2.I.3.b. Une industrie agrochimique poussant la toxicité ?
Il s’agit d’une partie du livre « Stéphane Foucart et les néonicotinoïdes. Le Monde et la désinformation 1 » dans laquelle nous montrons que le journaliste désinforme (= écrit des choses fausses ou induisant en erreur) très largement sur le sujet étudié. Plus spécifiquement, nous montrons ici comment il neutralise la parole des agriculteurs pour faire passer son image trompeuse des NNI et de l’agriculture, présentée dans le 2.I.1 et le 2.I.2. Dans les interviews, je marque entre crochets les reformulations et des commentaires.
Les agriculteurs m’ont beaucoup parlé du fait qu’ils avaient de moins en moins de molécules disponibles, de moins en moins de solutions pour répondre aux infestations. Le discours de S. Foucart, alléguant que l’industrie développerait des molécules de plus en plus toxiques peut donc surprendre. En fait, S. Foucart base dans une large mesure cette allégation sur une « étude » qui observerait que la « charge toxique » (Acute Insecticide Toxicity Loading) aurait été multipliée par 48 entre 1990 et 2014, quasi-exclusivement à cause des NNI, qui représenteraient 92 % de la charge toxique sur cette période. (Dibartolomeis et coll. 2019) (53) (54) (55)
Dibartolomeis et coll. 2019: l’introuvable portée scientifique
Ces chercheurs ont créé un indicateur, la charge de toxicité aiguë des insecticides en utilisant la masse des insecticides vendus aux États-Unis et la toxicité orale LD50 pour les abeilles comme référence, ainsi que la persistance environnementale des pesticides.
Pourtant, la quantité de produit que vous mettez ne dit rien sur la quantité de produit qui va atteindre un insecte ou un animal. Or, pour les NNI en enrobage, la quasi-totalité du produit va simplement se dégrader. Au contraire, lors d’un épandage foliaire, le produit asperge tous les insectes présents ou qui entreront ensuite en contact avec le produit. On a une étude qui n’a pas vraiment de portée scientifique, mais a un impact médiatique. Notez que l’étude a été financée par la plus ancienne ONG écologiste, Friends of the Earth, que l’un des auteurs est une scientifique de l’organisation et que les 4 autres auteurs ont été payés par l’ONG … (cf déclaration d’intérêts)
En réalité, les pesticides ont un profil écotoxicologique qui s’améliore, parce que les normes sont de plus en plus exigeantes et que les produits sont de plus en plus sécures. Ainsi, environ 70 % des substances autorisées en 1991 ne le sont plus aujourd’hui. D’ailleurs, on le voit sur le graphique proposé par Dibartolomeis et coll. (2019) : les organophosphorés sont passés d’environ 34 000 tonnes en 1992 à environ 12 000 tonnes en 2014 ; et les N-Methy carbamate d’environ 8000 tonnes à environ 1500 tonnes sur la même période. Or, ces pesticides ont tendance à être relativement dangereux pour les humains et beaucoup de molécules appartenant à ces familles ont été retirées.
Interview: l’évolution de l’industrie
« L’agrochimie » développe de plus en plus de solutions permettant de gérer les nuisibles en minimisant l’impact écologique. Eugenia Pommaret, directrice de l’UIPP, m’a par exemple parlé des phéromones :
« [Prenons l’exemple des phéromones. Ils peuvent être utilisés dans la protection intégrée des cultures pour réaliser des comptages d’insecte. Ainsi l’agriculteur détectera si les insectes sont présents et en quelle quantité. Si le seuil d’infestation est atteint alors une intervention est envisagée. A contrario, s’il n’est pas atteint, l’utilisation d’insecticide n’est pas nécessaire. Cette pratique permet de réduire la quantité de traitements en identifiant la présence de l’insecte et en vérifiant si le seuil de nuisance est atteint ou pas.] »
Cette pratique serait très utile pour la « protection intégrée des cultures ».
« [La protection intégrée des cultures n’est pas nouvelle. L’INRAE et les instituts techniques ont beaucoup travaillé sur ce principe et ce travail se poursuit.] Les premiers exemples que j’ai en tête, ce sont les larves de coccinelles pour maîtriser les pucerons ou l’utilisation des trichogrammes. Cette technique est utilisée pour lutter contre la pyrale, une chenille qui ravage les épis de maïs. Dans la nature, des ravageurs naturels des pyrales, des microguêpes, ont été observés.] Elles pondent leurs œufs dans les œufs de la pyrale. Donc elles vont anéantir complètement la pyrale au stade de l’œuf et empêcher la population de pyrale d’avoir des effets néfastes sur le maïs. [Cette technique existe depuis plus de 30 ans et est largement utilisée.] »
Ces produits seraient néanmoins également soumis à un coûteux processus d’autorisation :
« [Ce n’est pas parce que c’est une solution naturelle qu’elle n’est pas sans risque. Les procédures d’autorisation avant la mise sur le marché des produits existent justement pour s’assurer que les solutions de protection des cultures ne présentent pas de risque inacceptable pour l’homme ou l’environnement dans les conditions d’emploi recommandées. Effectivement les processus d’autorisation sont longs et coûteux mais c’est justement pour s’assurer que les solutions qui seront mises sur le marché offrent les garanties d’efficacité et de sécurité nécessaires.] »
La directrice envisage même qu’on ne parle « peut-être plus à l’avenir d’insecticides, mais d’insectifuges, c’est-à-dire, de substances, en s’appuyant sur ce qui se fait déjà naturellement, qui pourraient éloigner les insectes […], sans forcément les tuer. » Les agriculteurs utiliseraient de plus en plus de produits de biocontrôle, la part de produits de ces derniers étant passée de moins de 7 % des ventes de phytosanitaires en 2010 à plus de 20 % en 2020.
Terre-Net écrit sur ce sujet :
« Les ventes de produits en 2018 se répartissent de la manière suivante : 63 % de substances naturelles, 19 % de médiateurs chimiques, 11 % de macro-organismes et 7 % de micro-organismes. En termes de cibles, les insecticides et fongicides sont les plus représentés avec respectivement 39 et 32 %. Suivent les herbicides (16 %) et molluscicides (6 %). »
Source: Terre-Net
On peut aussi évoquer les logiciels d’aide à la décision, qui permettent d’optimiser la production et donc d’utiliser, à rendements constants, moins de pesticides, se développent également de plus en plus.
Bibliographie de partie:
- DiBartolomeis, Michael, Susan Kegley, Pierre Mineau, Rosemarie Radford, and Kendra Klein. “An Assessment of Acute Insecticide Toxicity Loading (AITL) of Chemical Pesticides Used on Agricultural Land in the United States.” PLOS ONE 14, no. 8 (août 2019): e0220029. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0220029.