1.II.1. Des tests sanitaires insuffisants
Il s’agit d’une partie du livre « Stéphane Foucart et les néonicotinoïdes. Le Monde et la désinformation 1 » dans laquelle nous présentons les aspects de l’argumentaire du journaliste commenté. Tous les éléments de ce chapitre sont imputés (que j’utilise le présent ou le conditionnel) au corpus d’articles étudiés.
L’EFSA a rendu un rapport en 2012 sur les insuffisances des procédures d’évaluation des risques des phytosanitaires sur les abeilles, qui omettent de prendre en compte, entre autres, les effets sublétaux, l’exposition par guttation ou par la poussière produite par les semences enrobées lors des semis, les effets sur les larves, etc. L’ensemble aboutit à très largement sous-estimer la toxicité des substances testées. (Boesten et al. 2012) (2) (48) Ce laxisme se mesure à la perte annuelle de 30 % des colonies d’abeilles et à l’effondrement rapide de l’entomofaune. (48)
Ces problématiques seraient admises, en creux, par l’EFSA dans ses alertes sur la toxicité de 4 NNI en janvier et mai 2013 (10).
a. Une conception extrême de la toxicité
Les tests d’évaluation des risques, prévus par le document « Système pour l’évaluation du risque des produits phytosanitaires pour l’environnement » de l’EPPO, ont une vision assez extrême de la toxicité. Pour être qualifiée « à faible risque », l’exposition à un produit devrait simplement être inférieure à un 10e de la DL50 en moins de 48 heures. S. Foucart montre l’absurdité de cette méthode en prenant l’exemple des cigarettes pour l’humain : leur DL50 est de 150 paquets. Fumer 15 paquets par jour serait donc, en suivant cette logique, « à faible risque » pour les humains … (11)
b. L’absence de prise en compte des effets sublétaux
Les tests ne prennent pas en compte ni les effets sublétaux, ni les effets chroniques. Nous avons pourtant vu qu’ils sont pourtant très importants pour les NNI. (2) (12)
c. L’absence de prise en compte des pollinisateurs sauvages
Les procédures d’évaluation ne porteraient que sur des abeilles domestiques et pas sur les pollinisateurs sauvages. (6) Pourtant, ils sont plus efficaces : l’étude de B.Vaissière et coll. (2013) avaient observé que des fleurs visitées par des abeilles domestiques avaient une productivité 14 % supérieure, contre près de 100 % supérieure pour celles visitées par des insectes sauvages. (6) Ils sont en même temps encore plus sensibles aux pesticides que les abeilles domestiques, qui ont pour elles leur organisation en colonies, qui les protège davantage que les bourdons, qui vivent en micro-colonies ou que les abeilles solitaires. Un rapport de l’EASAC de 2015 recommanderait en conséquence de tester les pesticides sur les espèces sauvages. (EASAC 2015) (57)
d. La procédure en cas de données insuffisantes
Les AMM sont délivrées après une évaluation des risques par l’EFSA, qui se fonde sur les données fournies par la firme demandant l’homologation. Si les données sont lacunaires, la Commission peut tout de même accorder l’AMM en utilisant une procédure « de demande de données confirmatoire ». La substance est homologuée, mais l’entreprise devra donner ultérieurement des informations complémentaires. (62)
e. La distinction entre consensus scientifique et réglementaire
Il y aurait un problème fondamental dans le fait que l’ « absence de preuve, la difficulté ou l’impossibilité d’administrer la preuve sont, en creux, interprétées comme autant de preuves de l’absence d’effets délétères. » (66)
Le cas des NNI serait une illustration de cette dichotomie entre consensus scientifique et réglementaire.
« Un consensus réglementaire repose, lui, sur les avis d’agences d’expertise qui jugent de la conformité d’un produit à la réglementation en vigueur. Ce sont des avis souvent anonymes, non soumis à l’examen des pairs, fondés sur des données généralement confidentielles et inaccessibles à la critique, produites et interprétées par les industriels eux-mêmes. » (50)
Cette « science » serait souvent convoquée, dans les controverses sanitaires ou environnementales, pour « réduire au silence les protestataires » :
« « C’est autorisé, donc la Science nous garantit que cela ne présente pas de risques » est un slogan bien commode, mais qui ignore un corpus immense de travaux d’historiens et de sociologues des sciences. »
C’est ainsi que les NNI ont pu être jugés « sûrs » alors qu’ils étaient en réalité très toxiques. (50)
Il déduit de l’étude montrant un lien entre l’introduction des NNI et l’effondrement d’une population de poissons au Japon (Yamamuro et coll. 2019) (59) que :
« aucune confiance ne peut être accordée aux systèmes d’évaluation réglementaire des risques environnementaux. Une faillite de cette magnitude est simplement impardonnable. » (66)
Cette faillite aurait également été mise en évidence par l’étude de Pelosi et coll. (2020) montrant une bioaccumulation de l’imidaclopride importante, alors même que l’EFSA l’a jugée comme « à faible risque de bio-accumulation ». (69)
Au final :
« Dans l’idéal, il faudrait tout remettre à plat, et retester correctement la toxicité sur l’abeille de chaque pesticide présent aujourd’hui dans l’environnement, pris en isolément, ou en mélange. » (47)
Bibliographie de partie:
- Boesten, J., Bolognesi, C., Brock, T., Capri, E., Hardy, A., Hart, A., Hirschernst, K., Bennekou, S., Luttik, R., Klein, M., Machera, K., Ossendorp, B., Annette, Petersen, Pico, Y., Schaeffer, A., Sousa, J.P., Steurbaut, W., Stromberg, A., Vleminckx, C., 2012. EFSA Panel on Plant Protection Products and their Residues, scientific opinScientific Opinion on the science behind the development of a risk assessment of Plant Protection Products on bees, EFSA Journal. https://doi.org/10.2903/j.efsa.2012.2668
- EASAC. Ecosystem Services, Agriculture and Neonicotinoids. Vol. EASAC Policy report 26. EASAC, 2015. https://easac.eu/publications/details/ecosystem-services-agriculture-and-neonicotinoids/.
- Klein, Alexandra-Maria, Bernard E Vaissière, James H Cane, Ingolf Steffan-Dewenter, Saul A Cunningham, Claire Kremen, and Teja Tscharntke. “Importance of Pollinators in Changing Landscapes for World Crops.” Proceedings of the Royal Society B: Biological Sciences 274, no. 1608 (February 7, 2007): 303–13. https://doi.org/10.1098/rspb.2006.3721.
- Yamamuro, M., Komuro, T., Kamiya, H., Kato, T., Hasegawa, H., Kameda, Y., 2019. Neonicotinoids disrupt aquatic food webs and decrease fishery yields. Science 366, 620–623. https://doi.org/10.1126/science.aax3442