Il s’agit d’une partie du livre « Stéphane Foucart et les néonicotinoïdes. Le Monde et la désinformation 1 » dans laquelle nous présentons une des techniques de manipulation de l’information souvent utilisée par le journaliste.


Foucart crée une réalité scientifique alternative où les faits qu’il utilise pour fonder son argument sont crédibles au-delà de tout doute raisonnable. Pour cela, il utilise deux mécaniques :

  1. L’invention d’un consensus scientifique
  2. L’invention d’évidences

3.VI.1. L’invention d’un consensus scientifique

Foucart laisse souvent entendre qu’il y aurait un consensus scientifique sur ce qu’il décrit. J’ai compté 20 articles utilisant cette mécanique. Notez que je ne discute pas ici l’existence d’un consensus scientifique sur l’existence d’un déclin de la biodiversité ou sur le fait que les NNI soient dangereux. Je critique ici le consensus et les évidences que S. Foucart invente. En effet, « un déclin » n’est pas « le déclin décrit par S. Foucart » et « la dangerosité » n’est pas « la dangerosité décrite par S. Foucart ».

Cette mécanique passe notamment par l’évocation de la parole des spécialistes, de « centaines de travaux » ou bien par la condamnation de l’obscurantisme de ses contradicteurs. Cela passe aussi par une absence : S. Foucart ne parle jamais d’études n’allant pas dans son sens (à moins de les présenter comme n’ayant aucune pertinence).

a. Paroles de spécialistes

Des expressions floues comme « les spécialistes », vont venir donner l’impression de masse, comme si « tous » les spécialistes (ou autre terme utilisé) avaient cet avis. Voici par exemple une réaction au rapport de l’EFSA confirmant le risque des 3 NNI :

« Rien de très surprenant pour les spécialistes. « De tels risques ont déjà été démontrés bien au-delà des abeilles à miel ou des abeilles sauvages, puisque c’est toute la biodiversité des invertébrés terrestres et aquatiques qui subit les effets délétères de ces substances, estime Jean-Marc Bonmatin, chercheur (CNRS) au centre de biophysique moléculaire d’Orléans et auteur de nombreux travaux sur le sujet. » (41)

Le journaliste laisse entendre que l’opinion de l’ensemble des spécialistes (ou d’une majorité) se traduit par la remarque de Bonmatin.

b. Des centaines de travaux abondant en son sens

Dès que le sujet est un peu populaire, il y a facilement « des centaines de travaux » dessus, certains qui vont dans un sens, d’autres dans un autre. Ici S. Foucart insinue que toutes ces études vont dans ce sens, ce qui caractériserait une sorte de consensus. Voici un exemple :

« Certes, les abeilles ne butinent pas dans les champs de betteraves. Mais cet argument, utilisé comme élément de langage par le gouvernement, masque une réalité étayée par des centaines de travaux scientifiques récents. » (66)

Il le fait notamment à travers la ministre de la transition écologique, Barbara Pompili, en mars 2016 :

« Les études scientifiques s’empilent. Aujourd’hui, (…) on peut raconter ce qu’on veut, les néonicotinoïdes sont extrêmement dangereux, ils sont dangereux pour les abeilles, mais bien au-delà des abeilles, ils sont dangereux pour notre santé, ils sont dangereux pour notre environnement, ils contaminent les cours d’eau, ils contaminent la flore, y compris la flore sauvage. Ils restent dans les sols très longtemps. (…) Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas. » (65)

On a bien un effet d’accumulation à sens unique : les études scientifiques « s’empilent », sous-entendu à charge dans le dossier contre les NNI, et cela justifierait leur interdiction. Il dissimule le fait que beaucoup vont dans un sens contraire. L’invention du consensus est très claire dans ce paragraphe :

« Au-delà des effets sur les abeilles, une littérature scientifique considérable documente toutefois les effets délétères des néonics sur l’ensemble des écosystèmes. Des centaines d’études publiées ces dernières années montrent, au-delà du doute raisonnable, toute l’ampleur des dégâts que ces substances occasionnent non seulement sur les insectes pollinisateurs, mais aussi, et surtout, sur l’ensemble des arthropodes, sur les oiseaux des zones agricoles, sur les organismes aquatiques, etc. » (65)

Or, rien n’est plus faux : tous les NNI ne sont pas également toxiques et la question de l’interdiction des NNI sur les betteraves n’est l’objet d’aucun consensus scientifique.

c. L’obscurantisme de ses contradicteurs

Le paragraphe suivant celui que nous venons de citer prend appui sur ce prétendu « consensus » pour condamner « l’obscurantisme » de la décision d’autoriser les NNI sur les betteraves.

