Il s’agit d’une partie du livre « Stéphane Foucart et les néonicotinoïdes. Le Monde et la désinformation 1 » dans laquelle nous montrons que le journaliste désinforme (= écrit des choses fausses ou induisant en erreur) très largement sur le sujet étudié. Plus spécifiquement, nous montrons ici comment il neutralise la parole des agriculteurs pour faire passer son image trompeuse des NNI et de l’agriculture, présentée dans le 2.I.1 et le 2.I.2.


Selon S. Foucart, les coopératives auraient une emprise sur les agriculteurs, auxquels elles « dictent leur façon de procéder ». L’UNAF résume : « Les agriculteurs dépendent des coopératives et les coopératives dépendent des pesticides ». (36) En réalité, s’il y a effectivement un débat important en agriculture sur la dépendance aux coopératives et, surtout, le comportement de certaines, il n’y a rien qui se rapproche de la contrainte que dessine l’auteur.

En effet : les agriculteurs ont le choix de leurs cultures, de leurs coopératives et de leurs circuits de distribution en général ; ils n’ont l’obligation d’acheter à leur coopérative ni leurs phytosanitaires, ni leurs semences ; l’idée même des « pressions » n’a pas de sens : de quoi parle donc S. Foucart ?

Un débat agricole important

La question des coopératives dans le monde agricole semble au cœur de nombreux clivages. En effet, beaucoup dénoncent certaines dérives, comme une tendance au gigantisme, un manque de transparence (notamment sur les factures) et des pratiques de gouvernance très discutables qui permettraient de « verrouiller » la direction. Au final, la coopérative agricole, conçue pour être un outil au service des agriculteurs, aurait tendance à gagner une vie propre n’étant pas alignée avec les intérêts de ses coopérateurs.

Toutefois, même les critiques les plus dures sont nuancées. Ainsi, Arthur, qui m’a beaucoup parlé des pratiques condamnables en termes de gestion et de gouvernance de certaines coopératives, conclut :

« Le métier d’agriculteur, c’est un métier […] où on doit avoir une certaine liberté. Et moi j’ai très peur, que ce soit dans le domaine des coopératives, dans le domaine des OAD, dans le domaine de beaucoup de choses … c’est qu’on nous prive de liberté. C’est là où je suis très vigilant, où j’ai des inquiétudes et où j’espère me tromper. Et à côté de ça je tiens à souligner qu’il y a des coopératives qui sont […] vachement bien, y en a qui sont vigilantes, qui restent proches du terrain et des agriculteurs. » (Arthur)

Il peut arriver que l’agriculteur soit dans une certaine mesure « dépendant » de la coopérative. Par exemple, en lait et en betteraves, l’agriculteur peut difficilement vendre à quelqu’un d’autre. Pour la betterave, cela résulte du prix du transport : vu que vous produisez une biomasse énorme (>80t/hectare), il faut que vous ayez une usine à proximité. Il y a donc très peu de choix en France : outre quelques sucreries, il faut passer par Tereos, Cristal Union ou Saint-Louis (qui n’est pas une coopérative). Pour le lait, il y a de nombreux acteurs, coopératifs comme privés. La stabilité semble liée aux itinéraires de collecte ou bien à une coutume :

« Oui, dans le monde du lait, les acheteurs (que ce soit les coopératives ou le privé, ça change pas grand-chose au problème), ils ont un avantage, parce que t’es un peu lié à eux, tu pars pas quand tu veux et de toute façon t’as pas forcément quelqu’un d’autre qui va vouloir venir te ramasser, donc tu peux bien dire « chuis pas content je veux que vous me payiez le lait plus cher », on va te dire ‘si tu veux partir bah vas-y’. Si tu changes une fois de collecteur ou deux dans ta carrière, c’est le bout du monde. » (David)

Toutefois, il faut savoir de quelle « dépendance » on parle. Il n’est ressorti à aucun moment qu’il puisse y avoir des pressions pour vendre des phytosanitaires. Les points de tension semblent se porter surtout sur la gouvernance, le prix d’achat de la production, la transparence contractuelle et l’utilisation de l’argent des sociétaires. Rien à voir avec une contrainte pour avoir telle pratique plutôt que telle autre. En outre, les coopératives sont aussi dépendantes de leurs coopérateurs : si elles font n’importe quoi, elles peuvent être sanctionnées.

