecticides plus néfastes et chers. S’il n’y avait pas d’impasse en colza et en blé, les NNI auront simplement remplacé des insecticides préexistants, notamment parce qu’ils sont plus simples et sécures à utiliser (pas besoin d’épandre), potentiellement moins chers (cela dépend des contextes) et qu’ils sont sélectifs (ils tuent le ravageur et peu le reste de l’entomofaune comparé aux insecticides foliaires).

Ce graphique a un problème supplémentaire : il compare l’utilisation de NNI pour toutes les cultures aux rendements de blé et de colza. Cela n’a pas de sens, il aurait au moins fallu comparer les rendements de la culture à l’utilisation de NNI sur cette culture. Il est logique que le rendement du blé ne soit pas impacté par l’utilisation de NNI sur maïs …

L’auteur propose un autre graphique et une interprétation qui ont également des failles graves (27), mais dont nous parlerons un peu plus loin, dans le point 3. de ce I.

En outre, on observe une tendance contraire avec la betterave :

Source : Agreste Île-de-France, Numéro 138 – Octobre 2016


Ceci, alors même que le prix de la tonne de betteraves s’effondrait … (L’augmentation n’a donc probablement pas résulté d’une attribution de terres plus fertiles à la betterave.)

c. L’étude du Center for Food Safety

S. Foucart fait plusieurs fois référence à l’étude publiée par le « Center for Food Safety » et écrit par Sarah Stevens et Peter Jenkins : « Heavy costs. Weighing the Value of Neonicotinoid Insecticides in Agriculture ». (20) m(40)

Un rapport par définition sans portée

Ce rapport aurait passé en revue et synthétisé 19 articles de journaux scientifiques étudiant la relation entre des traitements néonicotinoïdes et les rendements de 5 cultures américaines. Il conclurait que « de nombreuses études montrent que le traitement de semences aux néonicotinoïdes n’augmente pas significativement les rendements dans de nombreux contextes. »

Il ne s’agit pas d’une revue de littérature, puisque la sélection des articles n’est pas systématique. Les auteurs vont jusqu’à inclure des articles s’étant intéressés aux propriétés antifongiques et herbicides des NNI … (Pynenburg et al. 2011a et Pynenburg et al. 2011b) Ce n’est évidemment pas pertinent, vu que l’utilisation des NNI est la gestion des insectes nuisibles. Pour le reste, on voit mal l’intérêt de l’exercice. En effet, il y a une infinité de façons de mal utiliser les NNI. Trouver quelques études qui montrent qu’ils peuvent ne pas avoir d’intérêt ne dit rien de valable. Les NNI ne sont pas systématiquement utiles (c’est d’ailleurs pour cela qu’ils ne sont pas systématiquement utilisés). Par exemple, les éleveurs cultivant des céréales en zone montagneuse au milieu de prairies ont globalement moins de problèmes de pucerons que les producteurs de betteraves des Hauts de France. Assimiler les intérêts des NNI dans ces deux situations pour évaluer une rentabilité globale est absurde.

J’ai pris cet exemple parce qu’il me semble assez évident (et que c’est un cas qui s’est présenté dans les entretiens), mais comprenez bien qu’il y a une infinité de variables à prendre en compte. On ne sait rien de la pertinence agronomique des études citées et les durées étudiées semblent très courtes, quelques années, alors que la pression des ravageurs peut être très variable.

Stokstad 2013

Les auteurs synthétisent un encart de Stokstad dans Nature (2013) comme suit :

« [La France a banni l’utilisation d’imidaclopride sur tournesols en 1999 et sur le maïs en 2004, mais les rendements pour les deux cultures jusque 2007 montrent que la productivité n’a pas été diminuée par la perte du traitement de semences comme mesure de contrôle des nuisibles.] »

Stevens et Jenkins 2014

Voici le graphique :

Source : Stokstad 2013

Ce graphique est muet : outre les critiques que nous avons déjà formulées sur ce type de comparaison, il y avait des alternatives en enrobage pour ces produits. Pour le maïs : Thiaméthoxam, clothianidine (concernés par le moratoire de 2013) et thiaclopride étaient disponibles. Ainsi, on voit une revue de littérature extrêmement pauvre (19 articles), qui n’a agronomiquement aucun sens (il faudrait une logique, une analyse derrière les comparaisons) et exagère largement la portée des données à sa disposition.

Une présentation malhonnête

Rappelons les termes exacts employés par le journaliste pour présenter l’étude :

« En mars 2014, une ONG environnementaliste basée à Washington, le Center for Food Safety (CFS), a de son côté systématiquement examiné la littérature scientifique – c’est-à-dire les revues soumettant les études qu’elles publient à une expertise préalable – pour se faire une idée de l’efficacité réelle des néonicotinoïdes. Le CFS n’avait trouvé que quatre études montrant des gains de rendement consécutifs à leur utilisation en traitement de semences. Contre dix-neuf travaux constatant un gain absent ou non significatif… » (20)

« Ce constat d’une quasi-absence d’impact positif des traitements insecticides des semences avait déjà été souligné en mars 2014 par le Center for Food Safety américain. Ce dernier avait identifié dix-neuf études publiées ne montrant aucune augmentation significative de rendement, contre seulement quatre suggérant des gains de productivité. » (Jean-Marc Bonmatin, (40))

Bref, c’est de la désinformation.

Des conflits d’intérêts considérables

À la fin de l’article du CFS, on remarque une intéressante mention :

« This report was made possible by generous funding from: Ceres Trust, Harriet Crosby, Bellwether Foundation, & Cornell Douglas Foundation. »

Un peu de recherche donne :

  • Ceres Trust est une fondation finançant diverses initiatives contre les pesticides. Sa déclaration d’impôts nous informe que la fondation avait plus de $2,7 millions de chiffre d’affaires et un actif net de $15,69 millions en 2016 Détail intéressant, on observe que la quasi-totalité des contributions (2 002 752 $) viennent du fondateur Judith A. Kern (2Mn$). D’après le Genetic Literacy Project, Ceres Trust aurait notamment versé, depuis 2012, 1,8 Mn$ au Center for Food Safety, 1,5 Mn$ à Pesticide Action Network, 270 000 $ aux Friends of the Earth …
  • Harriet Crosby : membre du conseil d’administration des Friends of the Earth, fondatrice et dirigeante de la Fox Haven Farm, militante anti OGM …
  • Bellwether Foundation, dont l’objet serait « d’améliorer la qualité de vie des habitants de Saint Louis en supportant des programmes innovants qui ont un impact positif sur les générations présentes et futures. » D’après CauseIQ, l’institution aurait dépensé $4,6 millions en 2019 et disposerait d’un actif de $56,9 millions et porterait surtout sur la promotion de l’art … D’après le Genetic Literacy Project, ils ne supporteraient pas spécifiquement la lutte anti-OGM, n’offrant qu’un support général et aurait donné entre 2012 et 2015, 545 000 $ à des initiatives anti-OGM, dont 90 000 $ au CFS.
  • Cornell Douglas Foundation, est une fondation investissant dans divers projets, notamment écologistes. D’après le Genetic Literacy Project, ils ont versé 768 000 $ entre 2012 et 2016 à des initiatives anti-OGM/pesticides, dont 55 000 au CFS.

Donc on a une association militante, recevant des fonds très importants pour son militantisme produisant un rapport qui n’a aucun intérêt scientifique, mais qui nourrit ce militantisme et est repris sans distance, comme une courroie de transmission, par S. Foucart … Vous voyez qu’on est à un niveau de « conflit d’intérêts » qui est monstrueusement plus élevé que ceux qu’a dénoncés le journaliste. Pourtant, ce dernier présente le rapport comme une référence à plusieurs reprises … Deux poids deux mesures.

d. « The task force on systemic pesticides » 2018

L’auteur fait également référence (on devine, vu qu’il cite rarement avec précision) à l’étude :

Furlan, L., Pozzebon, A., Duso, C. et al. An update of the Worldwide Integrated Assessment (WIA) on systemic insecticides. Part 3: alternatives to systemic insecticides. Environ Sci Pollut Res 28, 11798–11820 (2021). https://doi.org/10.1007/s11356-017-1052-5

Un collectif de scientifiques

Cette étude s’inscrit dans le travail d’un groupe de scientifique, s’étant constitué en 2009 sur la conviction commune que les NNI seraient responsables d’un effondrement de l’entomofaune :

« [Sur la base d’études existantes et de nombreuses observations sur le terrain ainsi que de preuves circonstancielles accablantes, ils en sont venus à l’hypothèse que la nouvelle génération de pesticides, les néonicotinoïdes persistants, systémiques et neurotoxiques et le fipronil, introduits au début des années 1990, sont susceptibles d’être responsable au moins en partie de ces baisses.] »

van Lexmond et coll. 2015

Si le propos semble mesuré, le nom dudit collectif ne laisse pas trop d’ambiguïtés : « Task Force on Systemic Pesticides » (TFSP) … Notez que le président de ce groupe, van Lexmond, est l’un des fondateurs du World Widlife Fund (oui, comme dans WWF). La neutralité de l’organisation est pour le moins sujette à caution.

Une étude sur les néonicotinoides évidemment douteuse

S’agissant de l’étude elle-même, elle ne fait jamais référence aux variables agronomiques. Ils rapportent uniquement des éléments très partiels des études : est-ce qu’ils ont observé des différences de rendement ou pas pour telle culture selon les contextes (climat, sols, etc.) ? La partie « Neonicotinoids and crop yields » n’est qu’une énumération de quelques études. Tout d’abord, ils commencent par un avertissement :

« Peu d’information est disponible sur la performance des NNI sur les rendements des cultures [traitées]. »

Les agriculteurs dépenseraient donc des milliards d’euros en produits dont ils ne sauraient pas trop l’effet … C’est une idée quelque peu douteuse.

Les « chercheurs » appliquent une méthode de raisonnement qui convient peut-être à la toxicologie, où il s’agit d’étudier l’effet d’une molécule sur l’environnement pour limiter les dégâts, à l’agronomie, qui a pour objet d’évaluer l’intérêt potentiel d’un traitement. Il y a une infinité de façon de mal utiliser les NNI, les lister toutes n’apporte rien (à part pour un manuel sur comment ne pas les utiliser). C’est un peu comme si, pour un médicament, on étudiait plein d’usages farfelus (Ex : est-ce que l’aspirine marche contre la crise d’asthme ? Est-ce qu’elle marche sur une cloque ? Sur une fracture ?) et, considérant que beaucoup n’étaient pas efficaces, on finissait par conclure qu’il ne fallait pas les utiliser du tout … Enfin, on ne sait pas leur méthode de revue : comment ont-ils sélectionné leurs études ? Comment savoir si ce n’est pas du cherrypicking ?

[Apparté: Cela me fait beaucoup penser au raisonnement fallacieux de Didier Raoult, qui défendait l’efficacité de l’hydroxychloroquine contre le COVID-19, parce que la molécule marche bien contre la malaria … Il laissait entendre qu’il y avait une sorte de pouvoir curatif absolu de l’HCQ démontré par son utilité, de la même façon que Furlan et coll. (2018) laissent entendre qu’il y aurait une inefficacité absolue des NNI.]

Des raisonnements malhonnêtes

On observe également des raisonnements évidemment malhonnêtes :

« En Italie, implémenter l’IPM résulterait au plus au traitement d’environ 4 % des cultures de maïs avec des insecticides (Furlan et al. 2017). Cela signifie que 96 % de ces champs ne nécessiteraient aucun traitement insecticide. » (Furlan et coll. 2018, p.11800)

C’est un peu comme dire que le vaccin contre la rougeole est inutile pour >99,99 % de la population, parce qu’il n’y en a que quelques centaines de cas par an. On parle en effet d’un traitement préventif, assurantiel, qui accorde une protection collective … comme un vaccin. D’après les agronomes avec lesquels j’ai discuté, l’IPM (Protection des Cultures Intégrées en français) n’interdit pas de prévenir l’apparition d’une infestation. Sa présentation en est donc trompeuse.

Un traitement des données sur les néonicotinoides absurde

Mais regardons les études qu’ils produisent :

