Il s’agit d’une partie du livre « Stéphane Foucart et les néonicotinoïdes. Le Monde et la désinformation 1 »  dans laquelle nous présentons les aspects de l’argumentaire du journaliste commenté. Tous les éléments de ce chapitre sont imputés (que j’utilise le présent ou le conditionnel) au corpus d’articles étudiés.


Le maintien durable de l’insuffisance des procédures de test résulterait notamment dans la participation des industriels à leur conception : « ces protocoles ont été conçus par des groupes d’experts noyautés par l’industrie agrochimique ». (39) C’est par exemple aux sociétés agrochimiques qu’on devrait la tardiveté de l’interdiction des NNI. Elles auraient utilisé, à cette fin, « la boite à outils des cigarettiers pour retourner la science contre elle-même et semer le doute ». (45)

a. La participation aux décisions s’appliquant à eux

Les industriels auraient « en quelque sorte, créé le cadre scientifique même dans lequel on pratique l’évaluation de leurs produits ». (39) Les normes d’évaluation seraient en effet notamment fixées par l’Organisation européenne et méditerranéenne pour la protection des plantes (EPPO) au fil d’un procédé dominé par les représentants de l’industrie agrochimique. (11) Un rapport de Générations futures et de PAN suggérerait que ce serait la règle : « dans 92 % des cas examinés, les techniques en question ont été codéveloppées par les industriels concernés, directement ou indirectement. » (39)

On retrouve la main de Syngenta dans le processus de révision des tests d’évaluation des risques consécutif aux rapports de l’EFSA de 2012-2013. En effet, « l’approche choisie repose désormais sur un modèle simulant la réponse d’une colonie à un stress — le modèle utilisé par l’EFSA ayant été codéveloppé par la firme agrochimique Syngenta, l’un des plus gros producteurs de pesticides en Europe. » (71) (67)

b. Le noyautage des institutions

Les industriels parviendraient à noyauter des institutions de recherche se revendiquant neutres. Or, « les travaux d’histoire des sciences menés sur les stratégies d’influence de l’industrie du tabac – en particulier ceux de l’historien des sciences américain Robert Proctor (Université Stanford) – montre que la participation, à des travaux d’expertise, de chercheurs en conflit d’intérêts a pour effet de biaiser ses conclusions. » (57)

Méthodes d’influence

Les lobbys agrochimiques arriveraient à influencer les scientifiques de manière insidieuse. Ainsi S. Foucart a répondu, à un internaute demandant « Qui sont les scientifiques français à avoir été « achetés » par les lobbys ? » :

« Je n’aime pas le terme « acheté » et je pense que les situations dans lesquelles un scientifique est réellement « acheté » sont très rares. L’instrumentalisation de la science et de l’expertise se fait de manière bien plus subtile : certaines thématiques de recherche (pathogènes naturels, etc.) sont par exemple privilégiées, les questions posées par les responsables politiques aux experts sont formulées de telle sorte que les réponses données sont ambiguës.

Cependant, il existe quelques situations particulièrement choquantes que je décris dans le livre, dans lesquelles des experts au service d’agences réglementaires ou d’administrations publiques, notamment en France, au Royaume-Uni et aux États-Unis, ont été embauchés par des firmes agrochimiques immédiatement après avoir rendu des expertises favorables et contestables sur les néonicotinoïdes, minimisant ou relativisant leurs effets sur les abeilles et les pollinisateurs. » (56)

FERA

En mars 2015, paraissait dans PeerJ sous la signature de David Goulson (Goulson 2015) un article « aux conclusions dévastatrices pour la crédibilité » de la FERA, l’agence de sécurité alimentaire britannique. Il a en effet analysé les données utilisées pour l’un des rapports de cette dernière. Il a observé que, contrairement aux conclusions qui avaient été tirées, l’étude était en fait la première étude décrivant les impacts négatifs substantiels des NNI en conditions réelles. Interrogé à ce sujet « un porte-parole de la FERA a plus ou moins mangé son chapeau ». La principale auteure aurait quitté l’agence et rejoint Syngenta dans les mois qui ont suivi. (21)

IPBES

L’IPBES aurait pour mission de synthétiser les connaissances disponibles sur la biodiversité, sur les impacts de son érosion et sur les pistes d’action possibles pour la préserver. En somme, d’être à la biodiversité ce que le GIEC est à la lutte contre le réchauffement climatique.