« Ce projet de loi est fondé sur une forme d’obscurantisme, juge Mme Batho. Il ignore les données scientifiques disponibles et passe en particulier sous silence le phénomène de disparition des insectes auquel nous assistons. » (65)

C’est le corollaire de l’invention du consensus : une fois que ce dernier a été inventé, on peut l’utiliser pour qualifier d’anti-science ou d’obscurantiste ceux qui le contestent.

3.VI.2. L’invention d’évidences

S. Foucart transforme plusieurs sujets d’étude en « évidences », que (c’est sous-entendu) seule une mauvaise foi patente ou totale cécité permettrait d’ignorer. Ainsi, il écrit à propos des failles dans les procédures d’évaluation des pesticides :

« Un enfant de cours élémentaire peut comprendre la supercherie en quelques minutes. Mais il aura fallu attendre près de quinze ans de déclin de l’apiculture, les premiers indices d’un effondrement massif de l’ensemble de l’entomofaune et les protestations de la société civile et de parlementaires, pour que l’exécutif européen s’interroge sur l’intégrité des procédures d’évaluation du risque, et demande à l’EFSA d’y regarder de plus près… » (37)

L’une des évidences les plus fréquemment reprises est celle du « syndrome du pare-brise propre ». S. Foucart met en avant, comme élément de preuve d’un déclin des insectes, l’évidence qu’il « est désormais possible de traverser la France tout en conservant le pare-brise de sa voiture presque vierge de toute trace d’insectes. » Cela revient dans 6 articles (22) (30) (35) (37) (51) (54). C’est présenté très sérieusement par V.Bretagnolle :

« L’existence d’effets à grande échelle ne serait donc pas étonnante. L’estimation du déclin reste, elle, frappante. « C’est la traduction chiffrée de ce que tout le monde peut remarquer en prenant sa voiture, conclut Vincent Bretagnolle. Il y a vingt ans, il fallait s’arrêter toutes les deux heures pour nettoyer son pare-brise tant les impacts d’insectes étaient nombreux, aujourd’hui ce n’est plus du tout nécessaire. » » (35)

Cette « évidence » est mobilisée régulièrement pour « vendre » un effondrement radical de la biodiversité. Voici un exemple :

« Et il y a urgence. Des travaux publiés fin octobre ont pour la première fois quantifié le désastre des pratiques de l’agriculture conventionnelle sur la biodiversité. En trente ans, près de 80 % des insectes volants ont disparu des zones naturelles protégées d’Allemagne et tout indique que ce constat est valable ailleurs en Europe. Il suffit de voir les calandres et les pare-brise de nos automobiles, souvent vierges de tout impact d’insectes. » (37)

[Notez l’effet d’apposition : il laisse entendre que l’étude aboutit à un effet non seulement de l’agriculture, mais en plus de l’agriculture conventionnelle. Deux choses que ne disent absolument pas Hallman et coll. (2017)]

Il utilise l’argument du pare-brise pour étayer l’étude de Hallman et coll. (2017). Pourtant, l’auteur ne propose strictement aucune étude scientifique ou recueil de témoignages le confirmant. Il ne prend même pas en compte l’évolution de la circulation routière, qui a à peu près doublé depuis 1980.

Source : www.onisr.securite-routiere.gouv.fr/politique-de-securite-routiere/historique-de-la-securite-routiere

Même si ce sentiment peut-être fondé (je n’étais pas très vieux dans les années 90), le trafic routier a beaucoup augmenté depuis les années 70 … Les insectes ont peut-être fini par s’adapter à l’augmentation du trafic routier. Bref, il y a une infinité de raisons autres qu’un déclin global de 80 % qui permettraient de l’expliquer. C’est pour cela qu’en principe, pour affirmer ce genre de choses, on utilise des études scientifiques …

Bibliographie de partie:

  • Hallmann, Caspar A., Martin Sorg, Eelke Jongejans, Henk Siepel, Nick Hofland, Heinz Schwan, Werner Stenmans, et al. “More than 75 Percent Decline over 27 Years in Total Flying Insect Biomass in Protected Areas.” PloS One 12, no. 10 (2017): e0185809. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0185809.