Il s’agit d’une partie du livre « Stéphane Foucart et les néonicotinoïdes. Le Monde et la désinformation 1 » dans laquelle nous présentons une des techniques de manipulation de l’information souvent utilisée par le journaliste.


« En fait, la vente ne commence vraiment que lorsque le client dit « non ». Ensuite, votre travail consiste à reformuler toutes les objections jusqu’à ce que le « non » devienne un « oui ». Avec le système de la « Ligne droite », vous anticiperez toutes les objections, les retournerez et les éliminerez avant même que le client ne les soulève. »

Jordan Belfort, « Way of the Wolf: Straight Line Selling: Master the Art of Persuasion, Influence, and Success« , p.103

Il y a quelque chose de frappant dans les articles de S. Foucart : rien ne vient contredire efficacement son storytelling. Les arguments qui lui sont opposés sont

  1. soit présentés de telle manière qu’ils n’ont aucune force (notamment avec la technique de la citation abusive que nous venons de voir),
  2. soit immédiatement « débunkés » par l’auteur, souvent de manière peu pertinente.

3.III.1. La neutralisation

La neutralisation des objections mobilise beaucoup l’apposition et la citation, comme l’illuste l’article (15), dans lequel S. Foucart condamne le fait qu’un rapport n’étudie pas la présence de pesticide pour étudier la mortalité de ruches. Vous avez un passage où deux chercheurs s’en indignent, allant jusqu’à affirmer que le fait de ne pas s’intéresser aux pesticides serait un « choix plus politique que scientifique » (nous en avons parlé dans la partie sur la citation abusive). L’auteur nous livre ensuite la réponse du responsable :

« Nous nous sommes accordés avec la Commission pour élaborer, sur les deux premières années, une méthode d’évaluation robuste de la santé des colonies, afin de pouvoir comparer les pays, répond Gilles Salvat, directeur de la santé animale à l’Anses. Si nous avions d’emblée effectué un très grand nombre de prélèvements et d’analyses supplémentaires, le coût aurait été prohibitif. À l’avenir, des études plus ciblées seront faites. » (15)

Le journaliste n’en dit rien et passe à la suite et continue de critiquer l’étude, soutenant qu’en « l’état, les résultats semblent déjà exclure la responsabilité unique des pathogènes naturels dans les mortalités relevées » et que le choix de la mortalité des ruches comme indicateur minimiserait la situation. Ainsi, il neutralise entièrement la réponse de l’ANSES, sans jamais y répondre. Au contraire, il en rajoute, des indicateurs plus étendus que la mortalité des ruches, incluant par exemple des effets sublétaux, étant probablement beaucoup plus chers à étudier. L’objection est traitée comme si elle ne valait rien. Ce sous-entendu est renforcé par la distance mise par la citation, effet dont nous avons déjà parlé, qui rajoute en plus une atmosphère de suspicion.

Une forme de neutralisation est le détournement. Prenons ainsi cette simple phrase :

« Mais, disent les agrochimistes qui commercialisent ces produits, il faut bien nourrir l’humanité. » (30) [Par la suite, l’auteur défend l’idée que les NNI n’auraient pas d’effet positif sur les rendements.]

En réalité, cet argument est surtout porté par les agriculteurs. En l’attribuant aux « agrochimistes », il opère un détournement ayant pour effet de :

  • Faciliter son argumentaire. Ce dernier serait en effet beaucoup plus difficile à tenir en étant confronté à la voix des agriculteurs.
  • Discréditer les porteurs de ce discours, qui sont relégués au rang de sbires ou d’exécutant des agrochimistes.

De manière générale, l’idée que les NNI soient inefficaces est difficilement compatible avec la réalité : la plupart des agriculteurs sont des techniciens hautement qualifiés, dont beaucoup sont même ingénieurs. Il les rabaisse donc systématiquement, les présentant comme les jouets de force qui les dépassent. Vous retrouvez notamment cette méthode de neutralisation dans :

  • « L’UICN, Syngenta et le déclin des bourdons » (17), avec les arguments de Ana Nieto (paragraphes 11 et 12)
  • « Disparition des abeilles : comment l’Europe a renoncé à enrayer leur déclin » (53), paragraphes 17 et 18

3.III.2. La contradiction

Foucart se présente systématiquement comme une autorité devant trancher entre deux positions. Il s’appuie sur cette posture pour présenter comme un contre-argument efficace ce qui n’en est pas un. Voici par exemple sur ce que S. Foucart écrit à propos de l’étude Epilobee dans l’article juste après celui dont nous venons de parler :

« Les architectes de l’étude arguent du coût qu’il y aurait eu à prélever des échantillons dans toutes les ruches visitées. C’est de bonne guerre. Mais lisons les trente pages du rapport rendu public : le mot « pesticide » n’y figure pas. Le mot « insecticide » non plus, pas même une litote aussi bénigne que « produit phytosanitaire ». On cherche, en vain, les mots « agriculture », « pratiques agricoles »… » (16)

Encore une fois, S. Foucart ne parle pas une fois de l’argument en question : le coût des analyses. Il n’évoque absolument pas le choix budgétaire, mais le fait que le terme « pesticide » ne paraisse pas dans un rapport … ne portant pas sur les pesticides. Pourtant, il présente cela comme un contre-argument parfaitement efficace. Il sous-entend même que ce serait parce que le terme pesticide ne serait pas « bénin » qu’il aurait été écarté.