Delphine Batho, Emmanuel Macron, pesticides, complotisme et agences sanitaires (30/05/2024)

Le 30 mai 2024, la députée des Deux-Sèvres Delphine Batho a tenu une diatribe complotiste qui m’a fait dresser les cheveux sur la tête … avant de révêler qu’il s’agissait de propos tenus par Emmanuel Macron, ce que j’ai confirmé. Elle s’engage ensuite dans un discours très intéressant où elle se fait la porte-parole de « la science » et diabolise Macron, la droite et l’extrême droite.

Emmanuel Macron, membre de la pseudo-écologie

« Nous placerons la France en tête du combat contre les perturbateurs endocriniens et les pesticides. Ils sont l’une des principales causes de l’augmentation des cancers des enfants depuis vingt ans. » [Programme 2017]

« Nous définirons également un calendrier prévoyant l’élimination progressive des pesticides. » [Programme 2022]

« Notre agriculture doit réduire sa dépendance aux intrants chimiques qui polluent nos sols, nos cours d’eau et nos nappes. […] Nous avons, sur tous ces sujets, subi ces dernières années trop de pressions, trop d’intérêts cachés et des expertises industrielles qui ne sont en rien des expertises scientifiques. » [discours aux États Généraux de l’Alimentation du 11 octobre 2017]

« le glyphosate. Tout le monde sait que ce n’est pas bon, on le sait très bien. Je veux dire, donnez-moi le rapport qui me dit que le glyphosate est une bonne chose. » [discours 22 février 2018]

Mise au point sur les cancers pédiatriques

C’est un serpent de mer qui revient régulièrement : l’augmentation des cancers pédiatriques ces 20 dernières années. Ca avait été la découverte étonnante d’un article du Lancet, publiée le 11 avril, mais rectifiée dans l’édition de juin 2017. Je ne sais pas ce qu’a été la modification. Le taux (WSR World Age-standardized Rates) moyen dans le monde serait passé de 124 par million « personne année » dans les années 80 à 140.6 entre 2001-2010. On voit aussi un document de la Santé publique, publié dans un numéro « adsp n° 61 ∕ 62 décembre 2007 – mars 2008 » observant que « Depuis 20 ans, le nombre de cas de cancers de l’enfant a augmenté de 1 % par an alors que la mortalité baissait de 2,5 % par an. La situation en Ile-de-France est comparable à celle de l’ensemble du pays. » Ces données vont … jusqu’en 2003. Elles ne prennent pas en compte l’évolution de la population, ni aucune variable.

Quand on pose la question aux experts, la réponse est différente. Ainsi, un article du Point de Geraldine Woessner donne la parole à l’oncologue et membre du conseil scientifique de la Société française du cancer Dr Jérôme Barrière et au Pr Virginie Gandemer, pédiatre cancérologue au CHU de Rennes et présidente de la Société française de lutte contre les cancers et leucémies de l’enfant et de l’adolescent (SFCE) qui rejettent unanimement l’hypothèse (le premier : (« Il n’y a aujourd’hui rien de nouveau en termes de cancers pédiatriques » ; la seconde : « Grâce à l’historique du registre national, nous sommes en mesure de dire qu’il n’y a pas d’augmentation d’incidence des cancers pédiatriques sur les 20 dernières années« ).

Bref, de quoi parle Emmanuel Macron ? Surtout, il faudrait encore imputer cela aux pesticides [rq: il ajoute les « perturbateurs endocriniens », une catégorie très mal définie qui peut notamment inclure beaucoup de choses, comme les isoflavones du soja …] ! Sachant que l’usage des pesticides CMR (Cancérigènes, Mutagènes, Reprotoxiques) diminue largement. Bref, on est en plein dans le pesticide – bashing le plus éhonté.

Le délire complotiste

Néanmoins, le troisième passage est le plus fou.

D’abord, il reprend l’élément de langage pseudo-écologiste assimilant les « intrants » à de la drogue en parlant de dépendance, puis limite étrangement sa critique aux seuls intrants chimiques et présentant la « pollution » comme quelque chose de gravissime et n’étant justifié par rien.

C’est la même fallacie que d’affirmer que les humains polluent « les sols, les cours d’eau et les nappes » et d’insinuer qu’il faudrait les effacer de la surface du globe.

C’est de l’agribashing à l’état pur, mais seulement contre les intrants « de synthèse », un peu comme si les intrants bio ne polluaient pas. On retrouve ainsi même la place du bio dans le discours pseudo-écologiste !

Ensuite, il prétend en pleine affaire des Monsanto Papers « subi ces dernières années trop de pressions, trop d’intérêts cachés et des expertises industrielles qui ne sont en rien des expertises scientifiques », contribuant pleinement à l’opération de désinformation. On est en plein dans le complotisme le plus glauque ciblant les agences sanitaires.

Glyphosate et malhonnêteté

Enfin, il prétend que, parce qu’aucun rapport disant que le glyphosate serait « bon », c’est qu’il serait « mauvais ».