  • L’étude de Hokkanen et coll. (2017), qui a aussi été présentée par le journaliste (30), observant qu’en Finlande, il y aurait une corrélation par province entre la diminution de rendements de colza et l’utilisation d’enrobage de semences. Ici, on n’observe pas directement l’efficacité des NNI, il n’y a aucun contrôle décent des variables (quid des changements de régulation ? D’usage des terres ?), l’interprétation des tendances est au mieux discutable (Les graphiques centraux dans leur analyse (fig. 4-5) ne veulent clairement rien dire. Par exemple, celui dont ils déduisent une hausse jusqu’en 1993 et une baisse après (pour pouvoir l’imputer aux NNI), se lit en fait comme un grand plateau (peut-être légèrement baissier, qui semble passer d’environ 1,4 t/ha à 1,3 t/ha) avec un pic entre 1989 et 1992 … Il semble que ce soit la seule base pour faire dater certaines baisses a 1993 et donc tracer une vague corrélation avec l’arrivée des NNI.), etc. L’étude est vraiment douteuse.
  • Budge et coll. (2015) montreraient que les rendements de colza ne seraient pas significativement augmentés par l’enrobage et qu’il y aurait une corrélation entre les pertes de colonies d’abeilles et l’utilisation des NNI. Le deuxième point n’est pas pertinent. Sur le premier, les auteurs de l’étude écrivent sans ambiguïté : « Nous produisant aussi la première preuve que les fermiers qui utilisent des enrobages de semences réduisent le nombre d’applications foliaires d’insecticides et peuvent en tirer un retour économique. » On retrouve ce que je disais plus haut : les NNI ont remplacé d’autres pesticides. Pour évaluer l’efficacité des NNI, il faut contrôler l’utilisation d’autres pesticides.
  • D’après Furlan and Kreutzweiser (2015), « citant différents papiers sur des essais en champs », les effets de l’enrobage sur les grains serait négligeable, principalement en raison du fait que la majorité des populations de ravageurs seraient faibles. Les auteurs citent ici en fait leur précédent papier pour le TFSP. Je passe en soulignant simplement qu’il est assez normal que les NNI n’apportent pas grand-chose en l’absence de ravageurs à tuer …
  • Nogueira Soares et coll. (2017) auraient montré que « le thiamethoxam améliore les performances physiologiques des semences de melon ou de pastèque traitées au NNI. »
  • Tamindžić et coll. (2016) auraient montré que trois formulations commerciales (Poncho, Gaucher et Cruiser), diminuaient la germination des graines de maïs traitées.
  • Deguines et coll. (2014), ayant étudié l’évolution de 54 cultures françaises sur 20 ans, aurait observé que les bénéfices de l’intensification agricole sont inversement proportionnels à la dépendance aux pollinisateurs et que les bénéfices de l’intensification agricole seraient contrebalancés par la réduction de la pollinisation. Cela ne porte pas sur l’efficacité des NNI, je passe.

Non seulement ils mettent des études qui ne portent pas sur les effets des substances actives (ex : les deux sur la germination), mais en plus on retrouve ce que je disais plus haut : on ne voit pas l’intérêt de la démarche. Par exemple, Tamindžić et coll. (2016) critiquent des formulations commerciales, soit : ne suffit-il pas de rajouter des « boosters » en enrobage (ce qui se fait beaucoup) pour contrebalancer les problèmes de germination ? Ou alors n’est-ce pas qu’une erreur de formulation ? Cela ne dit rien des NNI en général : qu’une formulation puisse être mal faite n’est pas vraiment un scoop.

Une présentation absurde

Notons que l’essentiel du papier est en fait dédié aux « alternatives » (dont on peut largement douter de la pertinence: il est simple de présenter une pratique comme une alternative, mais ces belles idées, souvent inspirantes, passent très rarement le test de la réalité pratique). Cela ne dit rien de l’efficacité des NNI. Dernier point important : il s’agit d’une revue d’écologie (Environmental Science and Pollution), pas d’agronomie. Pourtant, son propos est strictement agronomique … On a donc, au final, un papier qui ne dit rien sur la question de l’efficacité des NNI, ce qui n’empêche pas Jean-Marc Bonmatin de le présenter comme suit :

« Le premier enseignement de cette synthèse des connaissances disponibles est que dans la grande majorité des cas, l’utilisation de ces substances n’augmente pas les rendements agricoles » (40)

Notez la nuance qui lui permet de dire quelque chose qui n’est pas forcément faux (s’il n’y avait pas d’impasse, les NNI ont simplement remplacé d’autres insecticides et n’ont donc pas augmenté les rendements), tout en faisant comprendre quelque chose de tout à fait faux (les NNI seraient inutiles). Ainsi, on observe ici deux glissades :

  • on passe de « les NNI n’augmentent pas toujours les rendements » à « les NNI augmentent rarement les rendements » ;
  • on passe de « les NNI n’augmentent pas les rendements », ce qui n’est pas forcément faux dans une certaine perspective [Si vous mettez des NNI sur une culture qui n’en a pas besoin, vous n’aurez pas plus de rendement … Idem si vous remplacez des pesticides qui géraient déjà correctement les nuisibles. Au risque de me répéter : ce sont des outils et, comme tous les outils, ils sont utiles dans certaines circonstances, inutiles dans d’autres. Une fourchette est un outil très pratique, il n’en reste pas moins inutile pour manger un velouté.], à « les NNI sont inutiles », ce qui est absolument faux.

