Il s’agit d’une partie du livre « Stéphane Foucart et les néonicotinoïdes. Le Monde et la désinformation 1 »  dans laquelle nous présentons les aspects de l’argumentaire du journaliste commenté. Tous les éléments de ce chapitre sont imputés (que j’utilise le présent ou le conditionnel) au corpus d’articles étudiés.


Ces dommages sont d’autant plus consternants qu’ils seraient inutiles d’une part parce qu’ils ne sont pas utiles pour les récoltes et d’autre part parce qu’il y a des alternatives. Leur utilisation résulterait en fait du « paradoxe de la reine rouge » et des problèmes structurels du modèle agricole dont les agriculteurs seraient captifs.

a. Inutiles tueurs d’insectes

David Goulson a montré l’absence de corrélation entre utilisation de NNI et rendements dans une revue publiée dans le « Journal of Applied Ecology, en comparant les rendements (colza et blé) en fonction de la quantité de NNI utilisée. » (13)

Le Center for Food Safety (CFS), une ONG environnementaliste, aurait « systématiquement examiné la littérature scientifique » et n’aurait trouvé en 2014 que 4 études montrant des gains de rendements, contre 19 travaux constatant un gain absent ou non significatif (Stevens, Sarand et Jenkins, 2014). (20) m(40)

L’interdiction de 3 NNI et du fipronil aurait débouché sur des récoltes supérieures, voire très supérieures, à la moyenne. (20) J-M. Bonmatin (Lexmond et al., 2015) aurait observé, à travers la revue de 200 publications, que les NNI « n’ont qu’une utilité marginale, voire nulle ». (40) Cela tiendrait à la dimension systémique et préventive des NNI. Les ravageurs ciblés ne seraient présents que sur une petite partie (4 % dans l’exemple qu’il prend) des superficies. En outre, leur diffusion dans l’environnement favoriserait l’apparition de résistances. (40)

b. Des alternatives écologiques

Il faudrait d’autant plus interdire les NNI que des « alternatives viables non chimiques existent ». (23) Il y aurait des alternatives « comme la rotation des cultures, l’utilisation de la lutte biologique (le recours à des prédateurs naturels des ravageurs, etc.) ». (40) Cela a notamment été démontré en Italie dans le cadre d’une étude conduite par Lorenzo Furlan. Il a créé un fonds mutualisé remplissant le même rôle d’assurance-récolte que les NNI. Il a fédéré des agriculteurs représentant près de 50 000 hectares cotisant chacun pour 3 à 5 €/hectare, soit 7 à 10 fois moins que lesdits pesticides. (37) (40) (46) L’ANSES elle-même a trouvé dans 78 % des cas d’utilisation de NNI au moins une solution alternative non chimique et dans 89 % des cas des pesticides alternatifs. (46) La viabilité de ces alternatives et l’inutilité des NNI ressortiraient clairement du fait que les betteraves bio n’auraient pas ou peu été touchées par l’infestation de pucerons (et donc de jaunisse) du printemps 2020. (63)

c. Le paradoxe de la reine rouge

C’est tout le modèle agro-industriel qui serait en jeu : les rendements des grandes cultures auraient tendance à stagner depuis le début des années 1990 (et même plus tôt pour le colza et du tournesol, qui plafonnent respectivement depuis les années 1980 et 1970). (27) En fait, les innovations viendraient préserver les rendements qui diminuent en raison des dégâts causés par les innovations antérieures. C’est le paradoxe de la Reine rouge :

« En réalité, le modèle agricole dominant semble sujet au paradoxe de la Reine rouge. Dans une scène fameuse du livre de Lewis Caroll De l’autre côté du miroir, la Reine rouge explique à Alice que, dans le monde où elle a atterri, il faut sans cesse accélérer pour rester immobile. L’agriculture est lancée dans une semblable course effrénée au surplace. À mesure que le temps passe, chaque nouvelle innovation produit des effets bénéfiques toujours plus faibles et des dégâts toujours plus importants, qui sont à leur tour corrigés par d’autres innovations, venant elles aussi avec leurs externalités… Résultat : les rendements ne stagnent qu’au prix d’une escalade chimique et technique sans fin. » (27)

d. Des agriculteurs pris au piège

Ce serait d’autant plus pervers que les agriculteurs n’auraient même pas le choix :

« il leur est devenu bien difficile de se procurer des semences qui ne soient pas enrobées de pesticides – dont ils ne connaissent pas forcément la teneur. Aujourd’hui, les coopératives, auxquelles trois quarts d’entre eux adhèrent, vendent 70 % des semences présentées comme de véritables « garanties tous risques » et leur dictent leur façon de procéder. « Les agriculteurs dépendent des coopératives et les coopératives dépendent des pesticides », résume-t-on à l’UNAF. » (36)

Ils seraient également influencés par les sociétés de conseil, qui seraient incitées à leur recommander l’usage de pesticides :

« « En Italie, les sociétés qui assurent le conseil technique aux agriculteurs sont aussi celles qui leur vendent les pesticides, répond Lorenzo Furlan. Et on leur répète en permanence qu’ils perdront leur récolte s’ils n’utilisent pas ces produits… » Le même constat vaut pour la France : tous les rapports parlementaires rendus sur le sujet mettent en avant ce conflit d’intérêts institutionnel qui tire mécaniquement vers le haut l’utilisation des phytosanitaires. » (37)

« La raison est un conflit d’intérêts structurel : le conseil technique aux agriculteurs est assuré par ceux qui leur vendent les traitements pesticides, résume M. Bonmatin. Si ces conseils étaient prodigués par des agronomes indépendants, la situation serait très différente. » (40)

Seule l’industrie agrochimique sortirait gagnante de ce jeu de dupes …

Bibliographie de partie: