Laurence Huc, INRAE, Konbini et le glyphosate (09/2023)
L’une des particularités de la pseudo-écologie est sa prétention à « la science » (enfin « la vraie », celle autorisée par leur orthodoxie). Pour cela, les scientifiques adhérant au système sont particulièrement précieux.
Laurence Huc, toxicologue et directrice de recherche à l’INRAE, nous a fourni un bel exemple de désinformation pseudo-écologique sur le glyphosate, lors du processus de réautorisation en 2023.
Synthèse
Laurence Huc : « Dix ans de glyphosate en plus, qu’est-ce que ça fait ? Bah imaginez en France, c’est environ 10 000 tonnes par an qui sont déversées. 10 000 tonnes d’un cancérigène et d’un perturbateur endocrinien et d’un neurotoxique qui se retrouvent dans notre environnement. On est là dans de l’effacement de la science. au profit de décision qui sont purement économiques ou politiques.
La vidéo commence avec une synthèse, qui est en fait la concaténation de plusieurs phrases dites au cours de l’interview.
C’est fidèle au message global, qui consiste à présenter le glyphosate comme un pesticide particulièrement dangereux et la décision de le réautoriser comme contraire à « la science« .
Diabolisation du glyphosate
Laurence Huc : « Le glyphosate, c’est un pesticide, c’est-à-dire une substance chimique qu’on va utiliser pour tuer les mauvaises herbes. C’est l’herbicide le plus utilisé au monde. On le retrouve dans tout ce qu’on mange, les céréales, les fruits et légumes, mais aussi la viande. Et maintenant on sait qu’il est toxique pour les insectes et un ensemble d’êtres vivants. Et pour la santé humaine, il est perturbateur endocrinien. C’est aussi un cancérigène, c’est un neurotoxique. Donc là c’est plutôt des atteintes du système nerveux, des troubles cognitifs et locomoteurs. C’est également un perturbateur de la fertilité, c’est-à-dire qu’il peut baisser nos capacités à nous reproduire. «
On commence, comme toujours, par problématiser : le glyphosate serait extrêmement dangereux et se retrouverait « dans tout ce qu’on mange ». Ici, la fallacie des résidus et le référentiel de la contamination est utilisé pleine balle : aucune information sur les doses. Le glyphosate aurait toutes ces caractéristiques ancrées en lui, effectives à n’importe quelle dose.
Le passage suivant nous explique que, s’il n’est pas reconnu comme étant aussi dangereux, ce serait du fait d’une « fausse science ».
La « vraie » science et la « fausse » science
Laurence Huc : « Toutes ces connaissances-là sont basées sur des études scientifiques, soit de mes propres travaux de recherche, soit sur des rapports d’expertise. On sait en fait depuis les années 70 que ce pesticide présente des problèmes. Si on regarde les documents réglementaires déjà fournis par les firmes pour avoir les autorisations de mise sur le marché, on voit que les rats tombent malades et notamment développent des cancers. À l’époque il était peu utilisé, donc on ne s’en préoccupait pas trop. Entre les années 70 et maintenant 2023, l’usage a été multiplié par 100. Les expositions maintenant sont réelles et donc les effets toxiques qu’il a sont réels aussi. »
On voit ici l’importance d’avoir des scientifiques qui produisent « des recherches », qui pourront être orientées selon les besoin du collectif, puis être utilisées comme atouts (« assets ») marketing pour vendre la désinformation.
On retrouve aussi le discours sur l’évidence historique : « on savait« . Elle raconte ensuite une histoire ridicule pour renforcer son narratif, un peu comme si les pesticides dont une toxicité excessive est avérée pouvaient être autorisés.
Laurence Huc : « Quand on regarde de loin, sans s’y plonger, on se dit « mais c’est bizarre, on a l’impression qu’il y en a qui disent que oui c’est toxique ou non ça ne l’est pas ». Mais en fait quand on regarde qui a produit les connaissances, et quand on sépare ceux qui ont des intérêts financiers des études indépendantes, et bien là les conclusions sont très claires. C’est-à-dire que dans plus de 75% des études par exemple, on voit qu’il y a des effets toxiques du glyphosate sur l’ADN et il n’y a pas de controverse à alimenter là-dessus. »
Ici c’est la diabolisation classique du travail des laboratoires de recherches, externes ou internes, travaillant avec les industriels, permettant de les marquer du sceau de l’infamie : ils ne produiraient pas de la « vraie » science.
La « vraie » science ne serait produite que par les études leur étant indépendante (même si d’autres intérêts financiers les soutiennent …). C’est le double standard sur lequel repose le pesticide-bashing.
Par aileurs, elle présente une vision quantitative de « la science », comme si toutes les études se valaient. C’est évidemment malhonnête, pensez un instant à l’Affaire Séralini. Cela montre aussi, encore, à quel point les scientifiques sont importants dans cet écosystème, pour gonfler ce pourcentage avec des études sans intérêt scientifique, « bidon » dirait-on, mais avec un intérêt communicationnel. Tout le monde s’y retrouve : le scientifique est publié et le journal est content de faire les gros titres.
Laurence Huc : « Le glyphosate, comme tous les pesticides, doit avoir une autorisation de mise sur le marché pour être utilisé. Ces autorisations sont délivrées pour des durées de 5, 10 ou 15 ans. Donc là, pour le glyphosate, on arrive au bout de la durée de 5 ans plus une année. Pour donner à nouveau une autorisation, c’est l’EFSA, qui est une agence publique sanitaire européenne, qui fait état de toutes les connaissances que l’on a sur la dangerosité potentielle du glyphosate. Elle prend les données des industriels, elle prend les données des scientifiques et elle établit un rapport. Le rapport qui est sorti au mois de juillet, c’est que 90% des études scientifiques qui mettent en évidence la dangerosité du glyphosate sont écartées et toutes les données qui prétendent qu’il n’y a pas de danger et qui sont fournies par les firmes sont, elles, prises en compte, si bien que la conclusion est » nous pouvons réautoriser le glyphosate et on repart pour 10 ans ».
Alors moi en tant que scientifique, quand j’ai constaté la quantité d’études écartées, j’en suis tombée de ma chaise et je me suis même demandé comment on en était arrivé à un tel point de déni scientifique. Je ne connais pas des situations où l’on puisse se permettre d’écarter des études de très haute qualité. Il y a des travaux de l’OMS de 2015 qui ne sont pas pris en compte, l’expertice collective INSERM en tout cas non plus, et il y a beau avoir eu consultation publique avec des débats contradictoires, tout ça a été lissé et à la fin il n’y a plus de problème. Ca n’a rien à voir avec la science. On est là dans, on va dire, de l’effacement de la science au profit de décisions qui sont purement économiques ou politiques. »
Ici, elle présente l’expertise de l’EFSA (et de toutes les agences sanitaires qui ont conclu la même chose) comme une sorte d’escroquerie, qui aurait poussé sous le tapis les études qui leur déplaisaient pour ne conserver que celles qui les arrange.
Son argument massue est que l’avis du CIRC, qu’elle présente inexactement comme les « travaux de l’OMS de 2015 » et l’expertise de l’INSERM auraient été écartées. Pour ma part, il m’avait semblé que l’EFSA ne prenait en compte que les données primaires, donc ni analyse, ni avis, etc.
Néanmoins l’EFSA explique en 2015 : « L’examen mené par l’EFSA a pris en compte une vaste quantité d’éléments, parmi lesquels le rapport établi par le CIRC. Outre les études originales présentées par les demandeurs conformément aux exigences légales, toutes les études disponibles et publiées à ce jour ont été prises en compte. Bien que le CIRC ait inclus dans sa monographie un certain nombre d’études épidémiologiques initialement absentes du projet d’évaluation de l’UE, ces études ont ensuite été ajoutées au dossier de l’UE. »
Donc soit Mme Huc ment, soit elle désinforme.
Elle présente aussi le fonctionnement normal d’un avis comme une escroquerie : « il y a beau avoir eu consultation publique avec des débats contradictoires, tout ça a été lissé et à la fin il n’y a plus de problème ». On est en plein dans le registre de la diabolisation : même les choses infiniement ordinaires deviennent des péchés mortels.
Ce n’est pas juste une erreur, c’est une malhonnêteté qui ne peut être que consciente et calculée.
Catastrophisme délirant
Laurence Huc : « 10 ans de glyphosate en plus, qu’est-ce que ça fait ? Bah imaginez en France, c’est environ 10 000 tonnes par an qui sont déversées. 10 000 tonnes d’un cancérigène et d’un perturbateur endocrinien et d’un neurotoxique qui se retrouvent dans notre environnement et qui exposent aussi les agriculteurs et les riverains. Donc tout ça, en fait, si vous voulez, ça entre dans un effondrement déjà en cours par rapport à la biodiversité, où on parle de la sixième extinction de masse de la biodiversité, et où on parle aussi de la dégradation de la santé environnementale avec des épidémies de cancer, des épidémies d’infertilité, des épidémies d’obésité. Et toutes ces maladies-là ne sont pas dues qu’au glyphosate, mais c’est l’un des contributeurs.
J’estime qu’on est dans le mur par rapport à cet usage délirant de pesticides et qu’il est temps de changer si on veut stopper l’effondrement de la biodiversité et la dégradation de notre santé publique. »
Ainsi, le glyphosate aurait non seulement ces effets, mais un impact significatif et l’arrêter arrangerait tout. On est bien dans la diabolisation. Vous voyez bien qu’on n’est pas dans le registre de la raison, mais dans le registre de la pureté. J’appelle ça le glissement du rationnel à l’hygiéniste : on part d’une allégation de faits scientifiques prouvables (l’effet cancérigène du glyphosate) pour promouvoir une idéologie hygiéniste (il faut purifier l’agriculture du glyphosate).
Elle va même plus loin, allant dans l’affabulation la plus ridicule, en prétendant que le glyphosate causerait l’obésité ! Mais après tout, pourquoi se priver ?
Elle s’inscrit, en ce faisant, sur un thème récurrent de la pseudo-écologique, qui est que l’agriculture moderne nous rendrait malades.