1.I.1. Le déclin de la biodiversité

Il s’agit d’une partie du livre « Stéphane Foucart et les néonicotinoïdes. Le Monde et la désinformation 1 »  dans laquelle nous présentons les aspects de l’argumentaire du journaliste commenté. Tous les éléments de ce chapitre sont imputés (que j’utilise le présent ou le conditionnel) au corpus d’articles étudiés.


Les premières alertes portaient, dès 1994, sur la surmortalité des abeilles domestiques. Toutefois, les pollinisateurs sauvages aussi sont touchés et, plus largement, on observerait une disparition des insectes. Cela pourrait avoir des conséquences désastreuses, tant pour l’apiculture que pour l’agriculture en général.

a. L’alerte : la surmortalité des abeilles domestiques

« Depuis un peu plus d’une dizaine d’années, des mortalités massives d’abeilles domestiques sont relevées un peu partout dans le monde – principalement aux États-Unis et en Europe. » (1) Déjà en 1994, les apiculteurs français alertaient sur la surmortalité de leurs ruches, dont était déjà suspecté l’imidaclopride. (45) (54)

L’enquête Epilobee s’est intéressée à la santé des ruchers européens. En cumulant les mortalités hivernales et estivales, les pays où la mortalité des ruches était la plus élevée étaient :

  • la Belgique 42,5 %,
  • le Royaume-Uni (38,5 %),
  • la Suède (31,1 %),
  • la Finlande (29,8 %)
  • la France (27,7 %).

À l’inverse, les mortalités étaient moins importantes en Grèce (9,1 %), Italie (7,6 %) ou Espagne (16,3 %). En se limitant à la saison apicole (été ?), c’est en France que la mortalité était la plus élevée : 13,6 % contre moins de 10 % dans tous les autres pays étudiés. (15)

Aux US, alors que les taux de pertes historiques étaient de 10 à 15 % au sortir de l’hiver, ils atteignaient, en 2014, 30 %. (18) L’UNAF estime les pertes annuelles à 30 %. (48)

Selon Gérard Arnold, les pertes hivernales ne devraient normalement pas dépasser 5 %. Selon d’autres chercheurs, ce taux serait entre 5 à 10 %. (47)

Plus largement, la filière apicole se porte mal : la production hexagonale a fortement diminué ces dernières années :

  • moins 28 % entre 2004 et 2010 (5)
  • divisée de moitié entre les années 90 et 2014 (15)
  • divisée par 3 entre les années 90 et 2016 (27) (36)

Les apiculteurs étaient plus de 4500 à cesser leur activité chaque année (en 2013). (5) La FFAP avait, le 6 novembre, dressé « un état des lieux dramatique de la filière apicole ». (12)

Ce déclin serait d’autant plus inquiétant que l’organisation en colonie serait « une garantie de résilience que n’ont pas les bourdons qui vivent en micro-colonies ou encore les abeilles solitaires qui sont plus fragiles encore », comme nous l’apprend un rapport de l’EASAC de 2015. (57)

b. Le déclin des pollinisateurs

Si on parle souvent des abeilles domestiques, les pollinisateurs sauvages en général sont très importants pour la pollinisation et disparaissent rapidement. Ainsi, selon une étude de Laura Burkle (2013), « la diversité des espèces de pollinisateurs sauvages a été divisée par deux en cent vingt ans » et « le taux de visites d’une petite fleur endémique de cette région d’Amérique du Nord a été divisé par quatre au cours de cette période. » (6)

L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a publié le 2 avril un communiqué annonçant qu’en Europe, « 30 des 68 espèces du genre Bombus présentes sur le continent y sont en déclin et 12 menacées d’extinction. » (17)

Elle estime également en 2016 que 16,5 % des espèces de pollinisateurs vertébrés (oiseaux, chauves-souris, etc.) sont menacés d’extinction et que plus de 40 % des espèces d’abeilles en Europe pourraient être menacées. (25)

Une étude publiée par Nature en octobre 2019 observerait une chute de 67 % entre 2008 et 2017 du poids des arthropodes capturés sur un échantillon de 150 prairies allemandes, de 78 % de leur nombre et de 34 % de leur diversité. (61)

c. La disparition des insectes : « l’effet pare-brise »

Le déclin des insectes se manifesterait par le fait que les pare-brises des automobiles, même les moins aérodynamiques ne soient plus salis par les impacts des insectes au fil de la route. (30) (54)

L’étude publiée en 2017 dans PloS One par Hallman et coll. en a apporté la preuve :

« Une étude publiée en octobre 2017 dans la revue PLoS One indique en effet que la quantité d’insectes volants a chuté de plus de 75 % entre 1989 et 2016, dans une soixantaine de zones rurales d’Allemagne, représentatives de la plupart des paysages d’Europe occidentale dominés par les activités humaines. » (48) (idem : com(30) (35) (41) (56)

Ces mesures ne concerneraient pas que l’Allemagne, mais aussi, selon Dave Goulson (lui-même coauteur de l’étude) la France et le Royaume-Uni ayant des systèmes agricoles semblables. Plus largement, cela pourrait être « représentatif d’une situation bien plus large », auquel cas nous serions « face à une catastrophe écologique imminente. » (35)

Vincent Bretagnolle aurait observé en 2017 dans la « zone atelier Plaine et Val de Sèvre » que le nombre de Poecilus cupreus, un carabe abondant dans les milieux agricoles représentant 70 % des individus (carabes ?) capturés dans la zone, a été réduit de 85 % en vingt-trois ans. (35)

d. Le déclin des oiseaux

Le Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) et le CNRS ont publié le 20 mars 2018 les résultats de 2 réseaux de suivi des oiseaux. Ils évoquent un phénomène de « disparition massive », « proche de la catastrophe écologique » :

« Les oiseaux des campagnes françaises disparaissent à une vitesse vertigineuse […]. En moyenne, leurs populations se sont réduites d’un tiers en quinze ans. » (43)

Les deux réseaux de surveillance ont des méthodologies différentes :

  • Le réseau du MNHN (programme Suivi temporel des oiseaux communs, STOC) rassemble les observations d’ornithologues.
  • Le réseau du CNRS a mobilisé 160 points de mesures de 10 hectares suivis depuis 1994 dans la zone « CNRS Plaine et val de Sèvre » dans 450 km² de terres agricoles.

Ce serait particulièrement inquiétant. Ainsi, selon le coordinateur du réseau STOC, Frédéric Jiguet:

« Que les oiseaux se portent mal indique que c’est l’ensemble de la chaîne trophique [chaîne alimentaire] qui se porte mal. Et cela inclut la microfaune des sols, c’est-à-dire ce qui les rend vivants et permet les activités agricoles. » (43)

e. Des conséquences dramatiques

Le déclin des pollinisateurs est un enjeu crucial. Leurs services sont en effet estimés à

  • 17,6 milliards d’euros aux US (18)
  • 15 Md d’euros en UE pour les seuls pollinisateurs sauvages (61)
  • 22 Md d’euros « à l’agriculture européenne » (7) (9)

Dans le même sens, le rapport de l’IPBES publié en février 2016 estimerait que « les cultures dépendant de la pollinisation contribuent à 35 % en volume de la production des cultures au niveau mondial. »

« Le déclin des pollinisateurs, abeilles, papillons ou oiseaux, constitue une grave menace pour la production alimentaire mondiale. Et met en danger les moyens de subsistance de millions de personnes. » (25)

Les abeilles seraient des « insectes pollinisateurs indispensables à 84 % des végétaux cultivés en Europe ». (15)