Pourtant, le groupe de travail de son rapport sur le déclin des pollinisateurs a été notamment composé d’employés de Syngenta et Bayer, n’ayant pas de crédit scientifique et n’étant là que pour « représenter leurs employeurs » (19) :

  • Christian Maus est auteur principal du chapitre sur la « diversité des pollinisateurs » et employé par Bayer. Il n’aurait jamais publié de papier dans ce domaine.
  • Helen Thompson, employée par Syngenta, est chargée de celui sur les causes de leur déclin. La polémique serait d’autant plus grave qu’elle est impliquée dans l’étude de la FERA sus-mentionnée. (24)

« Certes, les experts du privé sont en nombre très limité : deux sur un total de vingt et un dans deux des six groupes de travail. Quant aux autres experts, ce sont des universitaires ou des scientifiques d’organismes de recherche publics. Mais cela n’exclut pas d’autres conflits d’intérêts, par le biais de financements, de liens tissés entre leurs institutions et l’industrie agrochimique, de rémunérations comme consultant, etc. À l’IPBES, on assure que chacun a dû remettre une déclaration détaillant ce type de liens avec les industriels. C’est heureux. Mais, hélas, ces documents ne sont pas publics… » (19)

Simon Potts était par ailleurs coprésident du comité de l’IPBES. Il avait célébré le moratoire sur les 3 NNI en 2013 et affirmé que « Le poids des preuves données par les chercheurs indique clairement que nous avons besoin de supprimer progressivement les néonicotinoïdes. » Or, il avait affirmé le contraire 6 mois plus tard, jugeant qu’il n’y avait « actuellement pas de consensus sur leurs impacts létaux et sublétaux [sur les pollinisateurs] dans l’environnement. »

Ce revirement interroge S. Foucart, qui relève également qu’en mai 2014 ce chercheur signa une étude sur les NNI qui plut beaucoup aux industriels. Dans cette étude, « ni le financement de l’étude ni les conflits d’intérêts éventuels de ses auteurs n’étaient spécifiés… » (19)

AFSSA

Un rapport de l’AFSSA de 2008 (Faucon et al., 2008) aurait repris à son compte « parfois dans des conditions d’intégrité discutables, la vulgate des agrochimistes : les troubles des abeilles étant « multifactoriels », les nouveaux produits phytosanitaires n’y joueraient aucun rôle déterminant. » (9)

c. Les pressions

Dans le cadre du vote sur le moratoire de 2013, l’expertise européenne aurait été l’objet d’ « intenses pressions ». Syngenta aurait en effet « exigé, en vain, des amendements à la position de l’EFSA, allant jusqu’à menacer certains de ses responsables de poursuites ». (8)

d. La fausse neutralité

L’industrie pratiquerait le « shilling ». Cela consisterait pour des personnes à se faire passer pour neutres alors qu’elles sont payées par l’entreprise pour en vanter les bienfaits/minimiser les problèmes. C’est notamment ce que montreraient les Monsanto Papers. (56)

On l’aurait observé dans la critique de l’étude de Henry et coll. (2012) publiée dans Science. En effet, son premier auteur serait James Cresswell, dont le laboratoire serait soutenu par Syngenta. Ce soutien aurait été attribué la même date à laquelle le commentaire fut accepté pour publication … (3)

e. L’influence des décideurs

L’industrie parviendrait à influencer les décisions à travers les décideurs politiques. Dans le cadre du vote sur le moratoire de 2013, le ministre britannique de l’Environnement, Owen Paterson, expliquait dans une lettre adressée à Syngenta qu’il avait été très actif dans l’organisation de l’opposition de la proposition d’interdiction des NNI. (7) (8) Les intérêts contrariés par l’interdiction totale des NNI discutée dans le cadre de la loi biodiversité de 2016 se seraient « agités en coulisse pour lui faire son affaire » et auraient réussi à « gagner l’oreille » de Stéphane Le Foll, alors ministre de l’Agriculture, qui aurait demandé de ne pas voter cette interdiction. (27)