e. L’alternative : le fonds mutualisé de Furlan

L’un des cœurs du reproche d’inutilité que S. Foucart fait aux NNI est l’existence d’alternatives beaucoup plus viables. Il l’étaye principalement avec une expérience mise en place par Furlan en Italie (37) (46). Il est donc intéressant d’approfondir. Notez que la seule trace que j’en ai trouvée est dans l’article dont nous venons de parler (Furlan et coll. 2018). Il n’y a pas eu de publication dédiée.

Le fonds mutualisé

Furlan et un groupe de producteurs de maïs (représentant 47 558ha) avaient mis en place un fonds, auquel les agriculteurs payaient en moyenne 3,3 €/ha, qui indemnisait en cas de dégâts de ravageurs. Les obligations étaient les suivants :

  • Contrat signé dans les 7 jours après le semis
  • Implémentation de bonnes pratiques de culture
  • Implémentation de la directive 128/2009/EC
  • Implémentation des suggestions du « Annual Crops Bulletin »

On note que c’est très flou. La seule donnée claire serait qu’ils n’utilisent pas d’insecticides en enrobage. L’expérimentation aurait duré deux ans (2015-2016). Au total le fonds a prélevé 160 335 € et seuls 83 863 € ont été indemnisés aux fermiers.

Des éléments suspicieux

Trois éléments sont immédiatement suspicieux.

  • Tout d’abord, l’absence de publication : l’étude elle-même n’a pas été publiée. Bizarre pour une trouvaille révolutionnaire de cette ampleur, non ?
  • Ensuite, les pratiques culturales mises en œuvre ne sont pas spécifiées12. Est-ce que les agriculteurs n’ont pas simplement remplacé les NNI par d’autres insecticides ?
  • Enfin, le montant semble ridiculement bas. Le rendement par hectare du maïs grain est de l’ordre de 9 tonnes en France, avec un prix de la tonne tournant autour de 150 €. En arrondissant vers le bas à 1 000 €/ hectare, on obtient un chiffre d’affaires de plus de 47 millions d’euros pour les agriculteurs étudiés. Les ravageurs auraient donc représenté des dégâts de l’ordre de 0,18 % … Je rappelle que, pour les betteraviers en 2020, les pertes globales (NNI+sécheresse) étaient de 23 à 30 % (ITB 2020). On n’est pas vraiment sur les mêmes ordres de grandeur … C’est d’autant plus « surprenant » que les risques couverts par l’assurance ne se limitent pas aux dégâts des ravageurs, mais incluent aussi les risques liés aux intempéries, à la faune sauvage (sangliers, corbeaux) et à des maladies comme la fusariose.

Lorsqu’on approfondit, c’est encore pire : les failles sont béantes.

Des failles béantes

Le chercheur va faire une sorte de simulation des différences entre plusieurs stratégies (Fonds mutualisé avec et sans IPM, comparées à l’utilisation de NNI) en termes de prix des pesticides, etc. On voit que toutes ces estimations sont entièrement « au doigt mouillé ». Cela questionne : n’avait-il pas des centaines d’agriculteurs dans son fonds auxquels il aurait pu poser des questions sur le prix des pesticides et de l’IPM ? Furlan ne produit aucun autre chiffre, c’est comme si l’indemnisation était la seule variable qui avait été observée.

Il faut aussi se demander la crédibilité de cet indicateur : comment était gérée cette indemnisation ? On sait tous que les assurances mettent souvent en place des trésors de restrictions et procédures pour limiter autant que possible le paiement des risques. Est-ce que les agriculteurs demandaient les indemnisations ? Étaient-elles accordées facilement ? Le flou des conditions pourrait avoir rendu l’indemnisation impossible : il suffirait d’identifier une pratique contraire à l’une des trois normes imposées (« bonnes pratiques de culture », directive 128/2009/EC, suggestions du « Annual Crops Bulletin ») pour refuser l’indemnisation.

Enfin, il y a aussi une alerte grave : comment était surveillé le respect du cahier des charges ? Comment quelques chercheurs ont pu surveiller les pratiques agronomiques de plus de 47 000 hectares de culture ? Le tout, alors même que l’article trahit le fait que les chercheurs ne savaient même pas les volumes et prix des pesticides utilisés par les agriculteurs « étudiés ».