On est en plein dans le moralisme le plus assumé : il sait qu’il parle à des gens irrationnels et adopte un langage irrationnel.

Il s’agit de malhonnêteté et de manipulation à l’état pur.

« La science »

Delphine Batho poursuit :

« Ainsi parlait Emmanuel Macron il n’y a pas si longtemps. Vous venez nous présenter aujourd’hui un plan non plus écophyto, mais pro-phyto, une capitulation dans le prolongement au renoncement à l’interdiction du glyphosate et votre loi de réautorisation des néonicotinoïdes. Qu’est-ce qui explique un revirement aussi spectaculaire ? Pas la science, il suffit de se référer à la dernière expertise collective de l’INSERM, aux travaux sur les preuves de l’impact des pesticides sur l’effondrement de la biodiversité, ou encore à l’avis de la majorité des membres du conseil scientifique et technique du plan Ecophyto sur le fameux H1R1. Donc ce n’est pas la science.

Delphine Batho adopte la posture du sachant: elle connait « la science » et a défini ses textes sacrés. Pourquoi ils vaudraient plus que les autres ? On ne sait pas. Quelle « science » serait contredite ? On ne sait pas. On est dans un discours s’inscrivant dans la mythologie pseudo-écologiste visant à asservir la production scientifique.

Diabolisation, extrême droit et fachosphère

« Ce n’est pas non plus la pression du business et la classique résistance au changement des lobbys de l’agrochimie, elle n’a jamais cessé, depuis l’invention du poison des pesticides de synthèse, ce n’est pas non plus la position de la FNSEA, ce n’est pas un secret qu’elle demande du temps depuis 17 ans; ce n’est pas non plus les sondages, puisqu’une opinion majoritaire est au contraire pour la sortie des pesticides et même à 80% pour leur réduction et 66% trouvent que vous n’agissez pas assez.

Non, votre retournement total sur le plan des valeurs, sur le plan du rapport à la science, il s’explique par le choix de capituler face à la pression de la droite et de l’extrême droite et à l’idéologie du backlash environnemental. Ce qui vous a fait changer d’avis, ce n’est pas la science, ce ne sont pas les preuves, ce n’est pas la société, c’est une pression politique avec sa force de frappe obscurantiste manipulée par les ingénieurs du chaos de la fachosphère.

Les pesticides c’est finalement un miroir terrible pour votre majorité. En une poignée d’années, vous êtes devenus réactionnaires au sens littéral du terme, c’est à dire les partisans d’un retour en arrière. C’est triste, parce que les conséquences sont tragiques, mais c’est aussi une triste évolution pour vous et pour les parlementaires qui vous soutiennent aveuglement. »

Elle parle de « l’invention du poison des pesticides de synthèse » : rappelons que l’un des premiers pesticides a été la peinture « vert Paris », contenant de l’arsenic, après qu’un agriculteur américain ait observé qu’elle tuait le doryphore du Colorado en 1868.

L’arsenic est devenu la base des insecticides pendant les décades suivantes. Se seraient Bayer et Monsanto qui en auraient été à l’origine ? Ou parle-t-elle d’une sorte d’ « agrochimie » éternelle et constante ?

C’est la stratégie de l’appropriation de l’histoire, qu’ils manipulent pour faire coller à leur mythologie.

Mais surtout, ce paragraphe est dédié à l’assimilation des critiques des délires environnementaux à l’extrême droite et, la pire : la « fachosphère ».

Pour ceux qui ne savent pas, c’est un terme utilisé pour décrire tout l’écosystème autour d’Alain Soral, de Papacito, de Batskin et d’une myriade d’autres personnages « hauts en couleur« .

C’est un écosystème qui est assez loin de la désinformation rafinée dont nous traitons dans ce site : c’est grossier, sans finesse, bien raciste, antisémite, complotiste, etc. Contrairement à la pseudo-écologie, ils n’arrivent à attraper que des causes perdues de ce que j’en ai vu.

Son propos est ainsi totalement incohérent : elle présente ces personnages comme des « ingénieurs du chaos » (parler d’ingénierie pour leur manipulation basique est assez ridicule), qui auraient la force de frappe qu’ils manipulent pour exercer une force politique qui aurait fait plier Macron, sachant qu’elle avait juste avant dit que c’était « la droite et l’extrême droite ».

La fin est encore plus folle, qualifiant la démarche de Macron, qui consiste revenir sur ses paroles, comme être réactionnaire parce que ce serait être « partisan d’un retour en arrière ».

C’est hallucinant parce que c’est le contraire : ils refusent d’aller vers l’avancée proposée par les pseudo-écologiste. Vous avez là une mécanique qui n’est pas sans évoquer l’inversion victimaire. Mais pire encore : selon cette définition, les pseudo-écologistes sont littéralement réactionnaires !

Encensant systématiquement un passé fantasmé, où nous n’aurions pas été teintés par les pesticides et le modèle agro-chimico-industriel.

Accuser ses adversaires de ce dont on est coupable, c’est l’une des stratégies de cet écosystème pour brouiller les cartes.