1.II.2. Des actions politiques insuffisantes contre les néonicotinoides

Il s’agit d’une partie du livre « Stéphane Foucart et les néonicotinoïdes. Le Monde et la désinformation 1 »  dans laquelle nous présentons les aspects de l’argumentaire du journaliste commenté. Tous les éléments de ce chapitre sont imputés (que j’utilise le présent ou le conditionnel) au corpus d’articles étudiés.


Les actions politiques pour réparer les conséquences des failles de ces tests seraient insuffisantes et tardives. On le verrait d’abord avec le moratoire de 2013, mais aussi avec la réforme des tests d’évaluation qui n’est toujours pas aboutie. La Cour des Comptes Européenne a d’ailleurs critiqué dans un rapport du 9 juillet 2020 l’inefficacité des mesures de protection des pollinisateurs sauvages de la Commission européenne, auxquelles n’ont pas été affecté d’indicateurs de réussite ou de moyens. (61)

a. Un moratoire tardif et inefficace

Le moratoire décidé en 2013 par l’Union européenne interdisant de nombreux usages de 3 NNI et du fipronil entre le 1er décembre 2013 et 2015 serait une mesure tardive et insuffisante. (8) (45)

En effet, il faudrait des années pour que les NNI disparaissent des sols, même si le moratoire était total. (8) Pire, la décision ne servirait « probablement à rien », le moratoire étant inférieur à la durée de vie dans l’environnement des NNI. (13) Ils auraient dû être interdits depuis longtemps, étant d’une toxicité considérable et la nature inacceptable du risque posé par l’imidaclopride pour les abeilles étant connu depuis le rapport du CST de 2003. (9) (13) (45)

Le moratoire sur les NNI de 2013 n’aurait d’ailleurs pas fait faiblir le déclin des abeilles. (47) Loin d’être la preuve de l’innocuité des NNI, cela s’explique par :

  • la limitation dudit moratoire à certains usages et à certains NNI, ce qui a permis à des quantités importantes de NNI d’être utilisées en France (47), les agriculteurs ont simplement fait appel à d’autres NNI, comme le thiaclopride. (61) ;
  • le fait qu’une large part des NNI reste dans le sol et y persiste, contaminant les cultures ultérieures et la flore sauvage (47) ;

Enfin, l’interdiction permettait aux États membres de prévoir des dérogations, ce que beaucoup ont fait. (61) Ainsi, ce moratoire pourrait, au contraire, « être interprété comme une cuisante défaite. » (9) L’interdiction finale ne se produisit qu’en 2018, soit 24 ans après les premières alertes. (45)

b. La non-réévaluation des tests d’évaluation

Malgré le rapport de l’EFSA de 2012 dénonçant les failles réglementaires (Boesten et coll. 2012), elles-mêmes connues depuis longtemps, et proposant des lignes directrices en 2013, les règles n’ont pas significativement changé. (58) En octobre 2013, l’étude d’un projet de développement de nouvelles règles avait été ajournée. (11)

Les États membres n’ayant pas réussi à s’accorder, ils ont confié « à un comité technique inconnu du public », le SCOPAFF1, « que revient le choix cornélien de choisir les nouvelles règles d’autorisation des pesticides. » Ce choix serait à faire entre « les abeilles et les insectes pollinisateurs d’une part, et l’industrie agrochimique de l’autre ». (48) Ses discussions seraient confidentielles, ce qui a été largement critiqué par les ONG et les politiques. (48) (67) Son travail a abouti à l’adoption d’une « mise à jour des principes d’évaluation des effets des pesticides sur les abeilles » le 17 juillet 2019. Toutefois, ce texte ferait l’impasse sur l’essentiel des recommandations de l’EFSA, dont l’étude est reportée. (54)

Au cœur de l’été 2019, l’UE aurait « discrètement reporté » la mise en place de nouveaux tests d’évaluation des risques contre l’avis de l’EFSA et de la communauté scientifique. (56) Le 23 octobre, le Parlement européen « a adopté à une écrasante majorité (533 pour, 67 contre et 100 abstentions) une objection à la réforme des principes d’évaluation des risques environnementaux que présentent les produits phytosanitaires. » (58)

Après demande de l’exécutif européen, l’EFSA a proposé le 22 juin 2020, 4 approches pour réformer l’évaluation des risques. 3 d’entre elles consisteraient à « revoir à la baisse les niveaux de protection ». (61) C’est l’un des moins protecteurs qui était retenu par les États membres. Il consisterait à « considérer comme acceptable une réduction de la taille d’une colonie d’abeilles exposée à un pesticide, si cette réduction demeure comprise dans une « fourchette de variabilité naturelle ». » Celle-ci serait calculée grâce à un algorithme, « Beehave », codéveloppé par Syngenta. La pollution « de fond » affectant déjà la mortalité des ruches, cela sous-estimerait la toxicité des pesticides. Cette méthode ne permettrait, en outre, pas d’évaluer les risques pour les pollinisateurs sauvages. (67)

Le 23 septembre 2020, l’EFSA aurait présenté l’avancement de la réforme de « l’évaluation des risques que présentent les pesticides pour les butineuses » à des « associations représentant la société civile ». Ces dernières se sont alarmées, l’une d’elles, Générations futures, allant jusqu’à qualifier les changements de « catastrophiques ». (67)

Le SCOPAFF s’était réuni le 24 et le 25 mars 2021. Selon l’eurodéputé Pascal Canfin, la discussion portait sur la mortalité considérée comme acceptable au sein d’une colonie suite à l’exposition à un pesticide. Son pourcentage devait varier « entre 7 %, position défendue par la France, la Slovaquie ou encore la Suède, et 25 % qui est défendue notamment par l’Espagne et la Hongrie ». L’ONG Pollinis alertait du danger que des critères plus permissifs à ceux établis en 2013 soient retenus. « Cela précipiterait irrémédiablement la disparition en cours de ces insectes indispensables aux cultures européennes au lieu d’y remédier. » (71)

Ces difficultés peuvent s’expliquer par l’ampleur des enjeux : une « analyse d’impact menée par les industriels et publiée en juillet [2018] sur un échantillon de quelques dizaines de molécules, « 79 % des usages de tous les herbicides, 75 % des usages de fongicides et tous les usages de 92 % des insecticides » ne franchissent pas les tests de toxicité chronique prévus par les lignes directrices de l’EFSA. » (48)

c. Luttes politiques en France

La position du gouvernement français est instable sur la question des NNI. Après que le gouvernement se soit opposé à la proposition de loi de Delphine Batho et Gérard Bapt prévoyant une interdiction totale des NNI en France en 2016, Ségolène Royal, alors ministre de l’Écologie, avait annoncé proposer un plan national d’action en faveur des pollinisateurs et étendre le moratoire de 2013 à d’autres substances et d’autres usages. Le gouvernement serait poussé dans cette direction par la mobilisation croissante de la société civile : une pétition de la Fondation Nicolas Hulot (FNH) et de Générations futures demandant le retrait des NNI a ainsi recueilli 50 000 signatures en trois semaines. (22)

Désaccord au gouvernement

En 2017, un document de travail interministériel étudiant la possibilité de supprimer par ordonnance certaines restrictions d’usage de produits phytosanitaires, notamment pour revenir sur l’interdiction des NNI.

Le ministre de l’Agriculture d’alors, Stéphane Travert, avait confirmé cette intention, jugeant que l’interdiction des NNI était contraire au droit européen et qu’il n’y avait pas d’alternative existante. Le ministre de l’Écologie d’alors, Nicolat Hulot, avait répondu par Twitter en rejetant l’éventualité.