Le choix de la coopérative (ou du privé)

Tout d’abord, les agriculteurs ont souvent plusieurs fournisseurs-distributeurs (les éleveurs-cultivateurs interrogés en avaient souvent 4, Igor travaille avec 6 coopératives et 7 entreprises privées) et, en dehors des cas évoqués plus haut, le choix est libre, surtout en blé (qui est la principale culture en France).

« À l’origine [dans les années 70-80] il y avait une (seule) coopérative. J’ai pas connu hein. Et la personne qui tenait la coopérative, c’était n’importe quoi. De temps en temps on venait livrer, ils refusaient de donner le bon de livraison. Donc on était pas payés. On avait livré une benne, pis ta benne était cadeau pour la coop. Les poids marqués sur les trucs, c’était n’importe quoi. Enfin y’avait pas de contrôle, il y avait rien … Donc les gens en ont eu marre et petit à petit chacun s’est organisé chez soi pour stocker pour pouvoir commercialiser ailleurs. » (Igor) [Il nuance a posteriori : « mais on ne change pas de manière de travailler rapidement vu les investissements que ça représente]

Même pour le lait et la betterave, il y a parfois des possibilités. Ainsi, un groupe d’éleveurs de montagne avaient réalisé que les grandes surfaces vendaient leur lait plus cher que les autres parce qu’il était « de montagne ». Ils se sont alors organisés en association pour commercialiser directement leur lait (APLM, Association de producteurs de lait de montagne) et ont créé leur marque, « Mont lait ».

Plusieurs des agriculteurs interrogés ne travaillent même pas du tout avec des coopératives ou bien vendent leur production à une coopérative et achètent leurs phytosanitaires à un négociant ou une autre coopérative. Par exemple, j’ai pu parler à un agriculteur qui vendait son porc à une coopérative, ses veaux à une autre, faisait de la vente directe, autoconsommait une partie de la production de ses champs, vendait le reste à un courtier et se fournissait chez des négociants !

Enfin, même dans les cas où l’agriculteur est « coincé » avec une coopérative, il lui reste encore le choix d’arrêter la production, par exemple en plantant autre chose que des betteraves ou en élevant des bovins pour la viande. Sans compter que les coopérateurs, ayant des droits de vote aux assemblées générales, peuvent faire valoir leurs revendications. Les coopératives ont donc tout intérêt à ne pas faire « n’importe quoi ».

Aucune obligation sur les ventes de phytosanitaires

Les agriculteurs ne sont pas forcés d’acheter leurs phytosanitaires à leur coopérative. Ils peuvent passer par des négociants privés ou bien par internet. Les prix proposés par la coopérative ne sont pas toujours les plus avantageux. La compétence et l’intégrité du technicien sont des critères de choix :

« Ces dernières années, j’ai pris un négociant, après on travaille aussi un peu avec la coopérative … On travaille un peu avec tout le monde. […] C’est un peu au feeling quoi. Je travaille avec le privé depuis quelques années, parce que je trouve que le technico, il est … comment dire … je trouve qu’il est bon. Et des fois il me dit « là ça vaut pas le coup de traiter ». Je trouve qu’il a un raisonnement économique aussi. Il me dit pas « t’as des bleuets, c’est la catastrophe », [il dit] « t’as moins d’X bleuet au m², ça va coûter trop cher pour le gain de rendement, ça sert à rien de le faire quoi » … Fin voilà j’apprécie son approche. » (Julien)

Les allégations de S. Foucart sont d’autant plus absurdes que les NNI semblent permettre d’utiliser moins d’insecticides :

« – Je pose la question parce que, un des trucs que dit Foucart, c’est que les NNI sont contre-productifs et que, si on les a utilisés, c’est parce que les coopératives étaient incitées à vendre les phytos et que, du coup … et vu que les agriculteurs dépendent des coopératives, qui dépendent des phytos, ça fait une utilisation des NNI.

