Il s’agit d’une partie du livre « Stéphane Foucart et les néonicotinoïdes. Le Monde et la désinformation 1 »  dans laquelle nous présentons les aspects de l’argumentaire du journaliste commenté. Tous les éléments de ce chapitre sont imputés (que j’utilise le présent ou le conditionnel) au corpus d’articles étudiés.


Les institutions seraient complaisantes avec les producteurs de pesticides, mettant très longtemps à voir les dommages causés par ces derniers. C’est ce qu’on aurait vu avec les NNI et c’est encore ce qu’on voit avec le sulfoxaflor en France et avec la politique d’attribution d’AMM de la Commission européenne.

a. Une cécité ancienne

La cécité de ces procédures d’évaluation serait connue depuis les rapports du CST de 2003 et de 2005 (31) (54) (56). Ces failles seraient une « supercherie » qu’un enfant de cours élémentaire pourrait comprendre en quelques minutes. (39) S’agissant des effets toxiques des NNI, les apiculteurs avaient interpelé les autorités sur les dégâts causés dès 1994. (54) Ils avaient été établis par le rapport du CST publié en 2003.

L’enquête Epilobee, qui a pourtant mobilisé 1300 inspecteurs et 3 millions d’euros, a étudié la mortalité et pas l’affaiblissement des colonies. (15) Surtout, elle a recherché la présence de parasites et de maladies, mais pas de pesticides. (15) (16) Cela traduirait un parti pris politique :

« Nous sommes donc dans le cadre d’un exercice assez étrange, qui met le discours et la pratique scientifiques au service de contingences extérieures à la science. Il faut chercher, mais dans la « bonne » direction. Il faut trouver, mais pas trop. Pour, surtout, éviter toute découverte indésirable. […] Cette pudeur sémantique rappelle celle des vieilles études financées par les cigarettiers américains, qui attribuaient d’abord le cancer du poumon à la pollution atmosphérique, au radon, aux prédispositions génétiques et, éventuellement, au… « mode de vie » – c’est-à-dire à la cigarette. » (16)

De même pour le communiqué de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) du 2 avril 2014, ne mentionnant même pas les pesticides parmi les causes du déclin des bourdons. (17) Cette cécité toucherait aussi les institutions américaines :

« Selon le NRDC, les insecticides néonicotinoïdes autorisés sur le territoire n’ont jamais été évalués par l’EPA et leur autorisation, pourtant provisoire, n’a jamais été remise en cause. L’affaire avait conduit cinq associations à porter plainte contre l’agence fédérale. » (18)

Selon Pierre Mineau, coauteur de l’étude montrant l’augmentation drastique de la « charge toxique » des pesticides utilisés par l’agriculture américaine, des rapports de l’EPA anticipaient « des effets dramatiques sur l’écologie des systèmes terrestres ou aquatiques dans lesquels ces produits seraient utilisés ». Il conclut : « Tout ce qui s’est produit était prévisible, sinon prévu. » (53)

b. Une cécité durable

Le rapport d’un expert du ministère de l’Agriculture observait que « 13 des 195 cas de mortalités aiguës [de ruches] déclarés en 2015 en France étaient dus à des pesticides. » Cette statistique serait biaisée et L’UNAF accuserait le ministère de cacher les dégâts des pesticides sur les ruches par « plusieurs biais et tours de passe-passe statistiques conduisant à minimiser le rôle des pesticides dans le déclin des abeilles », allant jusqu’à reprendre la maxime de Churchill : « Je ne crois aux statistiques que lorsque je les ai moi-même falsifiées. » (29)

c. Une cécité continue : l’affaire sulfoxaflor

L’EFSA aurait autorisé le sulfoxaflor, un autre insecticide neurotoxique, alors même que son rapport d’expertise reconnaissait : « Avec les évaluations disponibles, un risque élevé pour les abeilles n’est pas exclu et un risque élevé à long terme est indiqué pour les petits mammifères herbivores, pour les utilisations en plein champ sur le coton et les légumes ». (23)

L’ANSES aurait également autorisé deux produits à base de sulfoxaflor en septembre. L’UNAF dénonce des autorisations faites en catimini et traduisant un double discours : « On autorise un produit à la légère et après on tergiverse avant de le retirer, au bout de quinze ans. » Même le ministère de l’Écologie de Nicolas Hulot n’aurait pas été prévenu. Cet insecticide agirait comme les NNI et serait un NNI non classé comme tel. (36)

« C’est honteux, scandaleux, pitoyable et irresponsable vis-à-vis des Générations futures, s’étrangle Gilles Lanio, le président de l’UNAF. Je n’en reviens toujours pas ! » (36)

Selon J-M Bonmatin, « Cela n’a de toute façon plus de sens d’évaluer les substances de cette manière, molécule par molécule ». (41) Le tribunal administratif de Nice a néanmoins suspendu l’AMM de ces deux produits (Closer et Transform) après saisine en référé par Générations futures. Le président de cette association, François Veillerette, commente :

« Ce dossier révèle une situation scandaleuse sur la gestion des homologations européennes des matières actives de pesticides qui sont accordées en l’absence de données pourtant essentielles sur la sécurité des produits, appelées données confirmatives, qui ne seront transmises que deux années plus tard ». (38)

d. Une cécité continue : Commission européenne et AMM

Saisie par une ONG, la médiatrice européenne a adressé le 22 juin une lettre à la présidence de la Commission européenne à propos des procédures d’AMM en cas de données lacunaires. La médiatrice a étudié 5 cas de telles procédures. Dans la majorité, l’EFSA n’avait pas été consultée. De plus, la commission ne motiverait pas ses décisions de délivrer ces autorisations. Enfin, pour « les pesticides approuvés selon cette procédure depuis 2015, les « données confirmatoires » sur la manière dont ils réagissent au traitement des eaux n’ont toujours pas été fournies. » (62)

Bibliographie de partie:

  • Doucet-Personeni, C., M.P. Halm, F. Touffet, A. Rortais, and G. Arnold. “Imidaclopride Utilisé En Enrobage de Semences (Gaucho®) et  Troubles Des Abeilles.” Comité Scientifique et Technique de l’Etude Multifactorielle des Troubles des Abeilles (CST), 2003. https://controverses.sciences-po.fr/archive/pesticides/rapportfin.pdf