Le Premier ministre Édouard Philippe a ensuite annoncé que le gouvernement avait décidé de ne pas revenir sur l’interdiction des NNI, entrant en vigueur en septembre 2018. (31) (32)

Postures et impostures

Si la France s’affirmait, dans le cadre des négociations autour de la modification des tests sanitaires, comme favorable aux tests proposés par l’EFSA, sa position serait ambiguë, les pesticides à base de sulfoxaflor ayant été autorisés par l’ANSES « sur la foi de tests obsolètes ». (48)

Dans la même idée, parmi les 36 députés qui ont signé une tribune intitulée « Les abeilles sont essentielles », la plupart d’entre eux auraient, dans les faits, voté ou soutenu des propositions favorisant l’utilisation de pesticides. (49)

Retour en arrière en 2020

Suite à l’épidémie de jaunisse de la betterave transmise par une infestation de pucerons (Myzus persicae) au printemps 2020, le ministère de l’Agriculture a annoncé, le 6 août un plan d’aide à la filière prévoyant notamment des dérogations permettant l’usage de NNI. (64)

Un projet de loi permettant des dérogations à l’interdiction des NNI aurait été présenté le 3 septembre 2020. Cela se justifierait, selon le ministère, par le fait que les betteraves sont récoltées avant floraison (64) et que l’interdiction des NNI menace 40 000 emplois. (65) La Confédération paysanne a néanmoins opposé que ce serait la pression du marché, et non la jaunisse, qui pèserait le plus sur la filière. Cette dernière serait exposée à trois problèmes structurels : « fin des quotas, dérégulation du marché et concurrence du sucre mondial ». (68) Le texte ne désignerait pas textuellement la betterave et les ONG et les milieux écologistes craindraient qu’il puisse bénéficier à d’autres cultures, comme le maïs. (65)

Delphine Batho commentait :

« Ce projet de loi est fondé sur une forme d’obscurantisme […]. Il ignore les données scientifiques disponibles et passe en particulier sous silence le phénomène de disparition des insectes auquel nous assistons. […] le secteur betteravier a eu plusieurs années pour s’adapter et trouver des alternatives, mais il n’a rien fait, car il a toujours vécu avec la perspective de parvenir à contourner l’interdiction des néonics : depuis 2016, ce sont systématiquement les mêmes arguments qui sont mis en avant pour réintroduire ces substances ». (65)

Le projet de loi devait commencer à être examiné le 5 octobre sous une « forte pression de la société civile ». Ainsi, ont appelé à ne pas voter ce projet de loi Nicolas Hulot, une trentaine d’organisations écologistes (WWF, Greenpeace, LPO), la Confédération paysanne et une soixantaine de chercheurs spécialistes des NNI. Ces derniers dénonçaient « une grave erreur, sous le prétexte de raisons mineures ou inexactes, ceci au regard des enjeux immenses ». (68) Malgré cela, le projet a été adopté le 27 octobre 2020. (69) L’un des enjeux de la nouvelle loi serait la question des cultures postérieures aux betteraves traitées. Les agriculteurs réclamaient le droit de replanter du maïs sans délai. Ils ont obtenu le 5 février cette autorisation sous condition de ne pas traiter une zone de 8 mètres en périphérie des parcelles. L’étude sur laquelle se fondait ce chiffre était en fait mal interprétée. (70)

Bibliographie de partie:

  • Boesten, J., Bolognesi, C., Brock, T., Capri, E., Hardy, A., Hart, A., Hirschernst, K., Bennekou, S., Luttik, R., Klein, M., Machera, K., Ossendorp, B., Annette, Petersen, Pico, Y., Schaeffer, A., Sousa, J.P., Steurbaut, W., Stromberg, A., Vleminckx, C., 2012. EFSA Panel on Plant Protection Products and their Residues, scientific opinScientific Opinion on the science behind the development of a risk assessment of Plant Protection Products on bees, EFSA Journal. https://doi.org/10.2903/j.efsa.2012.2668
  • Doucet-Personeni, C., M.P. Halm, F. Touffet, A. Rortais, and G. Arnold. “Imidaclopride Utilisé En Enrobage de Semences (Gaucho®) et  Troubles Des Abeilles.” Comité Scientifique et Technique de l’Etude Multifactorielle des Troubles des Abeilles (CST), 2003. https://controverses.sciences-po.fr/archive/pesticides/rapportfin.pdf