– Ça me coûte plus cher de passer des insecticides après, que d’utiliser des NNI en tant qu’agriculteur. Je suppose que la coop prend une marge au pourcentage à chaque fois. Donc la coop doit gagner de l’argent à vendre de l’insecticide plutôt qu’à vendre des NNI. […] Et puis les NNI, quand on pouvait les utiliser sur blé […], quand on fait ses semences de ferme soi-même, on est libre de mettre la dose qu’on veut. Et le Ferial, on mettait à mi-dose et à mi-dose c’était largement suffisant pour ce qu’on en voulait. » (Igor)

Ensuite, cela n’empêche pas les coopératives de pouvoir donner un conseil qui soit davantage axé sur l’augmentation du rendement que sur l’augmentation des bénéfices :

« La coopérative en cultures a besoin d’un volume de marchandises à commercialiser à la fin de l’année, c’est là-dessus qu’elle gagne de l’argent, donc elle fera tout pour sécuriser ça. Alors que l’agriculteur a besoin d’une marge pour avoir du résultat et faire vivre sa famille. Donc il a pas forcément besoin d’un rendement maximum, si ça lui coûte 3 fois plus cher. » (Igor)

C’est néanmoins risqué : comme nous l’avons vu, l’agriculteur, s’il s’en rend compte, a toutes les chances de perdre confiance dans son conseiller, d’aller voir ailleurs et d’en parler autour de lui. Dans tous les cas, cela n’a rien à voir avec des « pressions » qui permettraient d’expliquer l’utilisation de pesticides inutiles.

Aucune obligation sur les ventes de semences

L’imposture est encore plus flagrante pour les ventes de semences : les agriculteurs ont toujours le choix d’utiliser des semences de ferme. Toutefois, c’est une tâche qui demande du temps et l’intervention d’un prestataire pour trier et traiter les semences. Il faut également un savoir-faire spécifique à la culture récoltée. En outre, les semences achetées garantissent un patrimoine génétique spécifique et un certain taux de germination. Quant aux hybrides « F1 », ils sont beaucoup moins productifs après la première génération, les agriculteurs les rachètent donc pour conserver la pureté génétique et ses avantages.

Les semences de ferme représentent une part importante des semences de céréales à paille. Par exemple, pour le blé tendre en 2014, 56 % des surfaces étaient semées avec et 5 % avec un mélange de semences de ferme et de semences certifiées. (Agreste 2018). Pour les autres cultures, comme les betteraves ou les colzas, c’est beaucoup plus rare. En effet, alors que le grain de blé peut être resemé comme commercialisé, la culture des betteraves est différente selon que vous les cultiviez pour leur semence ou pour leur chair. Au-delà de cela, les agriculteurs peuvent acheter leurs semences à de nombreux acteurs : coopératives, négociants, etc.

J’ai eu la chance de discuter du sujet avec François Burgaud, de SEMAE :

« – Comment les agriculteurs peuvent-ils s’approvisionner en semences ?