On peut suspecter cette influence derrière l’inaction du SCOPAFF, un « comité technique inconnu du public » chargé de « choisir les nouvelles règles d’autorisation des pesticides. » Selon le délégué général de l’association Pollinis, « L’opacité d’un tel système est simplement antidémocratique. C’est un rêve de lobbyiste. » (48) L’opacité a également été dénoncée par l’eurodéputé Pascal Canfin :

« il est inacceptable que ce type de décision soit encore prise dans le plus grand secret d’un comité où l’on ne connaît même pas les positions défendues par les États » (67)

Toujours dans le cadre de l’étude de nouveaux tests d’évaluation, cette association, participant à un comité mis en place sur le sujet par l’EFSA, dénoncerait « l’intense lobbying des industriels de l’agrochimie. Ceux-ci ont adressé aux responsables de l’exécutif européen au moins une dizaine de courriers protestant vigoureusement contre le document-guide de l’EFSA. »

Leurs enjeux sont en effet considérables : la large majorité des usages d’herbicides, de fongicides et d’insecticides ne passeraient pas les tests proposés par l’EFSA. (54) (67)

f. La diffusion d’éléments de langage

L’emprise des industriels se ferait aussi plus diffusément, par l’émission d’ « éléments de langages ». Ce serait le cas de l’argument soutenant l’autorisation des NNI pour les betteraves au motif qu’elles ne seraient pas visitées par les abeilles :

« Mis en circulation par les milieux de l’agro-industrie et repris par le ministère de l’Agriculture dans sa communication, cet argument a été largement repris sur les réseaux sociaux par des élus et des responsables politiques. » (64)

« Promu par les milieux de l’agro-industrie, repris par le ministre de l’Agriculture, répercuté par des journalistes et multiplié à l’infini sur les réseaux sociaux par des milliers de petites mains, un unique élément de langage est venu balayer tout cela. Nul ne l’ignore plus : « Une abeille, ça ne va pas butiner dans les champs de betteraves. » » (66)

g. La démocratie en danger ?

Tous ces éléments poseraient des questions sur notre démocratie.

« L’histoire fait au moins comprendre une chose : l’état de notre environnement est souvent celui de notre démocratie. » (20)

En outre, l’utilisation à mauvais escient de l’autorité de la science nourrirait le relativisme :

« Car si l’on vous a persuadé que la réglementation est la science, pourquoi, lorsqu’il est évident que la première se trompe si souvent, continueriez-vous à faire confiance à la seconde ? » (50)

L’absence d’évolution des tests d’évaluation des risques, d’autant plus incompréhensible que leurs failles étaient connues et leurs conséquences néfastes prouvées, ainsi que l’absence de transparence du processus porteraient « l’opprobre sur les institutions de l’Union » et participeraient « à un désamour qui pourrait se voir […] dans les urnes. » (51)

Bibliographie de partie:

  • Faucon, Jean-Paul, and Marie-Pierre Chauzat. “Varroase et autres maladies des abeilles : causes majeures de mortalité des colonies en France.” Bulletin de l’Académie Vétérinaire de France 161, no. 3 (2008): 257–63. https://doi.org/10.4267/2042/47949.
  • Goulson, Dave. “Neonicotinoids Impact Bumblebee Colony Fitness in the Field; a Reanalysis of the UK’s Food & Environment Research Agency 2012 Experiment.” PeerJ 3 (March 24, 2015): e854. https://doi.org/10.7717/peerj.854.
  • Henry, Mickaël, Maxime Béguin, Fabrice Requier, Orianne Rollin, Jean-François Odoux, Pierrick Aupinel, Jean Aptel, Sylvie Tchamitchian, and Axel Decourtye. “A Common Pesticide Decreases Foraging Success and Survival in Honey Bees.” Science 336, no. 6079 (April 20, 2012): 348–50. https://doi.org/10.1126/science.1215039.