Enfin, l’étude ne porte que sur 2 ans ; elle ne renseigne pas sur la pression des ravageurs ou pas et ne prend pas en compte la couverture contre les infestations des cultures voisines. Le fait d’être entouré de parcelles traitées vous protège également, limitant la pression des nuisibles.

Bref, faut-il vraiment s’étonner que l’étude elle-même n’ait jamais été publiée ? Je ne vois pas quelle valeur scientifique on pourrait lui donner.

Bibliographie de partie:

  • Budge, G. E., D. Garthwaite, A. Crowe, N. D. Boatman, K. S. Delaplane, M. A. Brown, H. H. Thygesen, and S. Pietravalle. “Evidence for Pollinator Cost and Farming Benefits of Neonicotinoid Seed Coatings on Oilseed Rape.” Scientific Reports 5, no. 1 (August 20, 2015): 12574. https://doi.org/10.1038/srep12574.
  • Furlan, Lorenzo, Alberto Pozzebon, Carlo Duso, Noa Simon-Delso, Francisco Sánchez-Bayo, Patrice A. Marchand, Filippo Codato, Maarten Bijleveld van Lexmond, and Jean-Marc Bonmatin. “An Update of the Worldwide Integrated Assessment (WIA) on Systemic Insecticides. Part 3: Alternatives to Systemic Insecticides.” Environmental Science and Pollution Research 28, no. 10 (2018): 11798–820. https://doi.org/10.1007/s11356-017-1052-5.
  • Hokkanen, Heikki M. T., Ingeborg Menzler-Hokkanen, and Maaria Keva. “Long-Term Yield Trends of Insect-Pollinated Crops Vary Regionally and Are Linked to Neonicotinoid Use, Landscape Complexity, and Availability of Pollinators.” Arthropod-Plant Interactions 11, no. 3 (June 1, 2017): 449–61. https://doi.org/10.1007/s11829-017-9527-3.
  • ITB. “Bilan d’activité 2020.” ITB, Institut Technique de la Betterave, 2020.
  • Lexmond, Maarten Bijleveld van, Jean-Marc Bonmatin, Dave Goulson, and Dominique A. Noome. “Worldwide Integrated Assessment on Systemic Pesticides.” Environmental Science and Pollution Research 22, no. 1 (January 1, 2015): 1–4. https://doi.org/10.1007/s11356-014-3220-1.
  • Pynenburg, Gerard M., Peter H. Sikkema, and Chris L. Gillard. “Agronomic and Economic Assessment of Intensive Pest Management of Dry Bean (Phaseolus Vulgaris).” Crop Protection 30, no. 3 (March 1, 2011): 340–48. https://doi.org/10.1016/j.cropro.2010.12.006.
  • Pynenburg, Gerard, Peter Sikkema, Darren Robinson, and Chris Gillard. “The Interaction of Annual Weed and White Mold Management Systems for Dry Bean Production in Canada.” Canadian Journal of Plant Science 91, no. 3 (May 1, 2011): 587–98. https://doi.org/10.4141/cjps10127.
  • Soares, Vanessa Nogueira, Andréia da Silva Almeida, Cristiane Deuner, Adilson Jauer, and Lilian Madruga de Tunes. “Neonicotinoid Insecticide Treatment Improves Physiological Performance of Melon and Watermelon Seeds.” African Journal of Agricultural Research 12, no. 20 (May 18, 2017): 1678–83. https://doi.org/10.5897/AJAR2016.11387.
  • Stevens, Sarah, and Peter Jenkins. “Heavy Costs: Weighing the Value of Neonicotinoid Insecticides in Agriculture.” Center for Food Safety, 2014. https://www.centerforfoodsafety.org/reports/2999/heavy-costs-weighing-the-value-of-neonicotinoid-insecticides-in-agriculture.
  • Stokstad, E., 2013. How Big a Role Should Neonicotinoids Play in Food Security? Science 340, 675–675. https://doi.org/10.1126/science.340.6133.675
  • Tamindzic, Gordana, Zorica Nikolic, Dragana Milošević, and Maja Ignjatov. “Viability and Vigour of Different Maize (Zea Mays L.) Inbred Lines Treated with Neonicotinoids.” Ratarstvo i Povrtarstvo 53 (January 1, 2016): 90–95. https://doi.org/10.5937/ratpov53-10393.