– Depuis les années 60, les agriculteurs ont trois manières de s’approvisionner en semences. La première, qui a quasiment totalement disparu, […] c’est de faire leurs propres semences de leurs propres variétés. Voilà, ils ont des champs avec des variétés locales, qui sont là depuis leurs ancêtres, ils gardent une partie de la récolte et ils la resèment. C’est ce qui existait jusque je dirais dans les années 50, comme principale source d’approvisionnement. La deuxième source d’approvisionnement, qui s’est développée à partir des années 50, mais en particulier à partir des années 60, c’est d’acheter les semences qui sont ce qu’on appelle aujourd’hui des semences certifiées, c’est-à-dire dont la qualité est contrôlée par une autorité officielle, et ces semences certifiées c’est, toutes espèces confondues, 90 % du marché. Et puis, il y a une troisième possibilité, qui n’a jamais complètement disparu, c’est ce qu’on appelle des semences de ferme, c’est-à-dire que les agriculteurs achètent des semences de nouvelles variétés sur le marché, mais après, au lieu de racheter des semences, ils gardent une partie de leur récolte. […]

Au début des années 60, quand l’État français a créé la certification obligatoire, ça représentait à peu près 80 % dans les semences de céréales. Ça a diminué chaque année jusque dans les années 80, où ça représentait plus qu’à peu près 40 % et puis ça a re-augmenté et cela représente aujourd’hui environ 50 % [sous l’influence de la baisse du prix des céréales à paille (blé, orge …), qui était liée à la fin des prix garantis]. Aujourd’hui, si je résume, l’agriculteur français s’approvisionne prioritairement en semences certifiées ; deuxièmement, dans certaines espèces, comme le blé, l’orge, essentiellement les céréales à pailles, également en semences de ferme ; et très marginalement dans des semences de variétés qui lui appartiennent.

– Donc c’est seulement dans tout ce qui est céréale à pailles que les semences de ferme représentent 50 % ? Tout ce qui est semence de betteraves, de colza, de haricots verts, etc. Là c’est marginal ?

– Ah là c’est plus que marginal, c’est 0 %. L’immensité des colzas ce sont des hybrides, donc si vous le resemez, ce n’est pas du tout la même chose que vous aurez dans votre champ […] [NdA: Les semences issues d’hybrides sont d’une qualité très inférieure aux semences initiales]. Faire de la semence de betterave, c’est pas du tout le même métier … [NdA: Dans le même sens, Igor a commenté : « Autant il est simple de faire de semences pour d’autres cultures, autant pour les betteraves, on ne fait pas … la betterave est bisanuelle, la première année elle fait la racine (qu’on ramasse et qu’on vend à Tereos et qui fait du sucre) et la deuxième année elle fait une tige et des graines … ce qu’ils font plutôt dans le sud et en Bretagne pour la multiplication de semence de betterave à sucre. »] Si vous voulez, la différence est simple. Quand vous avez un champ de blé, […] ce blé peut aussi bien faire de la farine que de la semence. Selon que ce blé, vous allez l’écraser ou le mettre en terre, ça fera de la farine ou de la semence. Mais le grain de départ est exactement le même. Au contraire, quand vous cultivez une betterave, ce que vous récoltez, ce ne sont pas des grains de betteraves. Si vous voulez faire des semences de betteraves, c’est un métier particulier, c’est comme les semences de carottes. […]

– Quel est l’intérêt d’acheter ces semences plutôt que de reprendre celles de l’année dernière ? […]

– En gros, ça dépend vraiment de la gestion que le chef d’exploitation fait de son temps, de celui de ses salariés et de ce qu’il a à leur faire faire. C’est exactement comme des gens qui repeignent leur maison ou pas. Comme je vous l’ai dit, produire une semence de blé, ce n’est pas très compliqué, contrairement à beaucoup d’autres espèces, du moment que la semence d’origine est bien la variété que vous voulez. Après, si vous produisez proprement (ce que font beaucoup de producteurs de blé), c’est-à-dire que votre champ n’est pas plein d’orges, d’avoine, de mauvaises herbes, que vous avez semé au bon moment, que vous récoltez au bon moment et que vous avez de beaux grains, qui germent bien, ça vous fait une bonne semence. Après, la question c’est que malgré tout il va falloir que vous la triiez un peu, il va falloir que vous la fassiez … et en général vous la faites nettoyer par des entreprises de travail à façon, ensuite vous allez éventuellement vouloir les faire traiter … Alors dans le temps, les agriculteurs traitaient eux-mêmes en mettant les graines avec une poudre qu’ils mouillaient dans une bétonnière … bon, ils se sont aperçus que ce n’était quand même pas l’idéal, donc vous allez aussi vous adresser à un prestataire de travail à façon … donc à la fin, le calcul est simple : qu’est-ce que je gagne, soit financièrement, soit [en temps] à faire des semences de ferme plutôt que d’en acheter. »

François Burgaud (SEMAE)

Nous avons donc surtout évoqué cette dimension organisationnelle, mais il y a aussi une logique agronomique. Par exemple, Igor rajoute chaque année une variété de blé à son mélange s’il en trouve une qui lui « plaît ». Son mélange actuel comptait ainsi 7 variétés. Dans la même idée, David Forge raconte dans une vidéo (que je vous encourage beaucoup à regarder, il approfondit de manière très synthétique ce que nous venons d’effleurer) son choix d’intégrer deux nouvelles variétés, plus résistantes aux maladies, à son mélange de blé et plus largement ses pratiques en termes de semences. Notez qu’il fait des semences de ferme de colza. Ceci n’est qu’un aperçu des pratiques agricoles, qui mériteraient un livre à part entière. Igor m’a toutefois précisé que certaines coopératives pouvaient imposer certaines conditions (pour certaines cultures ?) :

« Attention sur les semences … sur les betteraves par exemple il y a toujours eu des restrictions chez Tereos … pas toujours les mêmes mais toujours l’obligation d’acheter à Tereos un certain volume de graine et l’obligation de n’utiliser que des variétés approuvées par la coop. »

Ce point n’est ressorti dans aucun autre entretien. Il est probable que la contrainte théorique soit, en pratique, tellement insignifiante que personne n’a jugé pertinent de m’en parler. On devine que

  • l’obligation d’achat de semences permet d’anticiper et d’avoir des économies d’échelle et de se coordonner avec les agriculteurs semenciers et que
  • l’obligation sur les variétés permet de mieux standardiser les récoltes.

Tereos m’a répondu que « que les coopérateurs sont totalement libres d’acheter leurs phytosanitaires et leurs semences auprès du fournisseur de leur choix ». [La concision de leur réponse s’explique probablement par la terreur qu’ont les grandes entreprises que leurs propos soient malhonnêtement exploités, procédé qu’illustre parfaitement le journaliste étudié]

Ce point demande d’être approfondi.

Des pressions des coopératives ?

Vous l’avez sans doute compris maintenant, les coopératives ne peuvent pas avoir eu le rôle que leur imputait le journaliste et « faire pression » sur les agriculteurs pour leur vendre des pesticides qui seraient contre-productifs. C’est d’ailleurs tellement absurde qu’aucun agriculteur interviewé n’a envisagé cette possibilité. Quand je posais la question, on me répondait toujours comme si je demandais si le technicien-vendeur essayait de vendre plus que nécessaire … Ce qui, rappelons-le, n’est en aucune façon une « pression ». Lorsqu’un vendeur d’électroménager vous dit que tel téléviseur est mieux que tel autre, vous n’en êtes pas moins libre pour autant … À quoi ressembleraient ces terribles pressions que décrit S. Foucart ? On ne sait pas.

Des agriculteurs obligés d’acheter des semences enrobées aux NNI ?

Pour finir, ce passage, attribué à un représentant de l’UNAF, m’avait interloqué :

« Mais les agriculteurs n’ont guère le choix : il leur est devenu bien difficile de se procurer des semences qui ne soient pas enrobées de pesticides – dont ils ne connaissent pas forcément la teneur. » (36)

Cela me semblait absurde, mais j’ai été surpris de constater, après avoir partagé ma consternation sur Twitter, qu’un agronome me disait que c’était vrai. Alors, sombre conspiration ou malentendu ? En réalité, c’est tout à fait juste … et pas du tout. S. Foucart illustre (encore) ici qu’on peut désinformer en disant quelque chose de relativement vrai.

Effectivement, tous les agriculteurs m’ayant parlé d’enrobage évoquaient un « traitement de base ». Un agriculteur, auquel j’avais demandé s’il pouvait en acheter sans, m’a répondu que, par sa coopérative, il y avait au moins un traitement de base. Il s’agit en fait de faibles doses de pesticides ayant pour objet d’éviter que la graine ne pourrisse dans le sol et, parfois, pour améliorer la germination (engrais « starter »). Cela n’a rien à voir avec les NNI en termes de toxicité. Cela semble même parfaitement négligeable. D’ailleurs, parmi les agriculteurs que j’ai interviewés, beaucoup n’utilisent pas les NNI ou bien pour certaines cultures et pas d’autres. L’enrobage, par contre, semble systématique.

S. Foucart laisse entendre que les enrobages en question sont des NNI ou des substances comparables. Or, il y a beaucoup d’enrobages : fongicides, insecticides non-NNI, engrais … Surtout, leur toxicité est beaucoup plus faible que les NNI. Quant à l’impossibilité de trouver autre chose, cela me semble très douteux. La réponse instinctive de certains agriculteurs a en effet été que ce n’était pas possible. Toutefois, j’ai aussi eu d’autres réponses :

La réponse est donc oui. C’est du reste évident : rien n’interdit un agriculteur de se fournir en semences « bio » auprès d’un revendeur (néanmoins, notez que les semences AB aussi peuvent utiliser des traitements de semence : Cerall, Copseed, vinaigre blanc et poudre de graine de moutarde). Plus largement, il me semble évident que cela puisse se trouver en ligne. Ensuite, ce que disait l’UNAF n’était pas forcément faux : il est peut-être plus difficile de trouver des semences non traitées, tout simplement parce qu’elles sont moins intéressantes et donc moins demandées.

Une rapide recherche sur le site agrileader.fr, un site d’achat en ligne de fournitures agricoles, le confirme. Les NNI étant maintenant presque totalement interdits, je suis simplement allé voir les semences de betterave. Il y a 5 variétés disponibles, uniquement des betteraves fourragères : Monro, Rivage, Brick, Splendide et Ribambelle. Seulement une d’entre elles ne peut être achetée qu’enrobée de NNI (« Rivage). Les autres peuvent être traitées T2 (= l’enrobage « de base » dont nous parlions) ou non-traitées (Ribambelle et Splendide). Techniquement, on peut dire qu’il est « plus difficile » de trouver des variétés non-traitées : ce n’est le cas que de 2 des 5 variétés. Est-ce à dire que c’est « difficile » ? Non. C’est d’autant plus manifeste si on fait une simple recherche « semence non traitée » sur google. J’ai trouvé immédiatement le site agriconomie.com, où l’offre non-traitée est foisonnante. Il suffit donc d’aller sur un site internet pour trouver des semences traitées ou non.

Surtout, il faut aussi rappeler que les agriculteurs sont libres de cultiver leurs propres semences, ce que beaucoup font d’ailleurs pour les céréales à paille. Ainsi, non seulement l’allégation du journaliste induit en erreur, mais est en plus fausse (mais défendable, puisqu’ils ont utilisé un relatif « il est devenu bien difficile de … », en cachant le fait que cette très relative « difficulté » résultait dans une large mesure de la faible demande).

Ainsi, il y a bien un fond de vérité à l’allégation initiale : les semences non-traitées peuvent être plus difficiles à trouver que les semences traitées. Toutefois, il y a une déconnexion totale entre cette partie et la signification que le contexte lui donne :

  • la plupart des traitements de semences ne sont pas des NNI et sont d’une toxicité environnementale négligeable ;
  • il reste très facile de trouver des semences non-traitées.

En laissant entendre que les agriculteurs étaient forcés d’acheter des semences traitées aux NNI, S. Foucart désinforme.